J’ai acheté peu de livres à la rentrée littéraire, mais je savais déjà que j’allais mettre le roman d’Anne Berest dans mon panier, pour la bonne raison que j’achète ses romans les yeux fermés. J’ai beaucoup aimé La fille de son père, beaucoup moins Les Patriarches et adoré Sagan 54 qui date de fin 2014. Qu’en est-il de celui-ci ?
Emilienne est photographe. Elle cherche un sujet pour un concours organisé dans le cadre des Rencontres de la photographie à Arles. Fille d’artistes, elle se sent un peu gauche, n’a pas supporté la photographie de mariage, ce qui l’intéresse, ce sont les portraits, ceux qui révèlent une part de la personne. Un instant d’inattention de la personne photographiée et la magie opère. Mais pour le moment, la jeune femme végète un peu – sa carrière ne décolle pas et elle préfère admirer sa voisine, Julie. L’archétype de la petite fille modèle que notre héroïne a toujours admiré, « celles dont les barrettes ne glissent jamais de leurs cheveux bien coiffés ». Julie a grandi et a tout réussi : à quarante ans, elle dirige une entreprise, confectionne de merveilleux petits plats et d’un coup de baguette magique, peut rejoindre son mari à l’opéra dans une jolie jupe crayon. Julie a une organisation impeccable, nous confie Emilienne qui est incapable de planifier quoique ce soit à l’avance.
Une faille apparait lorsque Julie n’arrive pas à tomber enceinte – le refus de son corps d’obéir à son souhait va alors fissurer l’assurance de la jeune femme, et mettre en doute le contrôle absolu qu’elle exerce sur sa vie. Mais le miracle se produit et comme le dit sa voisine « Sa grossesse fut exemplaire (…) et ce fut une mère professionnelle qui partit à la maternité, sa valise en Liberty associée à son vernis à ongles rose pâle. Le samedi suivant, je la vis revenir avec son bébé dans un berceau en osier, aussi fraîche et souriante que si elle rentrait du marché avec la plus belle pièce du boucher ».
Puis une nuit, Julie vint sonner à sa porte pour lui déposer précipitamment son enfant. Le lendemain, Emilienne apprit qu’elle était internée à Sainte-Anne. Adieu, la femme parfaite.
Le médecin avait diagnostiqué « un épuisement maternel aigu ». Lors d’une visite, Julie se confie de la pression subie en tant que femme du 21ème Siècle. Emilienne vient de trouver le sujet de son exposé : la femme parfaite. Elle demande alors à l’époux de Julie de lui citer la femme qui incarne l’idéal féminin à ses yeux, sa première réponse est Julie Andrieu, mais la deuxième est une femme, une « Sainte » selon Julie qui vit non loin de Nantes, à Machecoul. Une certaine Marie Wagner .. Emilienne va alors entreprendre un périple où elle va demander à chacune de ses rencontres, le nom d’une femme « parfaite » en faisant le portrait de son interlocutrice. Ou du moins en tentant de le faire .. car forcément, rien ne va se passer comme prévu.
Ces entretiens vont amener des dialogues sur la condition féminine d’aujourd’hui, sur ce qu’attendent les femmes, sur les multiples conceptions de la féminité : ainsi l’une d’elles lui confie que la pression d’être « maigre » date de la prise de pouvoir des femmes de leurs propres corps – avant, dit-elle, les magazines vendaient les robes aux époux selon leurs goûts (taille fine mais formes voluptueuses), dorénavant les femmes s’achètent leurs propres vêtements et veulent gommer toute forme de féminité qui les sépare des hommes : ce fameux embonpoint au niveau des hanches et des fesses…
Mais le talent d’Anne Berest est aussi de raconter des échanges plus savoureux, son héroïne aime un peu trop l’alcool et certaines soirées tournent à l’ivresse – une ivresse bienvenue où les propos fusent, bien loin du quand dira-t-on, et où les femmes s’expriment sans inhibition, plus librement.
Je voulais montrer au monde entier comment mes yeux voient Georgia, j’ai fixé un amour impossible, j’ai cloué sur du papier nos visages défaits comme des lits après l’amour.
La femme parfaite, si elle existe, apparait de mille et une manières. Personne n’a en tête la même définition de l’idéal féminin, même si de nos jours, une image assez nette est distillée dans les magazines : Julie. Fatale erreur. Emilienne retourne la voir, peu à peu Julie remonte la pente et va bientôt identifier une des sources de son mal-être. Anne Berest dresse un portrait vivifiant des femmes, de tout âge, de la midinette de seize ans qu’elle prend en stop à cette Georgia dont elle va s’amouracher, à cette Marie Wagner, petit femme frêle de cinquante amoureuse d’un jeune ingénu aveugle de vingt ans ..
J’ai beaucoup aimé ce roman, prendre la route avec Emilienne, comme enfant, elle l’avait fait, avec ses parents saltimbanques. Et j’ai vraiment aimé retrouver la plume d’Anne Berest. Son style m’enchante toujours. Incisive, directe, drôle, elle apporte un je-ne-sais-quoi à mon monde littéraire. Comme Justine Lévy, je suis une grande fidèle. J’espère que son prochain roman arrivera plus vite !
♥♥♥♥
Editions Grasset, 298 pages
© Photos copyright : la photo en une de ce billet est signée Julia Margaret Cameron qui est citée dans le roman. Installée sur l’ile de Wight, elle fut l’une des premières femmes photographes et choisit de surcroît de faire des portraits (dont ceux de Charles Darwin, d’Alice Liddell, et de sa nièce Julia Jackson, la mère de Virginia Woolf). Tout comme Christer Strömholm dont la série « Women are beautiful » sur les femmes de Pigalle inspirèrent la narratrice sur son idée de la femme idéale .
20 commentaires
Ce nom et ces romans me sont inconnus. Tu viens de titiller d’aplomb ma curiosité. Voilà une auteure que j’ai très envie de découvrir. Je commence par quoi?
Je te conseille « La fille de son père » que j’avais beaucoup aimé. Je n’avais pas du tout accroché aux Patriarches – Sagan 54 est une biographie de François Sagan et ce roman est très bien, et confirme son talent qu’elle dévoilait dans « la fille de son père » 🙂
Merci! C’est noté.
🙂
Il me tentait, tu confirmes !
Oui! Je l’ai acheté sans réfléchir et aucun regret, très belle plume !
Curieusement Bellevue, son dernier, est à la bibli, mais pas celui ci, dommage! Figure toi que je lis de plus en plus de romans français (et j’aime), c’est bizarre…
Ah, ben alors on se rejoint ! Il y a deux ans, mon blog ne parlait que de romans étrangers ! C’est vraiment grâce aux blogs que j’ai découvert les romans français 🙂
Il est dans ma WL, et comme Hélène, tu finis de me convaincre!
C’est une superbe chronique, et la citation choisie est parfaite : « Je voulais montrer au monde entier comment mes yeux voient Georgia, j’ai fixé un amour impossible, j’ai cloué sur du papier nos visages défaits comme des lits après l’amour. »
Oui, tu m’en avais soufflé mot !
Merci ! Je viens de la relire (écrite il y a une dizaine de jours) et j’étais apparemment bien inspirée et tu as raison la citation est magnifique 🙂
Une auteure dont je n’ai jamais entendu parler. Mais tu la vends bien !
Ah bon ? On a parlé d’elle pour son roman sur Sagan et son tout premier roman. Merci si je la vends bien ! Elle le mérite amplement 😉
Oh, tu me tentes !
Tant mieux !
j’ai aimé, surtout le début, après je me suis un peu lassée…
Ah ? Moi non, j’ai trouvé les rencontres intéressantes mais on a tous des lectures différentes
Ton enthousiasme est plaisant ! je note donc 🙂
Je lis peu d’auteures françaises mais ici je suis fidèle (même si je n’avais pas aimé son second roman)
Je ne connaissais pas… Mais maintenant c’est sûr je veux le lire !
Pour l’instant je me fais l’image de la femme parfaite à la Bree Van de Kamp, et ça a quelque chose d’assez drôle…
Ah oui cette chère Bree, et bien je crois que dans la série, elle finissait par craquer, non ?
J’aime beaucoup Anne Berest, j’espère qu’il te plaira !
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