J’abandonne rarement des livres en cours de route. Mais après avoir trainé un roman pendant près de sept jours sans jamais y trouver quelconque plaisir (l’exercice s’était transformée en corvée), j’ai fini par reposer le livre définitivement au bout de 155 pages tout de même… Dégoutée par cet échec (Marie-Claude avait si bien parlé de ce sentiment d’échec), j’ai filé à la médiathèque pour rendre des livres et évidemment ce lieu magique m’a réconcilié avec le monde des livres et je suis donc repartie, avec sous le bras, plusieurs romans et une nouvelle publiée à part, signée Annie Proulx.
Cette nouvelle aura eu chez moi l’effet escompté : l’effet doudou. Car Brokeback Mountain ne peut, d’une part que vous faire rêver à travers une histoire d’amour sublime entre deux cowboys (et me confirmer qu’Ang Lee avait été fidèle à Annie Proulx dans son adaptation cinématographique) et d’autre part, vous réconcilier avec l’art littéraire.
Tard dans l’après-midi, le grondement du tonnerre roulant au loin, le même pick-up vert apparut et Jack en descendit, son Stetson cabossé rejeté en arrière. Une décharge brûlante transperça Ennis et il se retrouva dehors sur le palier, refermant la porte derrière lui. Jack gravit les marches deux par deux. Ils se prirent les épaules, s’empoignèrent vigoureusement, le souffle coupé, répétant, fils de pute, puis, aussi facilement qu’une clé tourne dans une serrure, leurs bouches se trouvèrent, se pressèrent durement, les grandes dents de Jack le mordant jusqu’au sang, son chapeau tombé sur le sol, la barbe râpeuse, la salive coulant de leurs bouches, et la porte s’ouvrit. « (p.38)
Annie Proulx fait chanter les mots avec tant de talent qu’on se laisse transporter comme un enfant sur une barque le long d’une rivière, au fin fond du Montana où l’eau scintille et le soleil effleure votre visage. Oui tout ça pour moi ! L’effet doudou, je vous disais :
Il devra peut-être habité chez sa fille mariée jusqu’à ce qu’il ait dégoté un autre job, et pourtant il est envahi d’un plaisir intense parce qu’il a rêvé de Jack Twist.
Le café éventé bout et il le retire avant qu’il ne déborde, le verse dans une tasse et souffle sur le liquide noir, laisse s’échapper un pan du rêve. S’il le laisse flotter, il alimentera peut-être la journée, réchauffera ces temps anciens et froids dans la montagne, lorsque le monde leur appartenait et que le mal n’existait pas. (p8-9)
Inutile de vous raconter l’histoire. Sachez que j’ai lu, non dévoré la nouvelle en deux fois (trajet maison et canapé) et que j’ai passé ma soirée à regarder des photos d’Ennis et Jack et à résister à l’envie de revoir le film. Annie Proulx avait confié qu’elle était tombé amoureuse de ses personnages et je la crois entièrement.
Je ne peux résister à recopier encore ce passage :
Il enfouit son visage dans l’étoffe et respira lentement par le nez et la bouche, espérant y trouver la légère odeur de fumée et de sauge, le goût salé de la sueur de Jack, mais il n’y avait rien à sentir, seulement son souvenir, le pouvoir imaginaire de Brokeback Mountain dont il ne demeurait rien sinon ce qu’il tenait dans ses mains (p.90)
Vous l’aurez compris, ce fut pour moi 94 pages de bonheur. De pur plaisir. J’ai lu entre temps un roman dont j’ai hâte de vous parler (qui se passe en Alaska) et puis j’ai décidé de passer un peu plus longtemps en compagnie d’Annie Proulx, puisque j’enchaine actuellement avec son roman Noeuds & dénouement.
♥♥♥♥♥
Grasset, traduction Anne Damourell, 94 pages
15 commentaires
J'ai hâte de m'y plonger… Jamais lu Annie Proulx, mais ça ne saurait tarder, et je sens que ce sera un immense plaisir.
Et cet abandon, je pari que c'est Aucun homme ni dieu. Je me trompe? À moins que ce soit le recueil de Banks? Éclaire-moi!
Je n'étais pas chez moi ce soir..
Non pas du tout pour l'abandon ! Je n'ai pas dit le titre ? Oh non, je n'ai pas encore lu Banks et ma chronique d'Aucun homme ni Dieu n'ira pas du tout dans cette direction. Il s'agit d'un roman de Coupland.
Pour revenir sur Annie Proulx, j'ai presque fini son roman et je traine un peu (il va me manquer le bougre..) son roman sur les Terre-neuvien te plairait je suis certaine ! Quand tu liras ma chronique tu vas courir l'acheter 😉
94 pages? Sérieusement? Non parce que j'en ai évidemment beaucoup entendu parler mais je n'ai pas vu le film… alors, je me dis que je pourrais éventuellement lire. En tout cas ce que tu en dis me donne forcément beaucoup envie, quel enthousiasme, vraiment 🙂 Puis les passages sont sublimes.
Oui 94 pages, c'est une nouvelle mais d'une puissance assez incroyable ! Après la sortie du film, elle a été publiée seule – tu n'as pas vu le film ? Bon, tu as les photos sous les yeux.. une des plus belles histoires d'amour !
On ne se "connait pas" encore très bien, mais il faut que tu lises la nouvelle et que tu voies le film ! Je suis presque sûre que tu vas adorer.
Je suis très sérieuse, on m'en a énormément parlé, évidemment, mais n'ai jamais eu l'occasion de le voir, ni même de lire l'histoire. Bon après, je me méfie des "plus belles histoires d'amour", on m'a vendu ça pour "les hauts de Hurlevent", et comment dire…. je pense l'exact opposé. Mais je vais te faire confiance 😉 Puis ça ne fera pas de mal à ma culture, dans tous les cas.
Voilà qui va de suite dans ma WL.
Oh les Hauts de Hurlevent, j'ai du le lire à l'âge de treize ans et je n'en ai pas souvenir. Mais oui, tu peux la lire ou regarder le film et aimer ou ne pas du tout accrocher !
La nouvelle est en tout cas merveilleusement écrite et ça c'est déjà un gage de plaisir. Après l'histoire te parlera ou pas…
Fiou pour l'abandon!!! Coupland, je n'ai jamais pu en terminé un, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Annie Proulx et les Terre-Neuvien? Je suis très intriguée…
Bizarre, j'ai un recueil de nouvelles de Proulx chez moi et je viens de vérifier, il y a 40 pages pour ce Brockeback mountain…
la nouvelle a été publiée en premier dans le New Yorker en 1997, puis de nouveau publiée dans un recueil de nouvelles Close Range (dans sa version originale, plus longue) puis en France, il faudra attendre 2001 chez Payot (Les pieds dans la boue) et enfin toute seule (celle que j'ai lue) publiée par Grasset à la suite de la sortie du film.
J'ignore quelle "version" tu as, mais Annie Proulx a bien écrit la totalité de cette nouvelle. Peut-être as-tu celle pour le New Yorker ?
oh tu me rassures, enfin une personne de mon entourage l'adore donc je culpabilisais .. mais là je tournais en rond et le style, bof bof (ou la traduction)…
Oui, Terre-Neuve, le bout du monde 😉
Brockeback mountain… 🙂 Des personnages assez difficiles à oublier. J'aime le film, j'aime la nouvelle, c'est d'ailleurs par elle que j'ai découvert Annie Proulx. Ensuite Noeuds et dénouement. Tellement un beau roman, une atmosphère particulière. Je ne m'arrêterai pas là je veux en lire d'autres!
Brockeback mountain oh my gosh… rien que de repenser a ce merveilleux film, j'ai des frissons ! j'ai la nouvelle dans ma Pal (puff et oui encore) mais tu m'as convaincu de la sortir prochainement, j'en profiterai pour rerererererevoir la film
Oui ne t'arrête pas en si bon chemin ! Quel film et quelle histoire 😉 Magnifique
Oui un des plus beaux films – une histoire d'amour et j'ai tout retrouvé en lisant la nouvelle (ma soeur avait été un peu déçue) alors que moi non, c'est comme si je replongeais dans le film et le style est sublime. Tu vas adorer 😉
[…] en mai 2015 avec Nœuds & Dénouement, un énorme coup de cœur après avoir lu sa nouvelle Brokeback Mountain. Un immense auteur américain déjà récompensé des plus grands prix. Il était donc évident […]
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