Le hussard sur le toit • Jean Giono

par Electra
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J’avais exprimé à plusieurs reprises mes lacunes en domaine de classiques français et Hélène (Lecturissime) a proposé de se joindre à moi cet été en lisant un ou plusieurs classiques. Le premier essai fut un échec (mais je ne désespère pas), le second par contre fut une bonne surprise.

De ce roman, je ne connaissais que le titre et j’avais en tête quelques images fugaces de l’adaptation cinématographique, signée Rappeneau avec la grande Juliette Binoche. Étrangement, j’avais totalement zappé de mon esprit les raisons qui poussent ce fameux hussard à passer son temps sur les toits : l’épidémie de choléra.

D’ailleurs, j’avoue tout : du choléra, je n’en connais que le nom, et Jean Giono aura eu le mérite de faire découvrir cette terrible maladie avec des descriptions impressionnantes et effrayantes ! Mais revenons au sujet. Me voici projetée en Provence, en 1830 – une période que je connais mal. Le Hussard est un colonel dans l’armée piémontaise mais les menées révolutionnaires font rage, et Angelo Pardi, c’est son nom, a du s’exiler en France, chargé d’une mission mystérieuse. Il doit rejoindre à Manosque le cordonnier Giuseppe, carbonaro comme lui. Mais le choléra sévit : très vite, l’épidémie est telle que les routes sont barrées, les villes barricadées et les voyageurs mis en quarantaine (et bien 40 jours!) !

Aix était aussi dévasté. (…) Les malades étaient d’abord attaqués d’une sorte d’ivresse pendant laquelle ils se mettaient à courir de tous les côtés et en poussant d’horribles cris. Ils avaient les yeux brillants, la voix rauque et semblaient atteints de la rage. (…) On avait vu une mère poursuivie par son fils, une fille poursuivie par sa mère, de jeunes époux qui se donnaient la chasse ; la ville n’était plus qu’un champ de meutes et de gibier. On venait, parait-il, de se décider à assommer les malades, et au lieu d’infirmiers c’étaient des sortes de chipacan armés de gourdins et de lassos qui se promenaient dans les rues. A Avignon, il y avait également un délire : les malades se jetaient dans le Rhône, ou se pendaient, s’ouvraient la gorge avec des rasoirs, se coupaient les veines avec les dents.

Angelo Pardi est plein d’entrain, et face à cette maladie étrange, qui s’empare des hommes et femmes et les foudroient en quelques heures veut bien faire. Il aide un jeune médecin qui tente par tout moyen de soigner les pauvres gens, mais les habitants meurent les uns après les autres dans ses bras. Angelo l’a aidé à frictionner ces corps déjà à moitié morts. Étrangement, et malgré le peu de précaution, Angelo ne l’attrape pas. Le jeune homme voit le jeune médecin succomber à son tour – et se sent coupable. Mais il doit mener sa mission et il repart sur les routes. Il doit sans cesse user de subterfuges, couper par la montagne, pour atteindre enfin Manosque. La ville s’est barricadée et lorsqu’il pénètre à l’intérieur, il est pourchassé ! Le jeune homme va aider une nonne à transporter les corps, car l’on meurt par dizaine, voire par centaines à Marseille.

A cette époque, la médecine ignore encore l’origine de cette maladie (la bacille virgule découverte en 1854) et son mode de propagation. Une sécheresse intense a frappé le sud de la France et les gens se nourrissent exclusivement de tomates et de melons. C’est l’eau qui est contaminée, or à l’époque, les modes d’évacuation des eaux usées sont succincts, voire inexistants. On accuse une « mouche » et bientôt tous ceux qui s’approchent trop près des morts et ne tombent pas malades, deviennent suspects. Car la Provence est très croyante, le choléra serait-il une punition divine ou à l’inverse un cadeau du Diable ?

Il y eut un cas de choléra foudroyant. (…) Les convulsions, l’agonie, devancés par une cyanose et un froid de la chair épouvantables firent le vide autour de lui. (..) Son faciès était éminemment cholérique. C’était un tableau vivant qui exprimait la mort et ses méandres. L’attaque avait été si rapide qu’il y subsistât encore pendant un instant encore les marques d’une stupeur étonnée, très enfantine mais la mort dut lui proposer tout de suite des jeux si effarants que ses joues se décharnèrent  à vue d’œil, ses lèvre se retroussèrent sur ses dents pour un rire infini ; enfin il poussa un cri qui fit fuir tout le monde.

Et qui est ce jeune Piémontais qui porte les cadavres et ne tombent jamais malade ? N’a-t-il pas empoisonné les fontaines ? Pourquoi ne tombe-t-il pas malade ? Alors tel un chat, il attend la nuit pour se déplacer de toit en toit. D’ailleurs, il se lie d’amitié avec un félin, et un soir, croise la route d’une jeune femme qui lui offre un thé. De ces hauteurs, Angelo observe les agitations des survivants – les corps qui s’amoncellent, les crises qui frappent les personnes emportées par le choléra. Les manifestations diverses de la maladie aussi. Et puis surtout, Angelo s’interroge sur sa propre mortalité – sur son comportement. Est-il égoïste à vouloir mener sa mission jusqu’au bout ?

Quand il croise à nouveau la route de Pauline, Angelo lui propose de finir le voyage ensemble. Elle veut aller à Gap y rejoindre sa famille, et son époux, si celui-ci a réchappé à l’épidémie. Angelo veut rejoindre l’Italie. Il a retrouvé son ami Giuseppe mais ils ont du se séparer.

Une nouvelle aventure commence à travers le pays, ravagé par la maladie, les peurs, les craintes et toutes ces croyances. Arrêtés, emprisonnés, nos deux héros vont croiser toute sortes de personnages atypiques – du prédicateur au voleur, du profiteur au donneur. La maladie révèle une part cachée des êtres humains et Angelo s’interroge sur sa condition. Ainsi, on fait du commerce de tout et tout s’achète. Sans sa bourse, Angelo n’aurait jamais pu parcourir tout ce chemin.

Le choléra est la dernière roue de la charrette. Les morts sont mots, on les brûle et on s’en fout. Les gens se sont guéris de leur frousse en se rendant compte que la maladie était une affaire; qu’on pouvait, grâce elle, d’abord gagner facilement des sous, et ensuite avoir le droit de prendre du bon temps.

Je n’avais lu Jean Giono auparavant. J’ai appris qu’il était originaire de Manosque, et que c’est dans cette même ville qu’il a signé ce roman, en 1951. Je n’ai pas éprouvé de difficulté avec le style que j’ai trouvé fluide même si j’ai eu un peu peur au départ. Giono possède le don d’entrer dans les détails, comme lorsqu’il décrit les manifestations du choléra – ce vomi qui ressemble à du riz-au-lait (moi qui n’aime pas le lait, vous imaginez mon visage à la lecture de ces mots), ces corps qui se vident de partout. J’ai depuis appris que le choléra est une variante de la gastro-entérite où l’on meurt de déshydratation, avec de nombreux symptômes, dont la cyanose, qui donne une couleur bleue et noir au corps et au visage et des diarrhées sanglantes.

Ma seule difficulté fut celle des longs passages consacrés à la réflexion qu’Angelo porte à la condition humaine, à travers la voix de personnages distincts, du petit médecin de la campagne, à ce scientifique – ou à cet amateur de Victor Hugo. L’opposé de l’amour, nous apprend-il, n’est pas la haine mais l’égocentrisme et une épidémie fait ressortir chez l’être humain certains ses plus abjects défauts. Que doit-on faire ? Penser à soi et fuir ? Ou rester et aider ? Qui est le plus coupable ? Celui qui tire du plaisir égoïste d’aider son prochain ou celui qui veut protéger les siens à tout prix? Si la réflexion est passionnante, j’ai trouvé ici certains passages beaucoup trop longs.

Je me suis fait la réflexion qu’aujourd’hui on n’écrit plus ainsi, mais peut-être me trompe-je (vu le peu d’auteurs classiques ou même contemporains français que je lis), en tout cas, je suis ravie d’avoir découvert cet auteur et de m’être lancée dans cette lecture.

Reste que j’ai été emportée par l’histoire, par l’aventure que mène ces deux êtres, par la fougue du jeune Angelo et je me suis dit que ce roman, est au final, bien similaire aux romans post-apocalyptiques que l’on nous propose de nos jours !

♥♥♥♥♥

Éditions Folio, 498 pages

Et pourquoi pas

16 commentaires

keisha 5 décembre 2016 - 8 h 19 min

Les classiques c’est chouette aussi, tu vois! (à quand Proust? ^_^)

Electra 5 décembre 2016 - 11 h 43 min

oh mon Dieu, rien que son nom me fait frémir !!

keisha 7 décembre 2016 - 7 h 31 min

Petite nature! ^_^ Mais il y a tant d’autres lectures… alors je te comprends.

Electra 7 décembre 2016 - 9 h 24 min

ah tu parles de Proust ! oui j’avoue, apparemment ses phrases sont si longues qu’on s’endort … mais bon en retraite, pourquoi pas ?

Edwige Mingh 5 décembre 2016 - 9 h 47 min

Contente que tu aies mis le nez dans Giono dont je connais bien l’oeuvre, je connais Manosque et sa région (pas loin de chez moi !). L’adaptation filmée était bien réussie, Juliette Binoche formidable dans le rôle. Giono a plusieurs facettes, je me souviens avoir utiliser son « Pour saluer Melville » quand je préparais mon mémoire de maîtrise sur Herman Melville (Moby-Dick) !
Je sais que tu n’es pas en panne de lecture…tu pourrais faire un tour aussi dans l’oeuvre d’Henri Bosco à l’occasion…

Electra 5 décembre 2016 - 11 h 45 min

Henri Bosco ? son nom m’est familier, mais j’ignore pourquoi ! Mais oui, je dois continuer de découvrir les classiques français. Le film était très bien, j’aime beaucoup Juliette Binoche et la région oui – et puis cette épidémie …

Edwige Mingh 5 décembre 2016 - 15 h 32 min

Bosco : quelques uns de ses livres sont en bibliothèque jeunesse dont le célèbre « Ane Culotte » !

Electra 5 décembre 2016 - 18 h 31 min

Faut que je me penche sur la question ! Ca m’intrigue

Eva 5 décembre 2016 - 10 h 53 min

Je suis comme toi, j’ai très peu lu de classiques et j’en lis toujours très peu – pas forcément envie, et mon temps disponible de lecture est déjà bien pris par les romans contemporains…
En lisant ton billet, je pensais exactement ce que tu mets en conclusion, cela me faisait penser à un roman post apocalyptique!
En tout cas, ce livre a l’air de vraiment valoir le coup – je me souviens avoir vu l’adaptation cinématographique quand j’étais gamine…

Electra 5 décembre 2016 - 11 h 47 min

Je ne l’aurais jamais lu si Hélène ne l’avait pas proposé or l’histoire est en fait très moderne étrangement, seul le style pèse son poids en année 🙂
Oui, il me reste tant à lire mais je suis heureuse d’avoir lu celui-ci. Je suis nulle en romans français classiques, contente de voir que tu préfères aussi les contemporains 🙂
Je lis plus facilement des classiques anglais, or là j’ai envie de lire aussi Maupassant …

Fanny 5 décembre 2016 - 12 h 22 min

J’ai assez mangé de classiques pendant mes études, au début c’est chouette et puis à force… Non allez il y en a de très bons et celui-ci je ne l’ai pas lu! Mais bizarrement même si le sujet me plaît, le titre me fait fuir. Il n’a rien de beau!

Electra 5 décembre 2016 - 18 h 29 min

Oh mais non ! Dire que tu as lu plein de classiques et pas celui-ci ??

Marie-Claude 5 décembre 2016 - 13 h 56 min

Pour le sujet, oui; pour le style, non. Comme Fanny, j’en ai soupé des classiques français. Mais je ne dis pas non, à l’occasion.
N’empêche, avant de revenir fouiner du côté de Giono et cie, je vais plutôt me tourner vers Capote, Steinbeck, Faulkner, etc.
(J’espère que les effets de la piqure de mouche tsé-tsé s’estompent et que tu prends du mieux…)

Electra 5 décembre 2016 - 18 h 31 min

Mais ce sont des Américains ! le sujet oui est passionnant et ça pourrait être un roman post-apocalyptique mais le style sent le vieux c’est vrai. Sinon je te suis. Premier jour de boulot. Quelques coups de barre mais ça va. Bon je sais qu’il faut compter encore une semaine pour me sentir mieux. Là petite forme. Mais je réponds présent !

Marie-Claude 5 décembre 2016 - 23 h 27 min

Oui, ce sont des Américains!!! Je persiste et signe!
Me v’la soulagée. Je te sens sur la bonne voie.

Electra 6 décembre 2016 - 13 h 29 min

mdr ! oui je vois que tu es accro comme moi 🙂 Oui, on remonte la pente peu à peu (mais couchée à 9h30 hier soir …)

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