J’ai dégoté le livre un peu par hasard, dans une boutique de livres d’occasion il y a un ou deux ans – j’avais beaucoup aimé l’adaptation cinématographique signée Sofia Coppola (1999). Puis je l’ai oublié jusqu’à cet été quand je l’ai retrouvé.
Après avoir lu deux gros pavés coup sur coup, je me suis lancée dans la lecture de livres plus courts, et j’ai retrouvé l’œuvre de Jeffrey Eugenides. Force du hasard, Hajar (blogueuse livres) avait entamé la lecture dudit livre et ne cessait de l’encenser.
Et quel choc ! Un livre culte, comme le film – pourtant l’histoire est dramatique. Pour ceux qui n’ont jamais entendu parler du livre, et/ou du film, voici l’histoire en ces grandes lignes :
Devenu adulte, un garçon (le narrateur) témoigne de l’histoire tragique de la famille Lisbon dont les cinq filles vont se suicider en l’espace d’une année dans la petite ville de Grosse Pointe au Michigan. Ce garçon et ses amis, fascinés par cette famille voisine de la leur, se remémore cette période à l’âge adulte et tente de percer à jour les nombreux mystères entourant cette famille. La mère de famille, chrétienne pratiquante, va peu à peu isoler ses filles du monde extérieur après le suicide de la benjamine, les entrainant inconsciemment vers leur perte. Les sœurs vont alors s’effacer comme les visages sur les vieux polaroid.
En lisant le livre, le visage de Lux (interprété au cinéma par Kirsten Dunst) ne cessait de m’obséder. L’œuvre est puissante et l’adaptation cinématographique retranscrit parfaitement cette lente descente aux enfers. Les personnages sont énigmatiques pourtant le lecteur est rapidement obsédé par ces jeunes filles, comme le narrateur à l’époque des faits. Ce que j’aime dans ce roman, c’est qu’il retranscrit toute une palette d’émotions : envies, espoirs et fantasmes, qu’il a, adolescent amoureux, ressenti. Le lecteur est donc partagé entre les souvenirs (visuels, auditifs et olfactifs) du narrateur et les témoignages recueillis auprès des voisins et autres personnes qui ont pu approcher les Lisbon.
La vision parfois édulcorée du jeune homme (nous sommes dans les années 60) apporte au roman une touche romanesque, idéalisée par son amour envers ces jeunes filles évanescentes. Et comme lui, le lecteur assiste, impuissant à la lente désintégration d’une famille, obsédée par la religion et la peur de l’autre.
En y repensant, nous décidâmes que les filles n’avaient cessé d’essayer de nous parler, de nous demander notre aide, mais que nous étions trop amoureux pour les entendre. Notre surveillance était si concentrée que nous n’avions rien manqué sinon un simple regard rendu. Vers qui d’autres se seraient-elles tournées ? Pas leurs parents. Ni les voisins. A l’intérieur de leur maison, elles étaient prisonnières ; à l’extérieur, lépreuses. Et ainsi elles se cachaient du monde, attendant que quelqu’un – nous – les sauve.
Le livre et le film se complètent parfaitement. A cela, s’ajoute le style de l’auteur : épuré, classique mais également très moderne et visuel.
Jeffrey Eugenides a écrit, sans le savoir, un roman culte, sans aucun doute – il réalise un tour de force en critiquant cette Amérique puritaine qui au lieu d’aider ses enfants à s’ouvrir au monde, les enferme et les pousse au suicide. Car si la mère vise la vertu, ses filles rêvent de liberté et leur unique moyen de l’atteindre sera par le suicide. Terrifiant. Difficile pour moi de comprendre le raisonnement des adultes face au désarroi de leurs enfants qui rêvaient juste d’une adolescence normale.
Un roman à lire absolument.
♥♥♥♥♥
Editions J’ai Lu, 2002, Virgin Suicides, 222 pages
7 commentaires
Bien bien, difficile de résister à ton billet. J'ai vu le film il y a quelques années mais il ne m'avait pas laissé une si forte impression (malgré le sujet terrible, of course). Peut-être que le livre y parviendra plus facilement…
Je pense que le livre est, présenté comme un témoignage, va plus dans la profondeur. Merci si je t'ai donné envie de le lire !
Ce livre me semblait un croisement entre Carrie et Le Cercle des poètes disparus, et je trouvais le titre racoleur. Finalement, à la lecture de ton billet, je pense qu'il mérite un coup d'oeil. Je vais l'ajouter à ma LAL.
Ah bizarre comme idée ! Non, à part l'époque proche de celle de Carrie, ce livre étudie plus l'Amérique puritaine et ses difficultés à accepter la sexualité naissante de ses enfants. Mais si j'ai lu du Stephen King, je n'ai jamais lu Carrie et je l'ajoute à ma PàL.
Je n'ai pas lu Carrie non plus. J'ai vu le film de Brian de Palma. Mais la mère de Carrie est très croyante et a des crucifix partout.
C'est marrant que tu utilises le terme puritain pour les parents Lisbon, alors qu'ils sont catholiques. Ici, les catholiques sont à peine considérés comme chrétiens. Alors puritains…
Je ne me souviens pas que les Lisbon soient catholiques dans le livre d'où l'emploi du mot "puritain". La mère est rigoriste mais elle n'est absolument pas "folle" comme la mère de Carrie (j'ai aussi vu le film), pas de crucifix, etc. Elle refuse juste d'admettre que ces filles grandissent et deviennent "des femmes" et avec son époux va peu à peu les enfermer Si j'ai employé le terme "puritain" c'est que j'ai pensé aux familles protestantes du nord de la Floride que j'ai fréquentées et qui refusent toute allusion à la sexualité, vont à l'église tous les dimanches, etc .
Sinon, intéressante ta remarque sur les catholiques qui sont "à peine considérés comme chrétiens" car tu ne dirais pas ça à Boston, ni à NY ! La terre des Irlandais ou des Italiens. Je n'ai jamais entendu ce type de propos quand je vivais au Montana ou dans le Tennessee, pourtant les catholiques étaient plutôt rares, les habitants étant majoritairement protestants (méthodistes, luthériens, baptistes, etc.)
D'ailleurs quand je suis retournée aux USA cette année, j'ai trouvé que les choses avaient changé : les Catholiques sont toujours "associés" aux Irlandais, Italiens mais dorénavant ils le sont via les Mexicains ou aux Latino. Tu vis dans le CO ? Bizarre…. Enfin, l'Utah est pas si loin … 😉
N'empêche que j'ai envie de lire Carrie à présent ! Maintenant je me souviens, la mère était une femme dévote complètement tarée.
Ce n'est pas dans le Colorado uniquement. Mais il est vrai que notre voisine (originaire d'Alabama et baptiste), qui pourtant savait que nous étions catholiques ma sœur et moi, nous a offert un DVD sur la vie de Jésus et nous a demandé : Is that who you worship? Comme s'il y avait un doute. Nous avons recherché sur Internet et nous avons vu que l'idée était assez répandue. Il y a un article sur Wikipedia (ça vaut ce que ça vaut) http://en.wikipedia.org/wiki/Anti-Catholicism_in_the_United_States#1990_.E2.80.93_21st_century
C'est sur Wikipedia (aussi) que j'ai vu que les Lisbon étaient catholiques.
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