Ma première lecture dans le cadre du Prix Littéraire sera donc « Une vie entière » de Robert Seethaler. J’avais depuis longtemps envie de découvrir la prose du romancier autrichien. C’est chose faite avec ce roman court dont le héros, Andreas Egger, va consacrer « une vie entière » aux Alpes autrichiennes.
Andreas, héros anonyme, traverse le 20ème Siècle, ses deux guerres et la révolution industrielle comme un fantôme.
Orphelin, on le confie aux soins d’un homme violent qui le fait travailler matin et soir à la ferme et c’est par sa faute qu’Andreas est estropié. Le petit garçon grandit vite et comme le héros américain Gueule-Tranchée, apprend à se faire respecter – il impose par sa taille, sa force et son agilité. A l’âge de 16 ans, il tient tête à son bourreau qui voulait à nouveau le fouetter et quitte la ferme, avec la promesse de n’y jamais revenir. Andreas trouve refuge au village et devient homme à tout faire – employé par l’école, le Maire ou les fermes alentours. Il s’éprend alors de Marie qui travaille à la taverne. Les deux jeunes gens se ressemblent : des taiseux qui aiment les randonnées en montagne et aspirent à une vie simple.
Andreas réussit à économiser suffisamment pour s’acheter un lopin de terre au versant de la montagne. Il y a construit leur nid douillet. Les années 30 voient alors l’arrivée de la modernité : il réussit à être engagé afin de construire plusieurs téléphériques qui vont changer à jamais la vie de cette vallée alpine oubliée. Andreas est un besogneux, il n’a pas peur du vide et il aime ce travail manuel.
Mais son bonheur est de courte durée, une avalanche d’abord puis la seconde guerre mondiale. Andreas est envoyé sur le front de l’Est, dans les montagnes du Caucase. Il sera fait prisonnier au bout de quelques jours de « non combat » où ils s’épient avec un soldat soviétique et va passer presque 7 ans dans un camp de détention loin de son pays, de ses chères montagnes.
A son retour, les choses ont changé « Les géraniums ont remplacé les croix gammées aux fenêtre du village » et surtout les touristes (randonneurs) ont envahi la vallée. Désarçonné par ce changement, mais vieillissant, Andreas va alors de nouveau parcourir ces montagnes cette fois-ci en tant que guide.
Étrange moment que cette lecture. Le roman est très court, je l’ai lu en une seule fois – la langue de Seethaler est sobre, chaque mot y est pesé comme chaque rocher de la montagne. Il y a de la poésie chez le romancier autrichien pour raconter la vie d’un « anonyme » – un montagnard, sans éducation, sans famille. Un taiseux. Il laisse la montagne parler à sa place.
Un roman visuel – on ressent le froid, l’humidité, le brouillard et cette solitude qui accompagne Andreas presque toute sa vie. Un homme ordinaire, banal – sans talent particulier si ce n’est qu’il devient attachant grâce au regard du romancier autrichien. Un homme qui semble attendre la mort sans révolte, sans appréhension. J’ai beaucoup aimé la fin lorsqu’il tente « une sortie » loin de son village.
Car Andreas, même s’il participe à la modernisation de la vallée se contente de très peu. Un toit, un travail et les montagnes. Cet homme quelconque, il y en a des milliers – ils disparaissent, happés par le brouillard, leurs pas disparaissent dans la neige. Et le seul témoin de leur passage sur terre est ce roman.
Un très joli moment de lecture, même si je dois avouer qu’il me manque, quelques jours après ma lecture, un petit quelque chose que je trouve chez Kent Haruf, auteur américain qui raconte aussi l’histoire des gens simples.
♥♥♥♥♥
Editions Sabine Wespieser, trad. Elisabeth Landes, 2015, 160 pages
14 commentaires
J’étais bien tentée (pour changer des romans américains, même si je n’en ai pas trop envie…)! L’intrigue et le cadre spatio-temporel ont piqué ma curiosité. Jusqu’à ce que je lise ton dernier paragraphe.
S’il te «manque … un petit quelque chose que je trouve chez Kent Haruf», cela risque fort d’être la même chose pour moi! Je passe donc mon chemin!
ah oui mince alors ! Je sais que Jérôme a adoré – cela peut-il modifier ta décision ?
Mais je ne peux pas revenir en arrière – Kent est pour moi un cran au-dessus même Seethalter réussit aussi à nous passionner avec la vie de cet homme simple.
Même l’avis de Jérôme ne sera pas suffisant dans ce cas-ci!!!
Pauvre Jérôme ! Et celui de Krol ?
Rien ne presse (j’avais abandonné son Tabac T., trop lent sans doute?)
ah je n’ai pas lu celui-là, je n’ai pas trouvé le rythme trop lent. Je n’ai pas eu le coup de cœur c’est tout !
La comparaison avec Haruf se tient je trouve. J’avais beaucoup aimé ce roman.
oui mais il me manque quelque chose que je trouve chez Kent mais oui pour la vie des gens simples et je sais que tu avais aimé ce roman 😉
J’avais bien aimé ce petit roman ! Et à propos de ta comparaison, je viens d’acheter le chant des plaines de Kent Haruf, auteur que je n’ai encore jamais lu…
Oh quelle bonne décision ! Si tu as aimé ce roman tu vas adorer Kent Haruf. Une très beau moment de lecture en perspective !
J’ai beaucoup aimé cette simplicité, on pourrait par moment comparer à Rigoni Stern, mais je ne connais pas K. Haruf. En lisant ton billet, pas mal d’images me reviennent en tête, c’est bon signe
Oui il m’est revenu aussi ! J’adore Kent Haruf pour la simplicité également. Je ne connais pas Stern je vais me renseigner. Il faut lire Haruf !
Il fait partie de ces livres dont j’ai absolument tout oublié (si je ne lis pas ce que tu en as dit, je ne sais pas de quoi ça parle).
Pas bon signe 🙂 Moi ça va je me souviens de l’histoire mais bon ça fait peu de temps que je l’ai lu !
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