C’est en flânant en librairie, ou devrais-je dire, en regardant chaque livre (fiction) de chaque rangée que j’ai croisé le premier roman de Matt Lennox, Rédemption. L’auteur canadien est dans la vraie vie militaire et avait déjà été remarqué par la presse après avoir publié plusieurs nouvelles. Son premier roman, The carpenter, titre original, avait croisé mon chemin auparavant en lisant l’un de vous. Je ne sais plus qui. Aussi, en voyant le livre sous mes yeux, je n’ai pas pu résister.
Et surtout, chose rare, je l’ai lu presque de suite – il n’a même jamais connu ma bibliothèque. C’est en relisant la quatrième de couverture ce matin pour rédiger ma chronique que j’ai réalisé que celle-ci induit totalement en erreur le lecteur. Les personnages cités, Lee et Stan, sont bien décrits mais Stan ne pense nullement que Lee est responsable de la mort de la jeune femme. Qui a écrit cette quatrième de couverture ?!
Après 17 années derrière les barreaux, Leland (Lee) King est libéré. De retour dans la petite ville natale d’Ontario où il a grandi, il y retrouve sa famille. Sa soeur, mariée à Barry, pasteur, qui lui a trouvé un emploi et un logement. Leurs trois enfants, dont Pete l’ainé, né d’un autre lit, que Lee n’a pas connu car il est né deux mois après son incarcération et enfin sa propre mère Irène. Cette dernière est malade, atteinte d’un cancer incurable. Lee est bien décidé à tourner la page et a entamé une nouvelle vie. Lui qui a appris le métier de charpentier en prison (et en semi-liberté à Toronto) accepte de travailler pour un ami de Barry dans des maisons individuelles.
Le travail est difficile, l’hiver est âpre et Lee ne compte plus ses heures. Il a arrêté de boire en prison et se tient à carreau. Ses seules distractions sont les repas chez sa sœur qui tient toujours ses distances, les visites à sa mère, hospitalisée, et puis Helen, la serveuse du restaurant où Lee a pris ses habitudes. Lee et Helen commencent à se fréquenter. La vie semble reprendre ses droits. Parallèlement, on suit Stan, tout jeune retraité de la police qui découvre un soir le corps inanimé d’une jeune femme, Judy, dans sa voiture. Un suicide. Stan a du mal à accepter ce verdict sans appel et décide de prendre contact avec la seule famille de la victime, sa soeur jumelle. Il apprend que Judy fréquentait un bon à rien avant son suicide.
Enfin, il y a Pete, 17 ans – le neveu de Lee, qui ignore tout du crime de son oncle et de ses origines (il est né dans une autre ville puis est revenu à l’âge de 8 ans avec sa mère lorsque celle-ci a épousé Barry). Pete grandit dans un foyer très pieu, religieux. Barry prêche à toute heure du jour et de la nuit et tout tourne autour de la religion. Dans cette maison, aucun autre sujet n’est abordé. Pete a grandi dans le silence, ainsi lorsqu’il quitte le lycée subitement – il ne se confie à personne. Il travaille à la station service, possède son propre véhicule et rêve de partir vivre à l’ouest. En rencontrant son oncle, Pete croit enfin avoir trouvé ici un moyen de découvrir qui il est réellement. Mais l’homme en face de lui désire tout l’inverse.
Peu à peu, les langues se délient, le passé ressurgit et chaque personnage voit son destin basculé.
Je ne veux pas en dire plus, sinon que j’ai plongé dans le roman avec une telle facilité que j’en ai été surprise au départ. Puis, j’avoue que j’ai connu quelques moments de doute ; disons qu’habituée à un rythme plus soutenu (et pourtant j’adore Kent Haruf), je me suis surtout insurgée de voir que Lee commençait à lâcher prise, à dérailler. Lee n’est pas responsable mais ses vieux démons ressurgissent et me voilà à penser « Non, Lee ne fais pas ça ».
Ce qui m’a énormément marqué ici, c’est le poids du silence – ce poids assourdissant qui mène chacun à leur perte. Pas uniquement celui pesant comme un fardeau sur les épaules de Lee ou de Pete, mais aussi de Stan ou de Frank, ou d’Emilie dont Pete s’éprend. Ici, on sait mais on ne parle pas. Ce sont juste des silences maladroits, des regards furtifs – qui vous font comprendre que vous êtes « l’un d’eux ». Une petite ville qui a voulu effacer une tragédie ancienne en multipliant les offices religieux. Les églises sont nombreuses, on y passe son dimanche, on y joue de la musique, on parle de Dieu mais jamais des hommes, de la vie.
Et puis j’ai replongé dans ma lecture et les langues se sont déliés, et le malheur a frappé quand la vérité a surgi. Je repense à une phrase magnifique entendue dans le film Oriana Fallaci (vu dernièrement au cinéma) : « la vérité est un comme un acte chirurgical, elle fait mal mais elle guérit ».
Si le titre français, Rédemption, peut porter à confusion – je pense plus à cette vérité qui va finir par surgir et aider l’un des personnages à enfin se délester d’un poids et à croire en l’avenir.
Un très beau roman, sombre, avec une vision des petites villes de l’Ontario que je ne connaissais pas. La découverte d’un auteur dont je ne manquerai pas de lire le prochain roman !
En cherchant quelques infos sur le net à son sujet, j’ai trouvé une photo. Matt Lennox est toujours militaire, il a combattu en Afghanistan à deux reprises – j’ignore si cette expérience personnelle lui a appris à sonder les profondeurs de l’âme humaine, mais le résultat me pousse à penser que oui.
Un roman noir étourdissant.
Livre de Poche, Albin Michel, Traduction France Camus-Pichon, 401 pages
22 commentaires
Beau billet. Déjà sur ma liste de livres à lire depuis un bout de temps. Tu me donnes envie de le lire Electra 🙂
Juste un p'tit coucou en passant. Je vais revenir lire ton billet demain à tête reposée. Ça fait quatre heures que je bûche sur la rédaction d'un prochain billet, et je n'ai pas terminé… Pénible… Et je veux le terminer avant d'aller au lit.
Eh ben eh ben! Est-ce mon changement de look blog qui t'a donné des envies de changement?! En tout cas, d'une façon ou d'une autre, c'est très réussi, comme toujours. J'avais vu cette photo sur ta page fb. Je t'y reconnais (pas la dame sur la photo, mais l'esprit qui se dégage de la photo: la liberté, les voyages, l'aventure). Scoop pas rapport, mais qui a un lien ténu: l'un de mes deux tatouages est une petite avion en papier!
À demain!
Merci ! J'espère qu'il te plaira – il est sombre cependant, sois prévenu !
4 heures sur un billet ? sur un livre ? j'espère que non ! Ma pauvre … bon allez j'espère que tu dors bien en attendant !
Le changement, il ne vient pas que de toi mais d'un collègue qui m'a demandé avant-hier des conseils pour créer le blog de sa femme (et différence entre wp et blogger ..) et là j'ai eu envie de tout changer ! Je change souvent ma bannière ceci-dit mais j'adore aussi ton blog et ton fond d'écran très épuré (pas vu sur blogger)
Pour la dame, c'est une de mes héroïnes : elle représente la liberté et les voyages et l'aventure donc tu as tout bon !
Oh j'adore ton tatouage – je n'aime pas trop les tatouages de rose ou d'ancre enfin, tu vois comme tout le monde donc ton idée de petit avion en papier est géniale 🙂
j'avais déjà noté ce roman , mais je vais le remettre dans ma liste, simplement j'ai lu déjà beaucoup de romans américains de ce style, j'espère qu'il aura sa propre originalité
Oui je te comprends, je lis aussi beaucoup de romans américains ! mais je l'ai trouvé à part et pas mal du tout pour un premier roman !
J'avais aussi bien aimé ce premier roman et je me rappelle de cette frustration en tant que lecteur: on a vraiment envie de rentrer dans le livre et de secouer Lee, de lui dire de se ressaisir. Bref, je lirai volontiers moi aussi le prochain roman de Lennox.
Je ne me rappelle plus si tu avais lu Cataract City de Davidson? J'avais trouvé les deux romans assez proches, avec une préférence pour ce dernier…
Ah oui la frustration ressentie ! Oui, j'espère qu'il va continuer d'écrire !
J'ai Cataract City chez moi, j'attends mes vacances (dans deux jours) pour m'y attaquer.
Typiquement ce que j'aime, tu t'en doutes 😉
C'est généralement bon signe quand on pense : "Non, ne fait pas ça". Ça prouve que l'auteur peut nous surprendre (que rien n'est prévisible).
Et j'avoue que c'est étrange une 4eme aussi loupée, aha.
Très jolie chronique en tout cas.
Oui ! ça va te plaire !
Oui, on s'attache aux personnages et Zarline a vécu le même ressenti 🙂
Oui la 4ème, mais j'ai lu récemment sur un blog la même mésaventure. C'est dingue parce que l'histoire de la fille (suicide) et de Lee n'ont RIEN A VOIR sauf une personne mais Lee n'est absolument pas responsable !!!
J'adore les romans noirs, et je me demande pourquoi je n'ai jamais regardé de plus près celui-ci… Heureusement je ne lis pratiquement rien des quatrièmes de couverture, je préfère lire quelques lignes du roman…
Oh! Encore un billet tentateur… J'ignorais qu'il était Canadien. Je l'avais vu passer, sans m'arrêter. Là, je dois faire marche arrière et mettre la main dessus!
Flâner en librairie, pour nous, c'est souvent, en effet, regarder chaque livre (fiction) de chaque rangée!!!
Le fameux billet qui m'a donné tant de fil à retordre, paraîtra vendredi. Suspense!
Et quel est son nom à cette héroïne sur la bannière?
Pour la tatouages, je ne suis pas non plus fana des roses, ancres, coeur et petits animaux! Vive le minimalisme et l'épuré.
désolée ! oui un Canadien 😉 Contente de voir que tu es aussi méthodique que moi en librairie, d'où la nécessité d'être seule !
Vendredi ?? Oh j'ai hâte !
Mon héroïne : Amelia Earhart <3 <3
Ton idée de tatouage est tout ce que j'aime ! Mais ça ne m'étonne pas de toi !
Je crois qu'à part Zarline, on l'a tous laissé filer ! Moi aussi, je lis toujours quelques lignes du roman pour me faire une idée du style et parfois je repose le livre et d'autres fois, je le garde 😉
Rien que pour la photo de l'auteur, j'ai envie de le lire 😉
Ah merci ! Je vois que nos goûts sont similaires 😉
et moi j'ai découvert sa jolie bobine qu'après ma lecture !
Ce roman est vraiment très beau 🙂
Oui !
Très bel article (essai!!)
On dirait un roman irlandais… j’y arrive après lecture de ton billet sur le premier Goolrick et en effet, celui-là semble bien meilleur !
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