The Boston Girl • Anita Diamant

par Electra
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Ce roman m’est arrivé entre les mains un peu par hasard – après l’avoir vu ci et là sur la blogosphère et surtout l’avoir croisé en bibliothèque dans la section réservée aux livres anglophones. J’avoue que je trouvais la couverture fascinante et que j’avais envie de découvrir qui était cette Addie Baum. Un nom que je trouve chantant et séduisant.

Le roman d’Anita Diamant, auteure que je n’ai jamais lue se présente sous une forme narrative atypique : la transcription du témoignage vocal (enregistré sur un magnétophone) d’une femme âgée de 85 ans, Addie Baum.  Cette dernière a souhaité ainsi répondre à sa petite-fille, Ava, qui voulait savoir comment elle est devenue la personne qu’elle est aujourd’hui.

Addie Baum se confie. En 1900, l’année de sa naissance à Boston, ses parents juifs viennent d’immigrer d’Europe de l’Est, pour fuir les Pogroms. Son père travaille en usine et Addie grandit au côté de ses soeurs ainées, toutes deux déjà adolescentes, Betty et Célia. Leurs noms ont été américanisés – leurs parents ne parlent que Yiddish et vivent très chichement. Ils partagent tous une seule pièce et des toilettes communes. Les temps sont difficiles. Célia travaille dans un atelier de couture pour un M.Levine, un autre homme juif. Leurs parents ne s’entendent pas. Leur mère est dévorée par la rancoeur, elle ne cesse de reprocher la mort de son fils (décédé nourrisson en mer alors qu’elle traversait l’Atlantique pour rejoindre son époux) et leur mode de vie « trop américain ». Elle regrette son jardin et les choux qu’elles cultivaient. Elle déteste l’Amérique et les goys. Très vite, Betty quitte l’appartement, jetant l’opprobre familial sur elle.  A l’époque, les jeunes femmes juives ne quittent le domicile familial que pour suivre leur époux. Addie grandit auprès de Célia, une jeune femme nerveuse, qui parle très peu. Elle surprend tout le monde le jour où elle annonce ses fiançailles avec M.Levine. L’homme qui approche de la quarantaine est veuf et père de deux jeunes garçons.

In 1915, there were four of us living in one room,” she begins. “We had a stove, a table, a few chairs, and a saggy couch that Mameh and Papa slept on at night.

Addie va ainsi nous embarquer sur son enfance, puis son adolescence – son amour pour la lecture grâce au fameux club de lecture qui lui ouvrira les portes de la ville de Boston. C’est son amour des lettres qui la guidera vers son indépendance, malgré l’autoritarisme de sa mère et les malheurs qui viennent frapper sa famille au fil des ans.  La première guerre mondiale, la tuberculose, la grippe espagnole, le maccarthysme qui fait des Juifs des coupables idéaux…  La mort fauchera plusieurs membres de sa famille.  Addie est cependant déterminée à réussir malgré tout et elle sera assurément une des premières féministes de son temps. Une Boston girl ? Oui, car son parcours va lui faire côtoyer le tout Boston – le portrait de cette ville, de ses habitants, entre les familles prospères (WASP), la communauté irlandaise, italienne et cette communauté juive qui se divise entre ceux qui veulent s’adapter au Nouveau Monde et ceux, qui comme les parents d’Addie, refusent toute forme de modernisme est ce qui m’a le plus plu dans ce roman.

J’ai été touchée par la description du microcosme familial – et surtout par cette mère qui, il faut l’avouer, est vraiment horrible. Malgré la venue au monde de ses petits-enfants, l’amélioration de leurs conditions de vie (une maison avec tout l’équipement), rien n’y fait. Elle ne cesse de rabâcher qu’elle aurait souhaité ne jamais prendre le bateau et rester vivre dans cette cabane, sans commodités, avec de la terre au sol, au fin fond de la Russie. Elle n’aime personne, pas même la communauté juive de Boston qu’elle juge immorale. Elle est pieuse et pense qu’elle est la seule à vivre selon les lois du Talmud. J’avoue qu’elle m’a tapé sur les nerfs bon nombre de fois. L’auteure est douée pour faire ressentir au lecteur cette pression permanente subie par Addie et sa famille, vivant sous la coupe permanente de cette femme aigrie. Celle-ci ne comprend pas pourquoi son époux soutient Addie dans son désir de faire des études car « elle coûte de l’argent au lieu d’en rapporter » et depuis le départ de Célia, les temps sont difficiles.

She’s already ruining her eyes from reading. No one wants to marry a girl with a squint.

Addie est attachante mais j’ai trouvé sa vie trop « fabriquée« . J’espère me faire comprendre : son personnage semble avoir été créé de toutes pièces pour porter ces quatre-vingt cinq années – comme Forrest Gump – ces personnages qui vont traverser l’histoire et rencontrer la Grande Histoire. En fait, mon souci avec son personnage c’est que sa vie est entourée de malheurs, de morts mais que sa mémoire (elle le dit elle-même, elle a en oublié une grande partie) lui a joué un drôle de tour : rien ne semble l’avoir touchée à part la mort de ses proches. Lorsqu’elle écrit sur les lynchages des populations noires dans le Sud, ou sur les orphelins envoyés dans des fermes – elle approche de la grande Histoire mais le raconte avec tant de naïveté et de candeur, que cela en devient gênant. Sa mémoire aurait ainsi édulcoré ses souvenirs – et lorsqu’elle raconte sa vie, cela résonne étrangement à mes oreilles.

Pourtant, Anita Diamant aborde d’autres sujets de manière très intéressante ainsi toute la partie consacrée au journal pour lequel elle travaille. Reléguée aux colonnes réservées aux évènements mondains, Anita Diamant résume parfaitement le masochisme et le sexisme de l’époque. Aucune femme ne peut aspirer à être prise au sérieux comme journaliste, elle peut juste aspirer à être chroniqueuse mondaine ou écrire pour tester le dernier appareil électroménager en vogue.

L’autre exemple marquant est lorsqu’elle est essaie pour la première fois un pantalon et découvre ainsi une nouvelle forme de liberté, celle de ses mouvements – s’asseoir différemment, se tenir différemment, à l’inverse de ces jupes longues des années 1915.

La chance d’Addie ? Avoir tout au long de sa vie croisé des personnes qui vont l’ouvrir au monde, comme ce pensionnat qui accueille chaque été une dizaine de jeunes femmes. Sous des couverts pourtant très religieux, les jeunes femmes peuvent enfin s’exprimer sans la pression familiale – et expérimenter une forme de liberté réservé aux hommes. Que ce soit faire de la voile, du crochet ou participer à un bal, ou lire de la poésie, cela semble futile mais ces femmes, loin de leurs familles, connaissent ainsi les prémices d’une liberté que beaucoup abandonneront pour se marier selon les convenances de l’époque.

Mon bémol principal ? Addie semble avoir traversé les époques avec un sourire aux lèvres et l’auteur n’adresse que rarement les problèmes qu’elle et sa famille, comme tant d’autres, ont du subir à cette époque-là, ainsi l’anti-sémitisme pourtant très prégnant au début du siècle est à peine abordé. Evidemment, on peut aussi en conclure qu’il s’agit ici d’une conversation d’une grand-mère avec sa petite-fille autour d’un thé dans une maison de retraite. Malheureusement, ce souhait de maintenir ce roman dans une ambiance rose bonbon m’aura empêché d’être totalement prise par l’histoire.  Ainsi, il manque ici un-je-ne-sais-quoi d’authenticité qui m’aura empêché d’être émue par le personnage d’Addie, pourtant si prometteur.

♥♥♥

Editions Simon & Schuster, 400 pages, 2015

Et pourquoi pas

8 commentaires

EVA 19 octobre 2016 - 11 h 47 min

Ce livre – et les thèmes qu’il aborde – me semble intéressant…mais tes bémols me retiennent, j’ai un peu peur que l’auteure soit dans la même veine que Naomi Ragen – des thèmes porteurs mais traités avec une certaine superficialité…
J’attendrai de tomber dessus en français, peut-être à la médiathèque…

Electra 19 octobre 2016 - 14 h 18 min

Oui j’en ai gardé un bon souvenir mais pas de profondeur ce que je regrette

Marie-Claude 19 octobre 2016 - 14 h 39 min

Ce roman ne semble pas pour moi! Trop superficiel? Manque de profondeur? Et le rose bonbon m’a achevé. Je passe mon chemin, Yeh!

Electra 19 octobre 2016 - 16 h 15 min

Oui je pense que tu le lirais sans souci mais qu’il te manquerait aussi « ce petit truc » en même temps il aborde bien la question du féminisme mais une vision trop édulcorée (même si la mort de l’une des sœurs est très bien décrite)

Jerome 20 octobre 2016 - 12 h 42 min

Je t’avouerais que ce n’est pas un roman qui m’attire particulièrement.

Electra 20 octobre 2016 - 18 h 30 min

Je n’en doute pas

La Rousse Bouquine 25 octobre 2016 - 19 h 17 min

Aaah, je l’attendais cette chronique !
J’ai adoré ce livre comme tu le sais. C’est vrai que tout n’est pas toujours profond (pour ma part je m’y attendais vu qu’il a été publié en France chez Hugo Roman – et ils m’ont surprise cette fois-ci !), mais je me suis vraiment attachée au personnage d’Addie et surtout, j’ai adoré la façon dont le sexisme et le féminisme étaient abordés.

Electra 25 octobre 2016 - 19 h 18 min

Oui le sexisme est très bien abordée et malgré l’époque l’héroïne est très moderne

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