Attention, un énorme ♥ pour ce roman ! Le titre n’est pas la traduction littérale du titre original, The turtle warrior, que je trouve plus poétique et qui, une fois le livre lu, nous parle plus. Mais il est vrai que l’auteur dresse ici un portrait du Wisconsin tel qu’il mérite d’en devenir le titre.
Mary Relindes Ellis commence son roman en l’an 2000, mais très vite elle nous fait remonter le temps – au milieu des années 60, dans les contrées méconnues du nord du Wisconsin où une famille survit, en vase clos (ou presque) depuis des années. La mère, dont la déchéance la pousse à l’excès et parfois à la limite de la folie, le père, un homme alcoolique et violent et les deux fils, qui conjurent à leur manière la violence familiale en se réfugiant dans une nature nourricière et protectrice.
Pour fuir les accès de colère du père, les fils ont pris l’habitude d’aller se réfugier dans les bois ou près de la rivière. Car ces terres leur offrent un sanctuaire où ils peuvent se ressourcer et s’y sentir protégés. Ils y pansent leurs blessures, physiques et psychologiques. L’ainé, James, grandit vite, toujours flanqué de son meilleur ami, il aime faire les quatre cents coups. Au grand désarroi du petit frère, Bill, un garçon très émotif – il recueille tous les animaux blessés ou abandonnés, des souris aux couleuvres, sa chambre se transforme en infirmerie. Les deux frères ont sept ans d’écart et l’ainé n’a qu’une idée : s’évader le plus vite de cet enfer familial.
Chaque jour est une épreuve : le retour de l’usine de son père, ou plus exactement d’un bar où le père va dépenser sa paie en boissons. Incapable de labourer la terre, celui-ci est parti travailler en ville. Une moindre remarque de sa part est impensable, le mari ayant la main leste. Ainsi, son épouse, esseulée, a peu à peu laissé mourir en elle l’espoir d’une vie meilleure. Son seul échappatoire est lorsque ses enfants et son mari sont absents, elle en profite pour parcourir une partie de ses terres en parlant à voix haute. Ce comportement étrange a alerté les Morrisseau, les seuls voisins de la famille. Ces derniers forment un couple fusionnel mais dont la vie a refusé de leur donner un enfant. Le mari, de sang mêlé (indien) et son épouse ont peu à peu pris sous leurs ailes James et Bill face au désoeuvrement parental. Ils leur offrent tout l’amour et la bienveillance dont ils ont besoin mais cet équilibre fragile va éclater.
James, l’ainé, est surnommé Elvis car il ne jure que par sa musique et celles de Roy Orbison ou encore de Jerry Lee Lewis ce qui énerve profondément son père qui ne se reconnaît pas dans ce fils trop soucieux de son apparence et qui ose lui tenir tête. Depuis peu, l’ainé prend la défense de sa mère. Aussi le père est-il ravi d’annoncer au Morrisseau que James s’est engagé dans l’armée, comme lui auparavant en son temps. Mais nous sommes en 1968….Un jour, on vient frapper à la porte et on annonce à une mère que son fils est porté disparu. Le petit Bill a tout entendu. Son monde s’écroule.
La narratrice, c’est désormais elle. Elle qui raconte sa vie, sa jeunesse, son école privée, son physique plutôt agréable et puis sa rencontre avec cet homme à un bal organisé pour les vétérans, le charme de ce brun ténébreux, les promesses d’une vie facile et heureuse et puis peu à peu la déchéance, l’isolement, les premiers coups. Et on comprend peu à peu que la folie est parfois le seul refuge à la cruauté humaine.
Mary Relindes Ellis livre un roman magnifique, sublime et profondément humain. J’ai eu peur, je l’avoue, de tomber dans le mélodrame, mais c’est l’opposé qui se passe. L’écrivain ne tombe jamais dans le pathos ou la guimauve, autre écueil de ce genre de roman. Ici, on est en Amérique et les hommes restent des hommes : on chasse, on parle peu et on grandit sans se plaindre. C’est ainsi que Bill grandit, le jeune homme est un géant, près de deux mètres – les années passent mais l’ombre de James continue de planer sur les deux fermes et la vie n’a jamais repris son cours.
Je n’en dirais pas plus mais sachez que la rédemption viendra – inattendue et moment très fort du roman.
Je dois avouer, j’ai aimé ce roman de bout en bout, qui n’est fait que de moments forts 🙂
Un roman qui m’a littéralement pris aux tripes, une déclaration d’amour sublime à la vie et à son pouvoir de rédemption, à la résilience. Une chronique humaine d’une profondeur qui m’a vraiment impressionnée et une maîtrise du récit de bout en bout. Une ode à la nature et à son pouvoir guérisseur.
Un roman choral maitrisé où chaque voix a son rôle – moi qui suis si sensible à cet exercice, ici je suis impressionnée. Chaque personnage a été travaillé, étudié et animé avec un tel amour, j’en reste pantois.
Un premier roman impétueux et obsédant – oui, obsédant – je suis partie dans les terres du Wisconsin et je ne les ai pas quittées.
J’ai dévoré le roman en à peine une journée, incapable de reposer le livre, incapable de quitter ces êtres écorchés vifs mais terriblement émouvants.
Un roman à lire, très vite.
♥♥♥♥♥
J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge 50 États 50 romans, État du Wisconsin.
Editions 10/18, The turtle warrior, trad.Isabelle Maillet, 448 pages
26 commentaires
Vilaine! Une fois de plus, impossible de passer mon chemin. Je l’ai vu aujourd’hui même en librairie d’occasion. Je craignais la guimauve et la dentelle. Me voilà rassurée. Je vais y retourner demain. Pas le choix! « Bohemian Flats » aussi me tente bien. Mais après celui-ci.
ah tu l’as vu aujourd’hui ? Oh le signe ! et comme toi je craignais la guimauve et la dentelle, et bien non ! tout le talent de l’auteur c’est bien d’y échapper – attention, une fois le nez dedans, tu ne pourras plus le reposer 🙂
Je vais me renseigner sur Bohemian Flats 😉
J’aime les écorchés, j’aime les histoires gamins qui n’ont pas beaucoup de chance, j’aime les mères un peu folle, j’aime les histoires de famille… tu crois qu’il pourrait me plaire? 😀
LOL – tu rends l’exercice difficile … euh si je réponds « oui » tu me crois ? 🙂
*folles (Fanny, tes accords bor***) 😀
Allez, je te crois et je te remercie pour ce titre de roman qui rejoint les quinze mille autres…
De rien
Eh bien, quel bel enthousiasme ! Il y a tout ce que j’aime du Grand Roman Américain dans ce roman on dirait, tous les ingrédients subtilement traités. Je me note ça quelque part parmi les nombreux titres prévus pour l’été…
Oui ! pourtant les histoires de famille ne sont pas mes préférées mais ici le choix est judicieux – ah oui cet été ..la liste est longue 🙂
Je l’ai lu en 2013, j’avais bien aimé sans que ce soit un gros coup de coeur, j’avais trouvé certaines parties un peu trop longues, et préféré la partie enfance, mais bien aimé tout de même.
Ah oui moi j’ai tout aimé et la deuxième partie sur la présence du frère aîné et l’impact sur la famille toute entière
Hou la hou la! Sans doute n’ai je jamais vu ce livre, sinon il a tout pour me plaire…
Je le crois en effet !
rôoo et moi qui devais faire des économies !! je l’avais déjà repéré mais j’avais peur qu’il joue trop avec le pathos et qu’il fasse couler mon mascara . Bon tant pis je vais acheter du waterproof !!!
zut pas vu ta réponse ici mais sur FB ! oui bon il est en Poche et j’ai eu les mêmes craintes que toi ! On a les mêmes réactions 🙂
Ah la la! Tu me tentes… 🙂
J’espère bien
Typiquement le genre d’histoire que j’aime !
Impossible de faire l’impasse après avoir lu ton billet, d’autant plus qu’il me semble bien que j’ai ce roman quelque part…
ah ? tu l’as caché sous une pile d’autres livres 🙂
Je pense qu’il va te plaire – connaissant un peu tes goûts !
Je l’ai vu en librairie et j’ai hésité à le prendre… ce sera pour une prochaine fois 😉
ah ! moi aussi ça m’arrive de regarder un livre et hop de trouver ensuite une chronique qui me dit que j’aurais du le prendre ! mais ça peut attendre 🙂
Fichtre ! C’est diablement tentant !
oui hein ? 🙂
Acheté et pas encore ouvert …cela ne saurait tarder!
Ah ! Quel heureux hasard !
A lire vite, très vite, alors qu’il prend la poussière dans ma pal depuis… pfffff, bien trop longtemps !
ah bon ?? tu l’avais là chez toi, sous les yeux ?? bon tu es pardonné 🙂
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