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Roseanne McNulty a cent ans ou, du moins, c’est ce qu’elle croit, elle ne sait plus très bien. Elle a passé plus de la moitié de sa vie dans l’institution psychiatrique de Roscommon, où elle écrit en cachette l’histoire de sa jeunesse, lorsqu’elle était encore belle et aimée. L’hôpital est sur le point d’être détruit, et le docteur Grene, son psychiatre, doit évaluer si Roseanne est apte ou non à réintégrer la société. Pour cela, il devra apprendre à la connaître, et revenir sur les raisons obscures de son internement. Au fil de leurs entretiens, et à travers la lecture de leurs journaux respectifs, le lecteur est plongé au cœur de l’histoire secrète de Roseanne, dont il découvrira les terribles intrications avec celle de l’Irlande. À travers le sort tragique de Roseanne et la figure odieuse d’un prêtre zélé, le père Gaunt, Sebastian Barry livre ici dans un style unique et lumineux un roman mystérieux et entêtant.
C’est en lisant un billet enthousiaste (mais de qui?) que j’ai eu envie de lire le roman de Sebastian Barry. Je l’ai lu sans avoir lu quoique ce soit sur l’auteur. J’apprends donc aujourd’hui en rédigeant ce billet que Barry est acclamé en Irlande pour ses histoires qui font plonger le lecteur dans les années douloureuses et violentes de son pays, où les destins individuels sont broyés par cette histoire nationale. Ici, je découvre qu’il a (de nouveau à ce qu’il parait) plongé dans sa propre histoire familiale, en exhumant le passé de sa grande-tante dont il a puisé la matière pour ce roman.
Le roman est porté par deux voix : celle de Roseanne, centenaire, internée depuis des décennies au sein de cet hôpital psychiatrique, oubliée de tous et de toutes et celle du directeur de l’hôpital, le Dr Grene, chargé d’étudier chaque dossier et de voir si certains patients peuvent quitter définitivement cet établissement avant sa démolition.
Mais lorsque le Dr Grene s’attache à retrouver l’histoire personnelle de Roseanne McNulty, il réalise rapidement qu’au fil des ans, les dossiers se sont perdus, les acteurs de son histoire sont décédés et Roseanne elle-même est incapable de lui raconter son histoire. Du moins le pense-t-il, car Roseanne mesure chacun de ses pas, pèse chacun de ses mots et préfère coucher ses souvenirs sur des feuilles de papier qu’elle cache avec soin sous les lattes du plancher.
Mais le Dr Grene vient chaque jour déterminé à comprendre pourquoi Roseanne a passé plus de soixante ans dans un asile de fous alors que tout lui indique qu’elle est normale. Peu à peu, les langues se délient et il découvre l’impensable. Entre les silences, les non-dits, les mensonges, le Dr Grene parvient peu à peu à recoller les morceaux, avec le peu que Roseanne veut bien lui confier.
Née pauvre à Sligo, au nord-ouest de l’Irlande, proche du territoire de Belfast, la jeune Roseanne grandit alors que la première guerre mondiale fait rage et que la guerre civile d’indépendance déchire son pays. Son père protestant, dans un pays dominé par les catholiques, est gardien de cimetière. Sa mère, une femme neurasthénique qui ne parle presque plus, passe ses journées enfermée et endette la famille. Roseanne grandit pourtant aimée et protégée par ce père mais la grande histoire les rattrape lorsqu’un soir des jeunes révolutionnaires apportent le corps de Willy Lavelle, tué par balle. Roseanne part chercher le père Gaunt qui accepte d’enterrer le jeune catholique malgré la terreur qui règne à l’époque. Mais les assassins de Willy débarquent et tirent sur les révolutionnaires, deux sont blessés, le troisième John Lavelle, frère de la victime réussit à s’échapper.
Se répand alors l’affreuse rumeur qu’ils ont été dénoncés par Roseanne. Malgré son démenti, et son jeune âge, 12 ans – le destin de la jeune fille et de sa famille en est irrémédiablement changé. Son père est finalement muté et devient le chasseur de rats communal, puis il est finalement retrouvé pendu alors que Roseanne n’a pas quinze ans. Le père Gaunt vient alors trouver la jeune femme pour lui demander de se convertir à la foi catholique et épouser le nouveau gardien du cimetière, un homme horrible âgé d’une cinquantaine d’années. Pourquoi? Parce que Roseanne a le malheur d’être si belle qu’elle tourne la tête des hommes et porte donc en elle le mal. Mais Roseanne refuse et tombe amoureuse du catholique McNulty…
Je ne vous raconterai pas toute l’histoire, très dense, mais sachez que j’ai aimé la voix de Roseanne qui tente de se souvenir de cette vie gâchée. Je n’ai pas eu le même intérêt pour la récit du Dr Grene qui se penche sur l’échec de son mariage, sur ce sentiment de vie gâchée ou sur ses réflexions sur le système psychiatrique. Il est clair qu’à l’époque, au début du 20ème Siècle, on y enfermait les fous mais aussi tous ceux qui refusaient d’entrer dans le rang. J’aurais aimé qu’il développe plus cette partie de l’histoire que de s’appesantir sur sa vie personnelle. J’avoue que j’ai lu certains passages en mode rapide. A cette époque, le pouvoir de l’Église catholique en Irlande était terrible et implacable. On a tous entendu parler des pratiques des orphelinats ou des couvents. Il en est de même pour les asiles et le Père Gaunt en est ici le terrible serviteur.
L’histoire de Roseanne prend vie peu à peu sous nos yeux. Destin effroyable intimement lié à l’histoire de l’Irlande, une histoire terrifiante mais passionnante. Une jeune femme modeste dont la vie sera broyée par les évènements qui secouent le pays, en proie à la délation, la suspicion et toujours la jalousie. Roseanne a été marquée d’un sceau de malheur et ne peut s’en défaire. Le talent de Barry est de nous fournir les pièces d’un puzzle qu’il convient de restituer au fur et à mesure avec les mots de Roseanne et les informations recueillies ci-et-là par le Dr Grene. Entre souvenirs et réalité, au lecteur de choisir ce qui lui parait le plus juste.
Le Testament caché est un magnifique témoignage sur cette période charnière du pays et sur ces vies innocentes qui ont été détruites à cette époque. Roseanne porte en elle un lourd secret qui sera révélé à la toute fin du roman.
Étrangement, j’ai eu un moment non pas de lassitude, mais d’énervement à l’encontre de cette héroïne à qui il arrive tant de malheurs et qui aurait pu, sans doute à une autre époque, connaître un destin différent si elle avait pris sa vie en main. Car Roseanne, douce et belle, semble accepter tout le malheur et ne cherche jamais à partir ou refaire sa vie ailleurs. A plusieurs reprises, elle aurait pu fuir mais elle semble infiniment liée à Sligo où le fantôme de son père ne cesse de la hanter. Puis j’ai compris que Roseanne avait sans doute hérité du même mal que celui qui rongeait sa mère et qui l’empêchait d’échapper à destin. Roseanne prend ainsi le même chemin que sa mère et ne s’y oppose pas.
Quant à la chute, la révélation du secret, je l’ai trouvée – superflue. J’avoue que j’en aurais préféré une autre, évidemment je suis ravie de voir dévoiler ce secret mais j’aurais souhaité qu’il soit quelqu’un d’autre. Pourquoi? Je l’ignore, le visage d’Eneas McNulty, la vie de John Lavelle – ces hommes passionnants et passionnés m’ont beaucoup marqués. Je pense que ce coup de théâtre n’était pas vraiment nécessaire. L’histoire de Roseanne vaut à elle seule le coup d’œil.
Un roman dont j’ai aimé l’intrication avec l’histoire du pays mais pour lequel j’ai trouvé certains passages assez longs et une fin que j’aurais aimé plus simple.
♥♥♥
Éditions Joëlle Losfeld, traduction Florence Lévy-Paoloni, 338 pages
8 commentaires
Enfin! Un livre qui ne me dit rien, malgré l'intérêt de ton billet (c'est toujours un plaisir de te lire).
Par contre, j'attends très impatiemment tes billets sur "Les filles de l'ouragan" (tu as pris de l'avance sur moi… Il est très loin dans mon challenge USA – j'ai décidé d'y aller par ordre alphabétique d'État. Pas certaine que c'est une bonne idée…) et sur "Le fils", qui continu de me tenter…
Une lecture en demie-teinte, donc. Ce que tu en dis donne, évidemment, envie de connaitre ce secret, mais je ne sais pas si j'ai envie de me lancer dans cette lecture.
À voir, donc.
J'aime énormément l'Irlande et même si ton billet est intéressant, j'avoue que le thème de ce roman ne m'attire pas vraiment… Je vais passer sur celui-là ce qui, soit dit en passant, n'arrive pas très souvent pour les livres que tu présentes 😉
Enfin !!! Il faudra patienter pour le Joyce Maynard (quoique le billet est déjà écrit 😉 )..
Je commence tout juste le "Fils" donc patience !
Par ordre alphabétique ? Ah je n'y ai absolument pas pensé.. mais si tu as déjà envers toi tous les livres, pourquoi pas ?
Pour ce roman, mon avis est en effet mitigé même si avec le recul, j'ai vraiment aimé l'histoire de l'héroïne et toutes les parties sur la grande Histoire – car l'Irlande a connu tant de remous ! Un pays fascinant ..
Oui, le secret qui m'a finalement est, pour moi, superflu car sa vie à elle seule est déjà passionnante et foisonnante. J'ai lu depuis un autre billet qui avait le même ressenti sur cette fin à rebondissement, un peu trop hollywoodienne. J'ai aussi la fâcheuse tendance à m'attacher à des personnages secondaires et donc à être déçue quand ils disparaissent.
Non c'est vrai – c'est à la suite d'un billet enthousiaste et puis l'avoir trouvé par hasard à ma disposition. Comme je le dis à Marie-Claude, toute la partie sur l'histoire du pays est très bien racontée, l'atmosphère et surtout le poids très puissance de l'Eglise à cette époque mais je pense que tu pourrais aussi ressortir frustré de cette lecture 😉
j'ai lu un roman de cet auteur, sans être vraiment enthousiasmée, de fait je vais m'arrêter là…
Il souffrait également de longueurs ? Le bémol vient vraiment du monologue du Docteur sur ses échecs personnels. Le lecteur ne connaît pas suffisamment le personnage pour s'apitoyer sur ses larmoiements.
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