Dans Fin de mission, Phil Klay emmène le lecteur sur les lignes de front de l’Irak et de l’Afghanistan. Il cherche à comprendre ce qui s’est passé là-bas, mais aussi, surtout, comment vivent ceux qui sont rentrés. Entre brutalité et foi, culpabilité et peur, impuissance et besoin de survie, les vétérans cherchent un sens à donner au chaos auquel ils ont réchappé.
Ce recueil de 12 nouvelles m’avait tenté dès sa sortie, mais il ne semblait jamais être disponible à la BM. Phil Klay a choisi l’écriture pour exorciser sa mission en Irak et donne la voix à une dizaine de personnages qui racontent tour à tour leurs missions sur le sol irakien ou afghan.
C’est avec l’Irak, lors du conflit qui avait vu l’entrée en guerre des Américains après l’invasion du Koweït par l’armée de Saddham Hussein en 1991, que les soldats américains ont foulé pour la première fois le sol du Moyen-Orient. 20 ans plus tard, ils y sont toujours. Ils ont ramené avec eux le désormais célèbre PTSD – post-traumatic syndrom disorder. Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) désigne un type de trouble anxieux sévère qui se manifeste à la suite d’une expérience vécue comme traumatisante avec une confrontation à des idées de mort.
Ce trouble se manifeste en une série de symptômes cumulatifs tels que la dépression, des cauchemars, une addiction (drogues, alcool), des accès de violence, isolement, des hallucinations et dans le pire des cas, des idées suicidaires et le passage à l’acte. Des milliers de soldates américains se sont suicidés. Cinq des nouvelles de l’auteur se déroulent lorsque le personnage principal est de retour sur le sol américain. Elles abordent avec intelligence le retour de ces soldats à la vie civile, auprès de leurs proches. Ceux qui semblent avoir été épargnés par la guerre et ceux pour qui le temps s’est arrêté et qui se perdent dans l’alcool, le sexe ou s’engagent de nouveau pour une nouvelle mission, incapables dorénavant de mener une vie normale.
Les autres nouvelles ont lieu sur place, en Irak ou en Afghanistan et mettent en scène toujours ces jeunes soldats (la plupart n’ont pas 21 ans) et leurs réactions face à la mort de leurs camarades, souvent causées par ces foutus EEI (engins explosifs improvisés) disséminés sur les routes par des civils et qui, à défaut de tuer (très souvent), laissent les soldats profondément mutilés comme Jenks dans Histoire de Guerre, ma nouvelle préférée.
Un texte difficile mais passionnant où Phil Klay offre au lecteur des réponses pertinentes sur leurs dévouements, leurs questionnements existentiels, leurs peurs profondes.
Certaines nouvelles m’auront plus touchées que d’autres comme celle de Fin de Mission où le héros rentre au pays et retrouve sa fiancée et leur vieux chien Vicar. Ce dernier mal en point, va lui rappeler leurs jeux morbides en Irak où les GI tuaient des chiens pour s’amuser.
Ou dans Ordres simplifiés lorsque de retour d’une mission où les gars ont perdu l’un des leurs, certains se vantent de leurs succès face aux Haji et d’autres n’arrivent plus à enchainer de simples gestes.
On va se rasseoir, je suis en face de Dyer, et il regarde sa glace fondre sur sa part de cobbler. C’est pas bon, ça. Je lui mets une cuiller dans la main. Parfois, vous devez en revenir aux choses élémentaires.
Et lorsque la guerre fait des victimes parmi les civils, comme lorsque un GI tue un adolescent sous les yeux de sa mère (il cachait un EEI). Un des personnages exprime ici avec ses mots ce que j’ai déjà lu ou entendu sur cette foutue guerre :
Quelqu’un a dit la guerre, c’est 99% d’ennui absolu et 1% de pure terreur Il n’a pas été MP en Irak. Sur la route, j’étais effrayé en permanence. Ce n’est peut-être pas de la terreur pure. Ca, c’est quand l’EEI explose. Mais une sorte de terreur secondaire qui se mêle à l’ennui. C’est donc plutôt 50% d’ennui et49% de terreur ordinaire, qui n’est autre que le sentiment général que vous pourriez mourir à tout instant et que tout le monde de ce pays veut vous tuer. Et puis, bien sûr, il y a ce 1% de pure terreur, quand le rythme de votre coeur s’emballe, que votre vision se resserre, que vos mains deviennent blanches et que votre corps tout entier se met à bourdonner. Vous êtes incapable de penser. Vous n’êtes plus qu’un animal, exécutant les gestes que l’on vous a appris à faire. Ensuite, vous retournez à votre terreur ordinaire, vous redevenez humain, vous vous remettez à penser. (p.53)
Phil Klay n’oublie pas les autres soldats dont on ne parle jamais : ceux qui ne quittent jamais le camp, cantonnés aux services administratifs, à l’aumônerie ou aux services mortuaires comme le héros de Corps qui raconte l’odeur de la mort, les effets des EEI qui déchiquettent les corps comme du papier et leur cantonnement, loin des autres soldats.
On les appelle des POG (person other than grunt : soldat autre que fantassin), ils sont regardés de haut par les GI qui partent au combat. Dans Le dollar une autre arme, un civil est chargé de distribuer des tenues de base-ball aux enfants. J’avoue que cette nouvelle particulièrement longue, m’a quelque peu décontenancé mais l’auteur explique comment le gouvernement américain veut racheter ses atrocités par ces sous-entendues bonnes actions (reconstruction d’une station de traitement d’eaux usées, etc.).
Et ces gamins qui s’engagent si jeunes et écoutent leurs pères leur raconter leur guerre, celle du Vietnam – car Au Vietnam, ils avaient des putes. Mais en Irak point de bordel, point de prostituées. Les militaires sont seuls, pendant sept mois, sans sexe .. parfois traversés par des idées folles alors qu’ils sont au combat.
Et Dieu dans tout ça ? Pour un pays si croyant, pour ses jeunes partis à 18 ans combattre un ennemi invisible, que leur reste-t-il de leurs croyances ? Prière dans la fournaise est une nouvelle sublime où l’aumônier de la base raconte son travail difficile voir impossible auprès de ces soldats. Ainsi, il est passionnant lorsqu’il raconte ses premiers mois dans ses nouvelles fonctions alors qu’il tente de réconforter un père venant de perdre son enfant du cancer dans un hôpital :
Et puis je suis arrivé, après la chimio, après les factures qui les avaient ruinés et les dégâts occasionnés à sa carrière et à celle de sa femme, après les mois de confiance et de désespoir, après que tout les violences médicales possibles eurent dénié à son enfant la moindre grâce, même dans la mort. Et j’osais suggérer que de tout cela était sorti un bien ? C’était insupportable. C’était écœurant. C’était ignoble. Et je ne pensais pas non plus que l’espoir en une vie future apporterait le moindre réconfort à Rodriguez. (p.167)
Phil Klay aborde aussi le retour au pays et dans un tout autre genre oppose deux étudiants d’Amherst : une étudiante bourgeoise noire, convertie à l’Islam et un autre étudiant, ancien soldat de retour d’Irak, au nom à consonance arabe mais qui est en fait Copte (Chrétien d’Orient orthodoxe). Si leur première rencontre vire au conflit, la seconde elle met en avant les croyances de chacun, leurs envies, leurs craintes.
Et puis ma préférée Histoire de guerre . Le narrateur est le meilleur pote de Jenks, un GI revenu du combat, terriblement mutilé, surtout le visage. Ce dernier a accepté de raconter son histoire à Sarah, une comédienne qui veut monter une pièce à partir de témoignages.
Je suis fatigué de raconter des histoires de guerre, dis-je, non pas tant à Jenks qu’au bar désert derrière lui.
L’histoire de Jenks est assez évidente, parce que, fondamentalement, Jenks, c’était moi, avant. On a la même taille, on a grandi dans le même genre de banlieue merdique, on s’est engagés dans le corps des marines en même temps … (..) Maintenant le regarder, c’est comme regarder ce que j’aurais été si c’était mon véhicule qui avait roulé sur cette plaque de pression. Jenks, c’est moi, en moins chanceux. (p.228)
La toute dernière nouvelle, A dix kliks au sud, est aussi touchante. Elle raconte comment un jeune artilleur qui a pour la première fois tiré un obus et fait des victimes côté ennemi, n’arrive plus à dormir et veut voir les corps des insurgés. Il finit par trouver le PRP (la morgue) mais le seul homme présent lui annonce que seules les dépouilles américaines sont amenées au camp et que d’ailleurs, il ferait bien d’ôter son alliance de son doigt et la porter en pendentif avec ses plaques militaires, car il lui devient difficile avec le temps de la retirer des corps des GI…. Tout est dit !
Un magnifique recueil, qui a le mérite d’exposer une fois de plus, les dégâts fait à tous ces soldats. J’ai toujours en mémoire un documentaire diffusé sur Arte (je crois) dont j’ai malheureusement oublié le titre et qui interviewait des soldats revenus avec ce foutu syndrome, la plupart avait déjà tenté de se suicider. Certains parvenaient à exorciser leur passé avec des poèmes ou des chansons. Si quelqu’un l’a vu et se souvient du titre, je suis preneuse !
Fin de mission ****
Ordres simplifiés****
Compte rendu de fin de mission
Corps***
OLI**
Le dollar, une autre arme**
Au Vietnam, ils avaient des putes**
Prière dans la fournaise****
Opération d’influence*****
Histoire de guerre *****
A moins que ce ne soit une plaie aspirante au thorax ***
A dix kliks au sud ****
♥♥♥♥♥
Phil Klay, Nouvelles, Gallmeister, trad.François Happe, 309 pages
National Book Award 2014
Photo by Levi Meir Clancy on Unsplash
10 commentaires
J’ai fait une lecture rapide, car je compte le lire en janvier.
Et ton 5 coeurs me conforte dans mon idée de ne pas tarder!
J’y reviendrai!
Super ! J’en ai trouvé un peu trop longue mais dans l’ensemble, c’est assez impressionnant et certaines me restent encore en tête ….
Heu, il est à la bibli, mais mieux vaut attendre le bon moment, j’ai l’impression. terrible.
J’ai mis une bonne semaine à le lire, ce qui est rare chez moi, m’imprégner de chaque histoire, mais oui ce n’est pas très gai ! Quoique celles sur les deux étudiants qui discutent est vraiment intéressante, et là on est loin « de la guerre » plus dans le discours politique.
pas trop le courage … pourtant il faut lire ce genre de livres.
Je te comprends.. mais au final, c’est très humain, on se prend d’affection pour ces très jeunes soldats envoyés à la pâture.
enfin un Gallmeister qui ne me tente pas du tout ! je n’aime ni les nouvelles ni le lieux où se déroule l’action ! ouf 🙂
Bon, tant mieux pour toi et pourtant les histoires sont belles et humaines, promis ! Mais je suis contente pour mon porte-monnaie quand un livre ne me tente pas non plus !
Le plus beau recueil de nouvelles que j’ai lu l’an dernier. Emballant de A à Z, je te rejoints pour les 5 cœurs !
Oui, j’étais ravie d’avoir au moins un coup de coeur en commun avec toi, surtout que tu as été très concis dans tes choix ! L’auteur a fait quelque chose de très très fort et de très humain.
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