J’avais très envie de lire le récit de Susanna Kaysen sur ses deux années passées dans un hôpital psychiatrique à Boston. Il s’agit d’une autobiographie mais uniquement concentrée sur son séjour. Susanna l’a écrit près de vingt cinq ans après les faits. Elle a été internée le 27 avril 1967, à l’âge de 19 ans. Susanna n’a pas été internée de force, elle a accepté la proposition de son thérapeute, qui lui a parlé de deux semaines dans une maison de repos. Susanna, éreintée, fatiguée et perturbée a accepté. Elle ignorait ce qui l’attendait.
Le livre est court, les chapitres également – à l’intérieur, Susanna y a inséré les copies de ses fiches d’internement ou des fiches de suivi.
Son récit peut surprendre, ici les chapitres sont comme des instantanés de son séjour. Des souvenirs distincts mais non détaillés. Pour avoir pleine conscience du lieu et de son fonctionnement, il faut attendre d’avoir lu une bonne moitié du récit. Chaque jour, apprend-t-on assez tard dans le récit, Susanna voit trois médecins différents. Mais rien sur le traitement en lui-même. Elle ne cache pas les électrochocs et les autres traitements agressifs mais ne revient pas dessus. C’est comme si elle tenait un journal intime où chaque chapitre décrit un évènement lié à une image, une odeur, un mot, une cicatrice. Le format m’a un peu déstabilisé mais le résultat est puissant. Elle laisse au lecteur toute l’amplitude nécessaire à comprendre. Elle ne juge pas. Elle nous ouvre les portes d’un lieu souvent lié à un sentiment de honte.
Comme le visage défiguré de l’une des jeunes filles, Polly, internée après avoir mis le feu à son propre corps – Susanna est épatée car Polly garde son calme jusqu’au jour elle explose, Susanna prend alors conscience :
And then I think we all realized what fools we’d been. We might get out sometime, but she was locked up forever in that body.
Linda, l’amie de Susanna et une autre fille sont diagnostiquées comme sociopathe, deux autres schizophrène – il faut attendre la fin du roman pour connaître le diagnostic concernant Susanna. Jeune fille instable qui refusait toute forme d’autorité (incapable de rendre un devoir), Susanna finit par connaître des périodes dépressives, d’auto-mutilations et quelques crises hallucinatoires. Elle accepte alors la proposition de son thérapeute de se reposer une dizaine de jours. Elle monte sans sourciller dans le taxi qui l’emmène à Redmond, elle attend patiemment une heure pour remplir les papiers. Pourquoi ?
Susanna décrit les crises, les angoisses de ses congénères et les siennes mais aussi l’infirmière Valérie et les internes. Puis elle-même est victime d’une crise hallucinatoire. Pour la première fois, on lui donne des médicaments et on l’envoie à l’isolement.
It’ll be okay, won’t it ? I asked. My voice was far away from me and I hadn’t said what I meant. What I meant was that now I was safe, now I was really crazy and nobody could take me out there.
A l’époque, la thérapie se base sur le comportement et on condamne fermement la promiscuité de ces jeunes femmes. Le coût de l’hospitalisation est à la charge des parents. On y interne toutes sortes de femmes, comme l’une d’elles, que l’on devine victime d’inceste qui finira par se suicider. Ont-elles leur place dans ces lieux ? Mais Susanna confie aussi que ce lieu est rassurant, surtout pour celles qui sont souvent traversées par des idées suicidaires. Ici, elles sont à l’abri de leurs familles, du monde extérieur. Elles fument, papotent, refont le monde. Tout y est méticuleusement calculé, on les compte et recompte, certaines tous les quart d’heure, d’autres toutes les demi-heures. On les voit (Susanna a la sensation d’être invisible aux yeux de sa famille quand celle-ci ne la blâme pas) et on les écoute.
Mind vs.brain est un des chapitres où Susanna tente d’expliquer comment fonctionne le cerveau d’une malade mentale et j’ai trouvé ça passionnant. Notre cerveau aurait deux traducteurs, et si le premier peut parfois se tromper, le second est là pour lui rappeler la vérité. L’exemple du train qui avance est très pertinent (ce n’est pas le nôtre mais celui d’à-côté mais pendant quelques secondes notre cerveau se trompe) et c’est pareil quand le premier voit un tigre dans la pièce et que le second lui dit que non, il s’agit d’un bureau. Mais que se passe-t-il quand le deuxième interprète faillit ? Susanna a eu des hallucinations mais le deuxième petit bonhomme est toujours intervenu, avec plus ou moins de rapidité.
L’autre point de vue intéressant est sur la bataille entre la psychanalyse qui analyse l’esprit, et les neuroscientifiques qui analysent le cerveau. Si certaines maladies mentales sont liées à des problèmes chimiques du cerveau (la schizophrénie peut être traitée (pas soignée) par des médicaments), d’autres maladies ne le sont pas.
I was trying to explain my situation to myself. My situation was that I was in pain and nobody knew it ; even I had troubling knowing it. So I told myself, over and over. You are in pain. It was the only way I could get through to myself. I was demonstrating, externally and irrefutably, an inward condition.
Contrairement à d’autres malades, les idées suicidaires agissent chez Susanna comme un exutoire à la douleur, l’effet est cathartique. Elle y pense énormément et se rend malheureuse à l’idée de sa mort prématurée, et ce sentiment lui fait du bien. Susanna sera finalement autorisée à sortir. Elle ne sera plus jamais internée, ni suivie.
Son autobiographie a été adaptée au cinéma en 1999 et interprété par Winona Ryder (c’est son visage qui apparait aussi sur la couverture de ce livre), sous le titre Une vie volée. Le titre français me parait, aujourd’hui, à la lecture du livre, mal choisi. Le livre a été également traduit suite à l’adaptation cinéma, sous le même titre en Poche, en 2000 (disponible sur les sites de vente en ligne).
Pour ma part, j’aime beaucoup le titre original : Girl, interrupted.
Ce n’est qu’à la fin du livre qu’on apprend l’origine de ce titre, et à ma grande surprise il s’agit d’une peinture signée Johannes Vermeer dont le titre original était « Girl, interrupted at her music » (traduit en français La leçon de musique interrompue).
Ce tableau a une place particulière dans le récit, je vous laisse découvrir son histoire en vous procurant ce roman !
♥♥♥♥♥
Editions Virago Press, 2000, 168 pages
12 commentaires
Ça m’intéresse ! La psychiatrie, les hôpitaux, ça me fascine de voir la vie à l’intérieur !
Je n’ai pas vu le film.
Tu peux te procurer le livre ou Le film ou les deux.
Hum, en 1967, ce genre d’établissement, on imagine le pire…
Bref, tu me donnes envie de le lire!
Oui tu as tout compris
Je fuis tous les romans qui parlent de psychiatrie et celui-ci ne fera pas exception à la règle, même si tu l’as adoré.
Tu te sens concerné ? peur d’être interné ? tant pis, pourtant comme je le dis, elle ne raconte pas ses séances d’électrochocs ! tant pis….
Forcément, il me tente. Tu t’en doutes bien. Et comme il est traduit…
À lire avant ou après « Vol au-dessus d’un nid de coucou »?
Oui, je comprends ! Alors pour répondre à ta question, au niveau du style littéraire et de l’intrigue, « Vol au-dessous d’un nid de coucou » se classe au-dessus mais j’adore ce livre donc je ne suis pas objective, mais il est long à lire. Celui-ci est court (il peut se lire en une fois) mais tout aussi frappant, j’aime son procédé narratif et peut être une bonne ouverture au domaine de la psychiatrie. Donc, je pense que si on veut en apprendre sur ce domaine, celui-ci se lit bien en premier et si on est pas effrayé (hein Jérôme), on peut enchaîner avec le roman de Kesey après !
Très envie de le lire, moi aussi ! Ton billet fait envie.
Merci ! Tu peux le trouver assez facilement je pense 😉
je n’ai pas lu le livre, mais comme je te le disais, quand j’ai vu que tu le lisais ça m’a donné envie de voir le film…
J’étais assez étonnée, car avec le titre « Une vie volée » j’imaginais que Susanna avait passé quasiment toute sa vie internée, ou que l’hôpital psychiatrique était un endroit où elle avait subi des sévices…or ce qui m’a frappée dans ce film, ce sont les moments de complicité avec les autres filles
Elle a subi des électrochocs, qui faisaient partie du traitement mais oui, elle n’a été « enfermée » que deux années. Le souci c’est qu’on lui avait promis une maison de repos pour deux semaines et pas un HP pour 2 ans ! Dans le livre, elle décrit bien l’amitié qu’elle a développé avec les autres filles. Elle a revu certaines d’entre elles.
Les commentaires sont fermés