J’avais envie de partir à la rencontre d’un autre maître américain des nouvelles, John Cheever. C’est chose faite avec Le ver dans la pomme. Les éditions Losfeld avaient déjà traduit un précédent recueil, Déjeuner de famille qu’il me tarde de découvrir.
Dans ce recueil, composé de 15 nouvelles, l’auteur américain s’amuse à faire tomber les façades et à révéler les pensées les plus profondes de ses personnages. L’auteur américain aime particulièrement les personnages rongés par un mal-être dont ils sont incapables d’identifier la provenance. Ils sont à la recherche de quelque chose mais sans pouvoir mettre la main dessus.
Soyons clairs : j’ai dévoré les premières nouvelles, j’ai adoré son ton, à la fois ironique mais également touchant. S’il se moque de certains personnages, il leur donne de la profondeur et provoque l’empathie du lecteur. J’ai adoré son regard sur les familles moyennes américaines, ainsi ma nouvelle préférée est probablement Le fermier des mois d’été, caracolé par Le jour où le cochon est tombé dans le puits.
Dans la première, l’auteur américain se moque de ces New-Yorkais qui, tous les été, partent passer leur vacances dans leur propriété secondaire au nord de l’état de New York. Les pères partent souvent avant reprendre leur travail, laissant femmes et enfants derrière. Ici, on croise un homme de famille qui a décidé de se prouver qu’il était plus que l’homme d’affaires qu’il est à New York – ainsi il va aider son voisin, un fermier bougon originaire de Russie, à travailler la terre. Mais l’homme est tout sauf manuel. Dans son esprit, il souhaite considérer cet homme comme son égal – il participe à cette « Grande Amérique ». Même lorsque son voisin lui avoue sa haine du pays ! Il déteste l’Amérique capitaliste et rêve encore de la Russie communiste, où tout était partagé. Forcément, notre homme d’affaires ne partage pas ses idées mais doit faire comme s’il comprenait. Ce dernier, voulant faire plaisir à ses enfants, leur a acheté des lapins. Mais un jour, ils sont retrouvés morts, empoisonnés. Comme notre personnage venait de s’engueuler avec son voisin communiste, il est persuadé que c’est lui et fini l’homme tolérant, ouvert sur le monde, égalitaire – il juge son voisin comme l’homme riche qu’il est. La vie lui donnera une belle leçon.
J’ai adoré la manière dont Cheever décortique l’esprit humain, ses failles, nos failles. On est tous (enfin presque) pétris de bonnes intentions, persuadés d’être ouverts, tolérants mais est-ce vraiment le cas ? Dans l’autre nouvelle, c’est l’histoire d’un cochon. Ce dernier est tombé au fond du puits. Cette histoire loquace va être le seul souvenir pour une famille d’un été passé à la propriété secondaire. Car cette famille, au départ, parfaite va se fissurer – la mort va s’inviter, mais aussi les rancoeurs, les non-dits, les mensonges, les divorces. La névrose de la fille qui découvre son mari infidèle, la cuisinière qui commet un impair, le gendre maladroit, le fils mal aimé. Alors, lorsqu’elle réunit les siens, la mère se remémore cette anecdote. Et ça sonne si vrai. Car moi aussi, j’ai des souvenirs précis d’un autre temps, où la maladie, la mort n’avaient pas encore frappés, enfant, j’adorais ces étés à la campagne. L’auteur américain maîtrise totalement son style et on finit même par douter que la famille ait jamais été vraiment heureuse.
John Cheever réussit à révéler les secrets de famille et à dévoiler la face réelle de la vie. Puis l’auteur nous emmène en Europe, j’ai appris qu’il a vécu à Rome aussi je comprends mieux pourquoi les dernières nouvelles se situent en Italie. Dans La bella lingua, l’auteur s’attache au sort d’un expatrié américain qui décide de prendre des cours d’italien. Il rencontre une Américaine, installée depuis quinze ans en Italie. Cette dernière vit dans un palais, dont elle loue quelques pièces à une Duchesse. D’ailleurs, son appartement est régulièrement traversé par la Duchesse et ses invités. Mariée à un Américain, elle l’avait suivi en Italie mais malheureusement son mari est décédé. L’époux enterré en Italie, son épouse refuse de retourner dans son pays natal. L’homme s’attache à elle puis il fait la connaissance de son fils, un adolescent, né en Italie, mais qui se considère comme Américain, s’habille comme tel et souhaite retourner vivre au pays même s’il n’y a jamais mis les pieds. On le retrouve dans une autre nouvelle (Un garçon à Rome). J’ai aimé celle-ci et celle consacrée à la Duchesse, mais ensuite j’ai été déçue. J’ignore pourquoi, mais l’auteur semblait s’être égaré.
S’est-il projeté dans le personnage de cet Américain âgé ? Ses dernières nouvelles ont perdu tout de leur croquant, on suit cet homme dans ses errements. Plus de regard sur la société, juste la déambulation d’un homme. J’ai perdu tout intérêt à ma lecture et j’en suis fort désolée car j’ai vraiment adoré les premières nouvelles ! Ce qui explique ma note mitigée.
John Cheever (1912-1982) devient dès les années 1930 le chef de file de l’école dite du New Yorker. Écrivain culte aux États-Unis, il est l’auteur de presque deux cents nouvelles et de cinq romans. Ces 15 nouvelles sont tirées de son recueil, The stories of John Cheever qui en contient soixante et une. Le recueil avait remporté le Prix Pulitzer de fiction en 1979. Et j’ai bien envie de le lire malgré cette lecture à demi-teinte.
Un jour ordinaire ♥♥♥♥♥
Le fermier des mois d’été ♥♥♥♥♥
Les enfants ♥♥♥♥
Le jour où le cochon est tombé dans le puits ♥♥♥♥♥
Rien qu’une dernière fois ♥♥♥♥
Le ver dans la pomme ♥♥♥♥♥
La bella lingua ♥♥♥♥
La duchesse ♥♥♥♥♥
L’âge d’or ♥♥♥
Un garçon à Rome ♥♥♥
Méli-mélo de personnages qui n’apparaitront pas… ♥
Mené Mené Téqel ou-Parsîn ♥♥
Le monde des pommes ♥
Percy ♥
Les bijoux de Cabot ♥♥
Editions Joëlle Losfeld, trad.Dominique Mainard, 2008, 280 pages
8 commentaires
Le nageur ; pour moi, la meilleure nouvelle de Cheever.
En 68 Frank Perry en a fait un film avec Burt Lancaster dans le rôle principal. Et le film n’est peut-être pas sans rapport avec l’admiration que j’ai pour cette nouvelle, où tout est suggéré plutôt que dit.
Je vais me procurer son anthologie. J’ai aussi adoré les premières sur la supposée vie de famille parfaite des années 50 !
Ah oui, ai vu le film plusieurs fois et je l’avais bien aimé. C’est vrai, il faut que je reprenne Cheever. Il y a dèjà « Les Whapshot » dans mes rayonnages.
Des nouvelles, oui, j’aime beaucoup. OK pour Cheever!
Oui et oui
Tentée, forcément. Mais les nouvelles hors usa me tentent beaucoup moins. Je ne vois qu’une solution: tu déchires le livre en deux et tu me donnes la première section.
« Déjeuner de famille » me tente aussi. J’ai l’impression que pour l’atmosphère, on n’est très proche de Richard Yates… et ça me plaît!
Morte de rire oui je sais qu’il a écrit des centaines et d’autres excellentes donc je pense commander son recueil oui déjeuner de famille te plairait beaucoup !!!
J’avais adoré ce recueil mais il y a plusieurs années que je l’ai lu – je ne m’en souviens plus en détail. Mais, tu me donnes envie de relire l’auteur.
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