Je n’avais pas vraiment prévu de le lire mais je l’ai vu en bout de rayon lors d’un passage en bibliothèque – me tendant littéralement les bras 😉 J’ai ensuite rapporté presque tous mes livres suite à ma résolution 2016 de ne plus lire que 2 livres empruntés par mois au maximum mais j’ai gardé celui-ci et un autre (billet à venir). Un choix que je ne regrette pas.
Allons tout de suite au but : je l’ai lu en moins de 3 jours. L’avantage d’une météo peu avenante le vendredi, pour céder ensuite grand place au soleil et aux températures clémentes (16°c) mais le livre était plus fort. J’adore lire le matin après le petit-déjeuner.
Henry Shackleford, a douze ans en 1856 au Kansas. Ce petit garçon est élevé par son père, noir, il se soucie peu de sa condition d’esclave. Son maitre, à la réputation douteuse, prend soin d’eux. Henry mange à sa faim et dort au chaud. C’est alors que débarque en ville le légendaire abolitionniste John Brown avec sa troupe de renégats. L’homme a une mission : libérer tous les esclaves. Même ceux qui, au fond, n’imaginent même pas cela possible. Ce chef illuminé tue accidentellement le père d’Henry, et embarque le gosse qu’il prend pour une fille. Affublé d’une robe et d’un bonnet, Henry devient Échalote et ne quitte plus la petite troupe dont il est devenu, malgré lui, la mascotte.
John Brown s’est pris d’affection pour le gosse et le brandit à chaque occasion comme le symbole de l’oppression. L’homme est l’ennemi juré des Sudistes et de l’armée fédérale. Il doit jouer à cache-cache et ne se nourrit uniquement que de vols ou de larcins. La nourriture manque, l’hiver est long et glaçant, les renégats sont des fermiers ou des esclaves en fuite, ou les fils de Brown (il a eu 22 enfants). Échalote regrette son ancienne vie. Le garçon déclare ainsi être plus malheureux libre qu’esclave. Pour information, John Brown a réellement existé. Il a dévoué sa vie à combattre l’esclavage (c’est lui en photo de ce billet). James McBride a souhaité ici lui rendre hommage en revisitant à sa propre sauce l’histoire américaine avec un grand « H ». Dans cette fresque romanesque, on embarque avec la petite troupe pour suivre les dernières actions de ce héros américain totalement atypique.
McBride vous embarque du fin fond du Kansas, puis lors d’une tentative de fuite de Henry, dans un bordel du Missouri (l’état frontière) où Henrietta travaille et tombe amoureux de la seule mulâtre qui ne supporte pas ses congénères esclaves. Puis l’épopée d’Echalote l’emmène dans les beaux salons des philosophes dans l’Est, à Philadelphie ou dans l’Etat de New York, jusqu’au Canada où l’Echalote croise des gens célèbres, tels que Jackson Douglass, enfin il finira sa course dans une ferme reculée de Virginie. Lecteur, vous voilà à bord de cette Amérique qui voit vaciller peu à peu ses fondations et qui sera bientôt secouée par la Guerre de Sécession. Le talent de McBride est de faire de ce récit une épopée extrêmement drôle et féroce. Le romancier possède une verve rarement croisée ces temps-ci chez les auteurs américains. Il n’y a pas de héros chez McBride. Le gosse ne pense qu’à se sauver ou à ses premiers émois (qu’il doit stopper puisqu’il est supposé être une fille pieuse et sage), il se fiche de cet homme blanc qui a pour mission de sauver tous ces esclaves. Le regard de McBride est rafraichissant, comme allégé de tous ces préjugés, le romancier noir ne sauve personne, ne travestit que le héros du roman, mais jamais la vérité. Comme on le dit si bien en français, rien n’est tout noir, ni tout blanc.
Mais si on peut parfois s’interroger sur la réticence de ces esclaves à fuir ou à prendre les armes, on doit se rappeler qu’ils ne possédaient ni argent, ni terre – qu’auraient-ils fait une fois libre? La seule solution : fuir vers le Nord mais en laissant leur famille derrière ? Car la majorité des hommes ou femmes noirs libres avaient leurs épouses ou leurs enfants toujours esclaves. Sans papier, pas de liberté. Sans argent, pas de liberté. La plupart ne savait ni lire, ni écrire. Un monde séparait ces gens des philosophes comme le mulâtre Frederick Douglass dont McBride se plait à tordre l’image. L’homme était précieux et peureux. Pendant ma lecture, j’avais le visage de l’actrice Quvenzhané Wallis en tête.
Enfin, le romancier dresse un portrait truculent de ce John Brown. Petite anecdote : je n’avais pas entendu parler de cet homme dans mes cours de civilisation américaine, mais une fois installée dans le Tennessee (état du Sud), son nom revenait assez souvent, on a même fait une expression. L’homme croyait fermement être un envoyé de Dieu ayant pour mission de libérer les esclaves, même par la force. L’attaque de Pottawatomie au Kansas où il tua 6 esclavagistes et celle contre l’arsenal de Harpers Ferry en Virginie eurent bien lieu. McBride n’invente rien. Aux yeux de tous, Brown est à la fois un martyr (Henry David Thoreau l’admirait), un terroriste, un visionnaire ou un fanatique (Abraham Lincoln ne fit rien pour empêcher sa pendaison et condamnait la violence). McBride réunit les 4 et en fait un personnage fantasque, attachant, fatiguant (ses prières interminables) mais un homme qui ne défaillit jamais et se donna corps et âme à sa mission.
Un excellent moment de lecture, je lui reproche cependant quelques longueurs et surtout quelques redondances, qui chez moi ont toujours un effet négatif. Mais ce livre mérite amplement son succès et sa renommée et redonne à ce fou de Brown ses lettres de noblesse.
♥♥♥
Éditions Gallmeister, trad. François Happe, coll. Americana, 450 pages
20 commentaires
Bon ben je crois que je viens de trouver ma lecture pour le Kansas 🙂 je vais voir s’il y est dispo dans ma mediatheque 🙂
Chez moi il y était, c’est vrai que tu peux le compter pour l’autre challenge 50 états-50 romans (chez moi le Kansas, c’est déjà fait 😉 )
Il est dans ma PAL et je le réserve pour la LC de Mars 🙂 Je ne savais pas que Brown avait réellement existé!
Si ! C’est une figure légendaire mais qui divise beaucoup donc voir un auteur noir le remettre à l’honneur c’est sympa – on en a apprend beaucoup sur cette période de l’histoire américaine tout en s’amusant 🙂 Tu devrais passer un bon moment en mars !
Très bonne chronique 🙂 J’ai adoré ce livre et moi aussi les quelques longueurs ont amené à ce que je ne mette pas de coup de cœur mais ce roman reste une très très bonne expérience 🙂
Oui, on rigole beaucoup – chez moi les redondances (ici la litanie des prières de Brown) me lassent vite, je ne sais pas trop d’où ça vient (c’est pareil en musique…) et je lui mets 3 cœurs mais pas 5. Mais je suis heureuse de l’avoir lue !
Ah mais oui, tu connais la chanson John Bron’s body (je connais depuis le lycée je crois…) (je connais l’air, en plus)
Le chant des braves 😉
j’ai trouvé ce roman trépidant car on y est toujours en mouvement, mais comme toi je lui reproche quelques longueurs (sans doute une cinquantaine de pages en trop)
Je ne connaissais pas du tout John Brown et j’ai découvert qu’il avait existé avec les remerciements de James McBride à la fin du roman…après quelques recherches sur le personnage, j’ai découvert qu’il était également le sujet d’un roman de Russell Banks « Pourfendeur de Nuages », où le narrateur est son fils Owen.
Pareil, je lui reproche aussi quelques longueurs (et redondances) mais sinon trépidant est le bon terme ! On s’y amuse beaucoup, on est en bonne compagnie 😉
Je savais qui était John Brown depuis mon séjour aux States, une sorte d’anti héros moderne, la cause était juste mais pas les moyens ! Je n’ai pas lu Pourfendeur de nuages mais maintenant tu me donnes envie !
Déjà noté depuis le passage de l’auteur à la Grande Librairie (un jour où je la regardais !). Les avis que je lis me confirme qu’il est à découvrir !
J’ai loupé son passage à LGL mais oui il faut le lire, on passe un très bon moment et on apprend plein de choses 😉
Une façon de voir l’abolitionnisme de manière originale
Oui – un bon livre pour mieux connaître ce pays si « neuf » 😉
Je pense que tu parles de Frederick Douglass (et non Jackson Douglass), l’abolitionniste. En effet, son portrait est vraiment gratiné dans ce livre.
Au fait, qu’as-tu pensé de la traduction ? En le lisant, je m’étais dit que le traducteur aurait un sacré boulot.
oh je me suis emmêlée les pinceaux, je corrige ! oui c’est bien Frederick (qui portait le même prénom que l’un des fils de Brown). Oui, quel portrait !
La traduction est vraiment pas mal du tout, sacré boulot en effet et objectif atteint !
Au risque de recevoir quelques tomates, je passerai mon tour, à moins de le trouver d’occasion!
Les quelques longueurs, redondances, et les 3 coeurs l’emportent sur l’intérêt du sujet et le fait qu’il s’agisse d’un Gallmeister.
Et puis, j’en ai appris des choses, en lisant ton billet.
T’inquiète ! Il y a beaucoup d’autres romans à lire et je sais que tu n’en manques pas ! C’était un emprunt de bibliothèque et je n’ai pas particulièrement envie de l’acheter. Mais j’en garde un bon souvenir. Je préfère quand même le nature writing 🙂
Je reviens de chez Eva qui évoque les mêmes faiblesses. Bon, j’ai quand même bien envie de découvrir ce personnage, avec McBride, Banks ou un autre. A voir!
Oh oui tu as raison – il vaut le détour ! quelle vie étrange que cet homme a menée !
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