Autumn ∴ Ali Smith

par Electra
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J’avais hâte de retrouver Ali Smith à nouveau (j’ai encore un recueil de nouvelles signé de sa prose à vous présenter) et je voulais absolument lire Autumn, encensé par la critique. La romancière écossaise se lance dans une aventure, en écrivant quatre romans, j’attends depuis avec impatience la sortie du prochain opus, Winter (hiver) attendu pour le 2 novembre prochain.

J’adore la liberté que l’auteure prend avec la syntaxe, la prose. Ici, encore une fois, elle s’amuse avec les mots et le résultat est tout simplement MAGIQUE. Il n’y a pas d’autres termes qui résument le mieux pour moi que cette aventure fut de lire ce livre, un roman qui m’a une nouvelle fois transportée et émue ! Rare de voir autant de bonté dans un seul livre. Ali Smith a souhaité s’exprimer à sa manière sur le Brexit, et en particulier sur l’évolution de la société britannique ses dernières années, mais au lieu de résumer son roman à cela, elle a souhaité transmettre un formidable message d’espoir à ses lecteurs.

Et ce sont ses personnages qui illuminent tout le roman, et en particulier la relation entre Elizabeth Demand, jeune thésarde trentenaire et Daniel Gluck, tout juste centenaire, à l’automne 2016. Ces deux êtres ont perdu tout contact depuis des années, or lorsque Elizabeth était enfant (née en 1984), Daniel était devenu son « baby-sitter » et par là-même son meilleur ami, et remplaçait aussi la figure parentale absente.

Mais en vieillissant, la mère d’Elizabeth désapprouva cette amitié, pensant à tort (ou à raison) que Daniel était homosexuel. Celui-ci était un ancien parolier et vivait seul à l’époque où ils devinrent proches.

Elizabeth est une jeune femme aimable, qui doit refaire ses papiers, son passeport en particulier. Mais l’administration britannique a changé les règles depuis quelques temps, et son dossier pose toujours souci; Ali Smith excelle au jeu de l’absurde – ainsi on refuse la photo biométrique d’Elizabeth sous prétexte que « ses yeux sont trop rapprochés » – ce simple renouvellement prend une tournure inimaginable. Rappelez-vous : en Grande-Bretagne, la carte d’identité n’existe pas. Or en ces temps difficiles, où la question de l’immigration a joué un rôle majeur dans le choix du Brexit, la preuve de son identité est devenue une question brûlante.

But of course, memory and responsibility are strangers. They’re foreign to each other. Memory always goes its own way quite regardless.

Sa mère lui apprend alors que Daniel est en fin de vie dans une maison de retraite. Elizabeth avait presque oublié le vieil homme qui fut pourtant son meilleur ami lorsqu’elle était enfant. Il était la figure parentale qui lui manquait (le père d’Elizabeth avait pris la poudre d’escampette) mais surtout il aimait la poésie, les mots, les jeux de mots et faire travailler l’imagination de la petite fille. Elizabeth se souvient alors de leurs dialogues animés, leurs parades, leurs conversations qui partaient dans tous les sens. La petite fille ayant les pieds sur terre, Daniel la forçait à lâcher prise , et si elle pouvait voler, où irait-elle ?

Elizabeth se rend  la maison de retraite et retrouve Daniel, allongé dans son lit, il est plongé dans une sorte de sommeil prolongé – les aides-soignants décrivent un homme charmant, cultivé et humble. Daniel aurait cent ans. L’automne qui apporte son long de feuilles mortes et de brouillard, serait-il le dernier pour Daniel ? La présence d’Elizabeth va-t-elle réveiller le vieil homme ? Elle décide de lui faire la lecture, lui l’amoureux des lettres.

Ali Smith décrit ce pays divisé entre les pro et les anti Brexit – l’atmosphère est devenue lourde, les propos xénophobes se libèrent, on construit à nouveau des clôtures avec des fils barbelés, les étrangers ne sont plus les bienvenus. Pourtant la terre continue de tourner, et les saisons suivent.

Dans ce premier volet de ce quartet saisonnier, l’auteure écossaise nous offre une forme de méditation sur l’évolution de la société, et en particulier sur ce processus de renfermement, sur ce que signifient réellement ce repli, mais le contrebalance avec tout ce qui fait la richesse de pays. Ses habitants. Qui sommes-nous ? De quoi sommes-nous fait ?

I mean, with how eyes that aren’t yours let you see where you are and who you are.
Elizabeth nodded as if she understood.
We have to hope, Daniel was saying, that the people who love us and who know us a little bit will in the end have seen us truly. In the end, not much else matters.

Elizabeth, alors enfant, n’avait jamais rien su de la vie privée de Daniel, déjà très âgé à l’époque. Avait-il été marié ? Avait-il des enfants? Et sinon, avait-il été amoureux ? En remontant le temps, entre les années 60 et le mouvement de libération, Ali Smith offre une véritable déclaration d’amour aux gens simples et ordinaires. Elle leur rappelle à quel point elle a aimé l’évolution de son pays.

Elle met en lumière une jeune artiste (cf. photo en une de mon article), Pauline Boty , décédée brutalement à l’âge de 28 ans en 1966.  Pauline est une des fondatrices du mouvement britannique du Pop art et surtout la seule peintre féminine, ce qui lui valu d’être âprement critiqué par ses pairs. La jeune femme leur a répondu à travers ses peintures et ses collages, où elle assumait totalement sa féminité et sa sexualité, critiquant de fait la société britannique très machiste des années 60. Elle mourut d’un cancer et ses œuvres furent recueillies par son frère, qui les stocka dans la grange de sa ferme. Ce n’est que trente ans plus tard que l’on se souvint d’elle et qu’une exposition lui fut consacrée, malheureusement la majorité de ses toiles ont disparu.

Ali Smith est une virtuose des mots, et à travers une série d’anecdotes (l’obtention du passeport, la défiance de sa mère face à la construction d’un mur, les souvenirs d’enfance, la vie trop courte de cette jeune artiste), elle dresse un portrait touchant de la société britannique et leur déclare sa flamme. Elle nous parle du temps qui passe, de l’amour, de nos sentiments.

Au fur et à mesure de ma lecture, j’ai peu à peu lâché prise, comme Elizabeth lorsqu’elle acceptait de suivre Daniel dans ses jeux verbaux, j’ai accepté de m’envoler et j’ai adoré ! Ali Smith m’a littéralement transportée dans une autre dimension. Un vrai bijou et j’ai hâte que le roman soit traduit afin que vous puissiez tous profiter de cette expérience unique ! Ce roman est sélectionné pour le Man Booker Prize et il me mérite largement. J’attends dorénavant la sortie de Winter.

♥♥♥♥♥

Éditions Hamish Hamilton Ltd , 2016, 272 pages

Et pourquoi pas

7 commentaires

Jerome 25 septembre 2017 - 12 h 29 min

Très envie de découvrir la prose de cette femme qui t’emporte à chaque roman. Dans ceux parus en France chez l’Olivier, lequel me conseilles tu en priorité ?

Electra 25 septembre 2017 - 12 h 35 min

Génial ! Je l’ai découverte avec Girl meets Boy qui a été traduit et How to be both (comment être double) qui est souvent cité comme son meilleur

keisha 25 septembre 2017 - 13 h 56 min

Bien bien, tu sais donner envie!!! (même si je la confonds peut être avec une autre auteur?)

Electra 25 septembre 2017 - 14 h 09 min

Elle ne peut pas être confondue ! Vu son style et ses thèmes ! Tu devrais bien l’aimer

Marie-Claude 26 septembre 2017 - 15 h 30 min

Afin de découvrir ton auteure (!), je tente de mettre la main sur « Le fait est », chez de l’Olivier?
Tu arriverais à me le trouver pour pas cher dans les bouquineries? Sinon, je le commanderai à 40$!

Electra 26 septembre 2017 - 18 h 31 min

Je regarde ça ce soir ! Oui il faut que tu la lises. Elle est tellement singulière ! Et certains prédisent qu’elle va remporter le MBP.

Une histoire des loups ∴ Emily Fridlund – Tombée du ciel 11 décembre 2017 - 14 h 09 min

[…] Autumn, d’Ali Smith est aussi nominé pour le Man Booker Prize. J’ai adoré les deux romans, et si celui d’Ali Smith a le don de vous réconforter avec l’amour, la compassion, celui d’Emily Fridlund, vous met au défi, de vous regarder honnêtement dans la glace. Troublant ! […]

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