Se lancer dans la lecture du roman de Philipp Meyer fut un drôle de défi – en premier lieu : la taille et le poids du livre (pas loin d’un kilo), de quoi impressionner et m’embêter, moi qui ai l’habitude de transporter ma lecture partout où je vais. Mais comme chaque grand roman, la magie a fait effet et bientôt je ne pouvais plus le reposer 😉
Roman polyphonique, Philipp Meyer a tenté l’impossible : raconter l’histoire d’un Etat : le Texas à travers ses plus illustres habitants : les indiens Apaches puis les Comanches, les Mexicains (Espagnols auparavant) et enfin les Anglos (les Américains) à travers une seule famille, les McCullough.
Le patriarche, surnommé le Colonel, Eli McCullough est né en 1836 et fut enlevé par les indiens Comanches à l’âge de onze ou douze ans et libéré après plusieurs années. Sa voix est incontestablement la plus forte et la plus passionnante. Le jeune garçon, devenu Tiehteti adopte totalement l’art de vivre des indiens Kotsotekas à une époque où les tribus indiennes régnaient encore sur plus de la moitié du continent américain. Ces indiens chassaient, le bison toute l’année contrairement à leurs cousins des plaines et étaient d’incroyables guerriers. Les enlèvements étaient pratiqués depuis la nuit des temps, ainsi la plupart des indiens comptaient des ancêtres mexicains, d’autres tribus indiennes (Delaware, Kiowa, Apaches), français ou anglos, mais également des hommes noirs. Tous réduits à l’esclavage. Certains, comme Eli McCullough survivaient et intégraient la tribu.
« Toute la tribu avait des captifs pour ascendants (blancs, mexicains, nègres) c’était la tradition Comanche, le moyen d’entretenir la vigueur du sang » (page 306)
Le Colonel finira par retourner à la « vie civile » et aura plusieurs fils, dont Peter qui témoigne ici à époque charnière de la création de l’Etat du Texas, en 1915. Le fils n’a rien hérité de son illustre père, qu’il déteste profondément. Né en 1870, Peter ne connaît que le ranch et l’élevage. A l’époque où les premiers puits de pétrole sont découverts au Texas, et où le prix du baril devient un enjeu économique important (industrialisation, commercialisation des voitures) le Colonel souhaite s’engouffrer dans le marché en rachetant le maximum de terres, et comme ses congénères américains, ils visent toutes celles appartenant à des familles mexicaines (pour la plupart implantées là bien avant eux). Une véritable guerre civile s’empare du Texas, menée de front par les Rangers, ces mercenaires dont le Colonel a fait partie un temps. Des hommes sans foi ni loi. Ce sont leurs plus proches voisins, les Garcia, qui seront les victimes d’un odieux massacre dont Peter n’aura de cesse de culpabiliser. Lorsque des années plus tard, la seule survivante de la tuerie, viendra trouver Peter – celui-ci, qui s’exprime à travers son journal intime, viendra à remettre en cause toute sa vie et juger sévèrement la société texane.
J.A McCullough, Jeanne-Anne est la troisième voix du roman. Née en 1926, l’unique fille de Peter tient plus de son grand-père que de son père – elle ne jure que par le ranch, la terre, les puits de pétrole. La jeune femme montre une force de caractère impressionnante. Envoyée dans une école privée de l’Est, la jeune femme n’a qu’une envie : retourner au ranch monter ses chevaux et trouver du pétrole. Mais cette ambition démesurée a un coût : la solitude. Les McCullough, puissants et riches, ont perdu de vue toute valeur familiale. Ses enfants ont grandi pourri gâtés et préfèrent la vie en ville à celle du ranch, dont J.A est dorénavant la seule habitante, âgée et esseulée. Suite à un accident, J.A voit sa vie défiler devant elle et nous confie sa vie mais également la main mise de l’or noir sur le Texas, la puissance de ces nouveaux riches (on ne peut pas ne pas penser aux fameux Ewing…) et leur volonté d’oublier le passé et surtout leurs agissements plus que discutables.
J’ai vraiment adoré ce roman même si, comme beaucoup je crois, j’ai trouvé que la partie la plus intéressante est celle du Colonel lorsqu’il est kidnappé par les Comanches. Son frère Martin, enlevé avec lui, ne supportera ce sort injuste (et la mort de leur mère et leur soeur). Le Colonel, au contraire, décide de devenir indien et sa ténacité finira par impressionner les Comanches. Ses amis Toshaway (son fils Loup Gras), Escuté, Nuukaru, Pizon vont l’accompagner et lui enseigner la chasse et l’art de faire la guerre. Une période passionnante ! Peter Meyer a fait un travail d’anthropologue extraordinaire puisqu’il détaille avec soin (d’où le nombre de pages du livre..) la vie de ces indiens, leur culture, la chasse, les relations sociales, les mariages, tout y est ! La vie des « otages », esclaves mais aussi les croyances des Comanches (ainsi ils refusent de manger du poisson). Une véritable étude sociologique et historique qui peut, je dois le dire, dérouter certains.
Ainsi, vous voilà membre de la tribu : vous apprendrez à fabriquer des flèches, à tanner la peau de bison, à tuer un animal, à préparer des concoctions, etc.Passionnée par les tribus indiennes depuis mon enfance, ayant eu la chance de vivre quelque temps au Montana où j’ai connu des Blackfeet et des Grosventre (et depuis un ami indien Paiute), je reste toujours admirative de ces tribus. Aussi il est évident que pour moi ces passages restent mes souvenirs préférés du roman.
« Entre deux passages du racloir, je saupoudrais la peau de cendre de bois pour que la soude ramollisse la graisse ; pendant ce temps, on m’envoyait encore chercher de l’eau ou du bois, ou bien j’écorchais, désossais et dépeçais un chevreuil que l’un des garçons ou des hommes de la tribu avait rapporté. La seule chose que je ne faisais pas, c’était réparer ou confectionner les vêtements, encore que les femmes me l’auraient appris si elles avaient pu – elles avaient toujours des mois de retard sur les besoins des hommes : une nouvelle paire de mocassins ou de jambières (compter une peau de bête), une couverture en peau d’ours (deux peaux), une couverture en peau de loup (quatre peaux). Les peaux devaient être découpées de façon à ce que la forme de l’animal épousât celle de celui qui allait la porter, et comme il fallait une journée entière pour préparer une seule peau de chevreuil ou de loup, on n’avait pas de droit à l’erreur « . (p.129)
J’ai beaucoup appris sur les tribus Comanches (connaissant mieux les tribus des Plaines et les Cherokee), leur langue, leurs croyances, leur mode de vie mais aussi leur disparition. Comme j’ai énormément appris sur l’histoire du Texas, j’ignorais cette période où les Anglos ont ainsi chassé les Mexicains propriétaires de ranches.
Bref, une fresque impressionnante, parfois violente, réaliste, épique, fabuleuse, magnifique. Un livre qu’il faut absolument lire – un regard sans nostalgie, sans vernis, sans tentative d’édulcorer le passé, sans remords, ni regrets. Ici toutes les civilisations en prennent pour leur grade, Philip Meyer livre ici une oeuvre unique sur un Etat magnifique (j’ai eu la chance de le visiter à plusieurs reprises), fier, indépendant comme ses habitants.
La preuve ? J’ai trimballé ce livre dans un sac dédié car j’étais incapable d’attendre le soir pour m’y replonger ! Il est évident qu’il méritait d’être finaliste du Prix Pulitzer et j’imagine la fierté de la nation Comanche de voir leurs ancêtres ainsi célébrés. Vous l’aurez compris, un gros coup de coeur pour moi !
23 commentaires
Il m'attend depuis sa sortie. C'est le genre de pavé que je veux dévorer d'une traite alors forcément il va me falloir trouver le bon timing pour m'y lancer.
Ce doit être très intéressant! Je me dis que c'est aussi un sacré pari que de vouloir raconter tout un état à travers une seule famille. Je ne sais pas encore si je le lirai. Il m'attire mais j'avoue que le nombre de pages m'effraie un peu. Je pense comme Jérôme, ça prend le bon timing pour s'y plonger. En ce moment c'est clair que ce n'est pas le moment pour moi, mais c'est à voir pour plus tard peut-être.
j'ai déjà repérer ce roman sur pas mal de blogs , alors il faudra bien que je m'y mette, il sera très certainement à la médiathèque
Oui ça prend du temps ! Car le broché de 670 pages, c'est du lourd mais du bon ! Normalement, tu ne le lâcheras plus donc ça ira assez vite (même si la fin m'a moins intéressée car située dans le présent)
Oui, ne te presse pas ! Mais je pense que ce livre te plairait (je commence à connaître tes goûts) mais tu as raison il faut en avoir envie et avoir le temps !
Oui d'ailleurs je l'ai trouvé à la bibli, dispo ! Il date de la dernière rentrée donc maintenant il est assez disponible.
Il se lit vraiment sans peine, tu confirmes?
Bien aimé, surtout les Comanches, forcément.
Sans peine ? J'ai trouvé certaines parties (celle consacrée à la fille moins intéressante), j'ai aimé celle du fils (et le massacre des Mexicains) donc oui là j'ai "accéléré (mais tout lu) mais sinon, pas de difficulté particulière. Et les Comanches… le pied !!!!
Excellent billet Electra.
Une lecture coup de coeur pour moi.
Merci ! car j'en ai écrit des meilleurs donc j'espère lui rendre justice 😉
Avouerais-je que je n'ai pas accroché ? Je n'ai pas aimé les personnages. Je l'ai abandonné deux fois, mais je l'ai gardé dans un coin de ma bibli au cas où je voudrais tenter une troisième fois. Et si tu dis que tu as adoré…
Mais oui avoue ! Je comprends car comme je le dis je n'ai pas eu d'atomes crochus avec la petite-fille et la vie chez les Comanches m'a énormément plu mais peut dérouter pas mal de personnes car c'est une véritable insertion dans leur vie (d'où mon extrait).
Il est dans la PAL et j'avoue que les avis mitigés ainsi que son poids ont repoussé le moment de le lire, mais ton billet me donne espoir. Je vais probablement le lire un jour! 🙂
Oui les avis mitigés freinent parfois nos envies, mais si tu aimes les grands espaces, l'Ouest, les Indiens et ce sentiment du "tout est encore possible" alors lance-toi ! Par contre, prévois un moment où tu ne seras pas obligée de le trimballer avec toi car tu as raison, il est lourd le loustic ; -)
Tu es une grande tentatrice mais ton avis ne fait que renforcer ce que j'ai déjà lu ailleurs. Il faut s'en donner les moyens, et le temps, mais ce roman doit valoir le détour. j'espère le voir à la bibliothèque un jour ou l'autre!
Oui désolée ! Je l'ai trouvé à la bibli – il n'est plus trop à la mode donc dispo 😉
Voyons! 670 pages, ce n'est pas si lourd! Un petit pavé, quoi! Plus de 800, là c'est du lourd.
Ton billet confirme ce que je pensais: je dois le lire.
Je vais toutefois attendre sa parution en poche, qui ne devrait pas trop tarder.
J'ai lu et ADORÉ son premier roman: Un arrière-goût de rouille.
À lire, un très bon billet là: https://aumontdottans.wordpress.com/category/des-policiers-et-romans-noirs/
Si en broché ! Il frôle 1 kg. En format poche, il va dépasser les 800 pages – pour moi un pavé commence à 600 pages (broché) et j'adore les pavés, mais ceux qui l'ont leur possession m'ont confirmé que c'est du lourd 😉 Le poche sera sans doute plus facile à transporter !
Je ne connais pas son premier roman donc je vais aller voir le lien que tu me donnes ! Oh il me le faut celui-là !
Oui, il faut lire Le fils et je pense que tu vas beaucoup aimé. Le Texas t'attend !
Quel merveilleux roman !!! <3
Ouiiiii <3 <3
Je partage, et comment, ton enthousiasme 🙂 (billet rédigé, à paraître prochainement) !
Ah super ! Hâte de te lire ! Ce Meyer est un incontournable 😉
[…] j’ai lu Le fils de Philip Meyer, qui a fait un boulot incroyable en racontant la vie de l’un de ses […]
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