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Une lecture différente et très marquante que celle de ce roman écrit par Eric Maria Remarque, A l’ouest rien de nouveau. Lors de sa parution en janvier 1929, le livre connut un succès retentissant à travers le monde. L’écrivain y racontait la première guerre mondiale vécue par un jeune allemand Paul Bäumer, la guerre des tranchées, les pertes humaines, l’horreur de la guerre. Le livre fut rapidement interprété comme un pamphlet pacifiste contre toutes les guerres en général.
Malheureusement, sa publication coïncide avec l’arrivée au pouvoir des Nationalistes Allemands et l’adaptation cinématographique américaine l’année suivante provoque des émeutes lors de sa sortie en Allemagne. A l’arrivée d’Hitler en 1933, le roman est condamné et ses exemplaires brûlés lors des autodafés en Allemagne. Remarque est considéré comme un traite à la nation pour avoir critiqué l’armée, la guerre et le Kaiser. Il quitte l’Allemagne pour la Suisse en 1933. En 1938, il est déchu de sa nationalité allemande et l’année suivante il s’envole pour les États-Unis. Il part avec Marlene Dietrich, Orson Welles et Bertold Brecht sur le Queen Mary. Pendant la guerre, l’une des ses soeurs est condamnée à mort et décapitée par le régime Nazi pour « atteinte au moral de l’armée ». Il obtient la nationalité américaine en 1947 mais dès la fin de la guerre il retourne souvent en Europe et au début des années 60 il s’installe en Suisse.
Remarque s’inspira de son expérience personnelle pour raconter cette guerre des gueules cassées. A peine les examens passés pour devenir professeur, il est incorporé dès 1916 puis envoyé sur le front de l’Ouest en juin 1917 où il est blessé fin juillet. Sa mère décède d’un cancer la même année. A la fin de la guerre en 1918, Remarque est toujours à l’hôpital militaire. Il sera démobilisé en 1919. Le héros Paul Baümer, 18 ans, incorporé volontaire (Remarque avait été mobilisé) découvre avec effroi la guerre, les tranchées, le gaz moutarde, les corps déchiquetés, les chevaux blessés qui hurlent et galopent les viscères à l’air, le vacarme assourdissant des bombes et des obus, la peur au ventre et l’absurdité à proprement parler de cette guerre.
« Mes mains deviennent froides et ma peau frissonne. Et, pourtant, la nuit est chaude, seulement le brouillard est frais, ce brouillard sinistre qui rampe autour des morts devant nous et qui suce la dernière goutte de vie cachée. Demain ils seront livides e leur sang sera noir et coagulé. »
Si Remarque condamne fermement la guerre en donnant la parole à plusieurs soldats qui s’interrogent sur leur présence, il met en avant la solidarité entre les jeunes recrues. Ces hommes pensent à la sécurité de leurs camarades, même blessés, ils les ramènent et les soignent tant que ce peu. Car à cette époque, on soigne mal, on coupe les membres arrachés. Les hommes tombent les uns après les autres. Remarque n’enjolive pas la guerre ni les sentiments de loyauté – ainsi lorsqu’un camarade, même proche décède, on ne s’attarde pas une seconde à lui piquer ses bottes et sa veste.
J’avoue que la lecture de ce livre a été ardue pour moi tant les combats sont rudes, l’absurdité de la guerre, pensée et voulue par des hommes de pouvoir, est à son paroxysme. Ainsi, Remarque s’attache à condamner ces petits chefs qui martyrisent les recrues, les jettent au trou mais une fois au combat sont incapables de se battre. L’écrivain a un talent fou pour entrer dans le détail de la chair brûlée, des corps mutilés, des visages figés pour l’éternité. Il traduit avec ingéniosité la peur qui vous colle à la peau, la perte graduelle des repères et la perte de l’envie de vivre.
« Les jours passent et chaque heure est à la fois incompréhensible et évidente. Les attaques alternent avec les contre-attaques et, parmi les entonnoirs, les morts s’accumulent entre les lignes. Le plus souvent nous pouvons aller chercher les blessés qui ne sont pas trop loin de nous; mais plusieurs, malgré tout, restent là étendus longtemps et nous les entendons mourir. » (p.113)
J’aurais pu recopier des dizaines de passages tant les mots sonnent justes et vrais. Témoignage formidable de la guerre, il permet de comprendre l’hébétude ressentie par ces jeunes hommes, leur incapacité à retourner dans la vie normale après la guerre, à mieux saisir les cauchemars qui vont les hanter pour la fin de leurs jours. Et à cette époque, personne ne parlait de stress post-traumatique, on rentrait de la guerre taiseux et on reprenait son métier de boucher, de paysan ou d’ouvrier. Et ça m’étonne toujours que vingt ans à peine après la fin de la guerre, ces hommes aient laissé leurs propres fils repartir combattre en Champagne ou en Ardennes.
Le terme de « Sale guerre » prend ici tout son sens. Une lecture donc très difficile mais tellement utile. Ce livre devrait être étudié au lycée à mon sens.
♥♥♥♥
Livre de Poche, Stock – traduction Alzir Hella et Olivier Bournac, 254 pages
8 commentaires
D'autant plus intéressant qu'on a peu de témoignages ou d'écrits de la Grande Guerre côté allemand. Il a continué à écrire aux US, "Après" et quelques nouvelles…
Oui ! Les perdants étaient moins prolixes. Ce qui est frappant c'est qu'ayant lu des témoignages sur la guerre du Vietnam, et on y retrouve les mêmes écueils …
Je l'ai dans ma PAL, toujours pas lu !
Il faut que tu le lises ! Mais quand tu seras de bonne humeur car c'est plutôt triste mais nécessaire et surtout un magnifique plaidoyer pour la paix 😉
C'est une lecture qui marque, oui ! j'en ai encore le souvenir, avec une lecture qui s'était faite dans le cadre de l'école, avec une liste de bouquins à lire dans l'idée de découvrir l"autre, au sens large, avant un échange culturel. une expérience marquante.
Une très bonne idée l'école – pourtant j'étais à Clémenceau mais je ne l'ai découvert que récemment, même si je connaissais le titre.
Je sais pas si tu connais, mais moi j'ai fait toute ma scolarité à Blanche de Castille, à l'époque où c'était encore réservée aux filles uniquement, drôles de souvenirs ^^ Par contre ma petite sœur est allée à Clem.
Ah si je connais, ma meilleure amie de l'époque a été deux ans à Blanche car son père trouvait qu'elle ne travaillait pas assez (elle s'appelle Zora .. drôles de souvenirs aussi pour elle!) moi je suis allée à Clem 😉
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