Le verger de marbre • Alex Taylor

par Electra
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Il me tardait de plonger dans le Kentucky rural et de retrouver la collection Néonoir de Gallmeister – c’est chose faite avec le roman d’Alex Taylor, un premier roman intitulé Le Verger de Marbre. Je ne sais pas ce qui se passe mais en l’espace de deux mois, j’ai lu plus de premiers romans qu’en trois ans, et j’ai eu autant de coups de cœur !

Le Kentucky a deux visages : celui des courses hippiques et de la jolie ville de Louisville (où j’ai séjourné) et le Kentucky rural, celui que nous présente Alex Taylor. Son lieu de prédilection ? La Gasping river qui déploie son cours au milieu des falaises de calcaire et de collines de champs de maïs et de soja.

C’est dans ce lieu reculé que vivent les Sheetmire – le père, Clem, conduit depuis toujours le ferry qui permet de traverser la rivière dans les deux sens. La construction du pont a dévié une partie de la clientèle, mais les locaux continuent d’utiliser le bac. Clem emploie son fils Beam, un jeune homme introverti, qui se pose depuis quelque temps des questions sur ses origines (il ne ressemble à aucun Sheetmire). Un soir un homme lui demande de traverser mais une fois à bord il refuse de le payer et essaie même de lui voler la caisse, Beam le tue accidentellement. Paniqué, il court voir son père. Ce dernier reconnaît la victime : il s’agit du fils de Loat Duncan, le plus célèbre malfrat et bandit de la région, un assassin notoire. Son fils venait de s’évader de la prison. Clem décide de faire passer l’accident pour une noyade et demande à son fils de fuir les lieux.  Mais forcément rien ne se passe comme prévu …

Un roman d’une noirceur profonde qui m’a de suite pris aux tripes. Que dire de la prose incandescente d’Alex Taylor ? Je comprends mieux l’engouement de Daniel Ray Pollock pour ce premier roman. On y retrouve ici la même verve que Daniel Woodrell, un de mes auteurs préférés. Un thriller où l’on sait dès les premières pages que ce lieu est une prison en soi et qu’on n’y échappe pas….  Ce sont les ténèbres qui attendent les personnages. Cette région, oubliée de tous a été laissée aux mains du Diable. Vous aurez compris, tout ce que j’aime !

Le shérif (Elvis) est bientôt sollicité pour enquêter après la découverte du corps et le romancier alterne entre les personnages : Beam, son père, sa mère Derna ou l’infâme Loat qui lance ses hommes de main aux trousses du jeune homme et enfin le Shérif.  C’est un choix narratif parfait qui permet de suivre l’ensemble des protagonistes et d’avoir une vue d’ensemble sur l’histoire. La réussite du roman tient à la profondeur des personnages, à leur épaisseur. Ils vous prennent dans leur filet et ne vous lâchent plus. Qu’ils soient les supposés gentils de l’histoire ou les méchants. Ils semblent avoir tous été envoyés à la naissance dans ce purgatoire, dont peu réchappe au final. J’ai cette image de Twin Peaks ou de la série Wayward Pines : ces endroits où l’on pénètre mais dont on ne peut plus ressortir. Comme une quatrième dimension. Une chape de plomb recouvre cette région.

Pour un premier roman, Alex Taylor offre une prose magnifique à un roman noir dont l’ambiance lugubre ne vous lâche pas, on tourne les pages en espérant une forme d’échappatoire mais le romancier maintient la chape en place.

Alex Taylor a réussi à maîtriser son roman de bout en bout. Ainsi, rien n’est moins travaillé : les dialogues sont incisifs et ciselés et même si je l’ai lu en français, j’entends leur accent sudiste trainant, comme celui du Tennessee où j’ai vécu.

Et puis, il y a le lieu et les descriptions – cette rivière qui symbolise le passage : de la vie à la mort, de la liberté à l’enfermement. Et le talent de Taylor qui nous offre de grandes envolées lyriques qui vous saisissent à la gorge on sent l’odeur de la terre, l’odeur de la bière, de la sueur – on entend le ressac, le chant de la rivière. On est alourdi par la moiteur et la chaleur qui frappe cette région. Et puis, Taylor décrit de manière impressionnante la pauvreté et la misère (économique ou intellectuelle) de cette population. Ces laissés pour compte. Le roman m’a fait penser à une pièce de théâtre : il y a très peu d’unités de lieu, la rivière, la maison de Beam, celle de Loat et le fameux bar où l’on vient jouer, coucher avec des prostituées et parfois perdre la vie. On n’a pas envie que notre GPS nous lâche dans ce coin-là, on aurait trop peur de pousser la porte de cet endroit. On n’y serait pas les bienvenus. Croyez-moi !

J’ai découvert qu’Alex Taylor vit à Rosine, dans le Kentucky. Qu’il a fabriqué du tabac et des briquets, démantelé des voitures d’occasion, tondu des pelouses de banlieue et été colporteur de sorgho pour différentes chaînes alimentaires !  Mais l’homme est désormais professeur de littérature. Il a publié un recueil de nouvelles (non traduit à ce jour), The name of the nearest river, salué unanimement par la critique (et que je viens de me procurer).

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge 50 États 50 romans, État du Kentucky.

♥♥♥♥♥

Éditions Gallmeister, Neonoir,  The Marble Orchard, trad. Anatole Pons, 288 pages

Et pourquoi pas

17 commentaires

keisha 10 octobre 2016 - 8 h 41 min

Quel enthousiasme! Chez Gallmeister j’ai lu du noir très noir, ça a l’air de la même veine. Bon, à voir.

Electra 10 octobre 2016 - 10 h 36 min

Oui, du très très noir comme le bon café et une très belle écriture ! encore une découverte 😉

EVA 10 octobre 2016 - 11 h 35 min

oh comme ton billet me donne envie 🙂 C’est un des deux Gallmeister que je vais lire bientôt avec L’Heure de Plomb et j’ai vraiment hâte ! (enfin, peut-être trois, si je me décide à lire le nouveau David Vann^^)

Electra 10 octobre 2016 - 11 h 45 min

Ah super ! J’espère que tu auras autant de plaisir que moi ! J’ai vu que tu lis plein de livres que je veuxl lire aussi mais tu lis trop vite !

Edwige Mingh 10 octobre 2016 - 23 h 01 min

Je viens de terminer « L’Heure de plomb » : je le conseille évidemment. Il y a des références fréquentes à Emily Dickinson (que je lis depuis toujours) et Wendy (un des personnages principaux) lit Camus ! De plus, nous rencontrons Bruce Holbert himself cette semaine ….

Electra 10 octobre 2016 - 23 h 03 min

Oui il me le faut ! Je le vois sans arrêt un bon signe quelle chance !

Jerome 10 octobre 2016 - 12 h 31 min

Dans ma pal celui-là, tu penses bien ! En plus la référence à Woodrell me parle, tu penses bien 😉

Electra 10 octobre 2016 - 14 h 06 min

Ah oui ! je ne suis pas étonnée qu’il soit dans ta PàL – ils en cachent de bons auteurs dans leurs montagnes 🙂

Marie-Claude 10 octobre 2016 - 17 h 32 min

Et moi qui pensais passer mon chemin… Après la lecture de ta chronique, penses-tu que je serai capable?! Ben non. Impossible. Vilaine….

Electra 10 octobre 2016 - 18 h 00 min

Yes ! Non tu n’as pas le droit de passer ton chemin ! ce livre est une pépite et tu vas t’attacher aux personnages, je le sais déjà ! allez enfile tes bottes et saute sur le ferry 🙂

Marie-Claude 11 octobre 2016 - 0 h 01 min

À vos ordre, m’dame.
Et je vois que tu lis Craig? Punaise, tu vas me faire mourir!

Electra 11 octobre 2016 - 7 h 02 min

Bien tu te mordrais les doigts de passer à côté de celui-ci et pour le Craig oh c’est du bon

La Rousse Bouquine 11 octobre 2016 - 15 h 10 min

Un peu trop sombre pour moi pour le coup je pense…

Electra 11 octobre 2016 - 15 h 37 min

Oui, il est effectivement sombre – pas de happy ending, mais il reste lumineux tout du long.

Laure 12 octobre 2016 - 18 h 02 min

Du noir très noir, c’est exactement ce que j’aime ! Je l’ai déjà noté ce titre, il faut maintenant que je lise, et tu me donnes sacrément, mais alors sacrément envie 😉

Electra 12 octobre 2016 - 18 h 19 min

Ah merci ! Si tu aimes ça tu ne vas pas être déçue et une très jolie prose

Dead Boys – Tombée du ciel 12 décembre 2016 - 0 h 03 min

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