Russie, 1925. Ilya, Klara et Lavr ont fui leur pays, la Finlande, pour s’installer au royaume de la liberté, jurant de ne jamais en repartir et laissant derrière eux leur nom, leur langue, tout ce qu’ils possédaient.
Ces premières lignes de la quatrième de couverture résument parfaitement ce roman finlandais. Nous sommes en 1925, et ces jeunes finlandais ont découvert Lénine et le communisme. Plein d’espoirs, ils quittent leur pays, leur langue, leurs repères pour tout recommencer à Pétrograd (qui deviendra Léningrad à la mort du politicien).
Les jeunes gens ont à peine vingt ans, ils ont fui clandestinement en plein hiver. Ils arrivent sans un sou. Très vite, Ilya adhère au Parti Communiste et grimpe les échelons. Sa jeune épouse, Klara découvre une ville, à peine remise de la première guerre mondiale, pleine d’enfants de rue, sans abri. Avec d’autres volontaires, Klara entreprend de les aider en créant un refuge et en organisant des soupes populaires. Les conditions de vie sont très rudes pour les jeunes finlandais. Ils font la connaissance d’autres finlandais comme Tom, un artiste de cirque ou la meilleure amie de Klara, une jeune femme qui va utiliser ses atouts physiques pour faire un mariage d’argent. Ce dernier, un bourgeois, aide les jeunes gens dans leur vie quotidienne en donnant de l’argent au refuge et au cirque. Mais le gouvernement communiste s’installe, et avec lui, de nouvelles lois sont posées.
Ilya est en colère lorsqu’il découvre que Lavr, son jeune frère, les a rejoint. Ce dernier s’est engagé dans l’armée rouge, dans un escadron basé à Pétrograd. Mais lors de ses visites, celui-ci se confie à Klara, son frère ne voulant pas l’entendre. Contrairement à ce qu’il croyait, l’armée rouge ne défend pas le paysan ou l’ouvrier. Et ses missions le révoltent bientôt. Lavr dit à haute voix ce que Klara craint, Ilya qui a réussit à obtenir un poste intéressant au PC, refuse d’entendre ses jérémiades. Les deux hommes sont incapables de communiquer. Les hivers sont plus rudes les uns que les autres. Tom, blessé et soigné par Klara, rejoint à son tour le Parti Communiste et prévient cette dernière que ces amis bourgeois doivent fuir.
Peu à peu, l’utopie et les rêves de nos héros s’éloignent. La fraternité affichée aux premières heures du mouvement communiste disparaît pour faire place à la compétition et à la délation. La mort de Lénine précipite le changement vers une dictature. Il devient dangereux d’exprimer ses opinions. Lorsque Klara affiche à voix haute sa colère contre le gouvernement qui ne s’occupe pas des enfants des rues, elle est vivement critiquée et rabrouée par son époux qui se voit lui-même mis à mal par son supérieur hiérarchique. Le PC s’est installé dans la « Grande Maison », il recrute des espions et les délateurs se déchainent. Les opposants sont arrêtés, emprisonnés et envoyés dans des camps de travail. comme l’ami de Klara qui a créé le refuge. La liberté promise n’est plus qu’un rêve. Klara dépérit, mentalement et physiquement, malgré le soutien de ses proches. La jeune femme a adopté un frère et une soeur et ils sont partis s’installer avec leurs amis à la campagne. Ilya a été limogé du PC. Leurs espoirs sont piétinés par le goût du sang de leurs dirigeants.
L’auteur, Sirpa Kähkönen, réussit ici à évoquer, l’histoire d’une ville, Pétrograd et d’une nation (la Russie) à travers des personnages attachants. Elle évoque avec pudeur le basculement subtil d’un élan révolutionnaire vers la dictature (« La Grande Terreur »).
Ces jeunes gens croyaient dur comme fer que le communisme allait offrir à tous une vie où tous leurs droits seraient respectés (liberté, droit d’expression, d’aller et venir), mais lorsque le pouvoir en place fait l’inverse et installe un régime de terreur et de délation, la désolation s’installe. Certains vont résister, d’autres trahirent leurs idéaux pour subsister. Certains vont grandir dans la résistance, d’autres vont fuir comme Lavr qui finira par déserter et repartir en Finlande.
J’ai été particulièrement touchée par le personnage de Karla. Ces jeunes gens ont fui leurs pays, savent qu’ils ne peuvent y retourner et apprennent la mort de leurs proches. Lorsque sa mère, lui demande de rentrer, Karla, maigre et malade, refuse d’abandonner son rêve. Mais son corps le fera pour elle. Peu à peu, elle se retire du monde, comme une lumière, comme un symbole qui s’éteint dans les ténèbres. Ce que j’ai aimé chez l’auteure, c’est l’épaisseur qu’elle donne à ses personnages. Ici pas de caricature, pas de superficialité. Ils sont tous là, avec leurs forces et leurs faiblesses, leur rage ou leur peur. La machine infernale communiste ne cesse de les broyer mais ils tentent de résister. Le roman les suit pendant une vingtaine d’années.
Ce roman est pour moi le meilleur exemple pour démonter l’utopie communiste. Longtemps, le PC français niait l’existence des rafles, des goulags, des jugements expéditifs. Il aura fallu des images et des documents pour que le rêve s’effondre. Ici, on est au coeur de l’histoire et on voit ce que ce régime a fait au peuple. C’est terrible.
Une lecture douce-amère, car on connaît la fin de l’histoire. Et je retiens également une écrite puissante, une écriture qui m’a un peu bousculée, le rythme diffère de mes habitudes et le travail de la traductrice est à féliciter ! Mon beau-père, qui l’a lu et est très difficile, l’a trouvé « un peu trop bavard » au départ mais passionnant et très démonstratif. Il a aimé la manière dont elle démontre, par des détails dans la vie quotidienne des protagonistes, la main mise du parti sur leur liberté.
Je connaissais pas l’auteur, Sirpa Kähkönen, qui a remporté de nombreux prix dans son pays, mais décidément la Finlande continue de me surprendre avec des romancières qui savent évoquer avec talent les heures sombres de leur pays (comme Sofi Oksanen et son roman Purge).
Je remercie les éditions Denoël qui m’ont envoyé ce roman après avoir découvert mon blog. Ils ont eu le nez fin !
♥♥♥♥♥
Editions Denoël, & D’ailleurs, Graniitimies, trad. Claire Saint-Germain, 2017, 464 pages
18 commentaires
Sans doute de qualité et utile, mais je n’ai pas trop envie de me plonger dans cette période
Dommage
Comme Keisha je n’ai pas trop envie de plonger dans cette période… Mais merci d’avoir attirer l’attention sur la littérature finnoise que j’aime bien et dont on parle peu.
Dommage car ce roman est magnifique !
Oui, ils ont eu le nez fin 🙂
Oui ! Une romancière finlandaise à découvrir 😉
Ton billet est « parfait » comme d’habitude. (Je commente rarement mais je les lit tous :)) ) Je n’ai jamais lu de roman sur cette thématique. Ce que tu en dit me tente bien. Je note.
Oh merci c’est très sympa ! J’ai étudié l’histoire russe mais j’avais zappé qu’à une époque des milliers de personnes ont adhéré à cette idéologie en quittant tout et en ignorant malheureusement que leur rêve ne deviendra pas réalité.
Pff faute: ce que tu en dis…
Pas de souci ! Je fais pareil quand je commente
Peut-être en été. Là, je gèle trop!
Sublime photo de profil, qui me rappelle de si bons souvenirs!
Ah oui ! Merci ici aussi il gèle. Je l’ai lu en Guadeloupe donc les descriptions sur les hivers rudes j’ai pas trop souffert avec les personnages !
j’aime beaucoup les romans qui se passent en Russie, et ce que tu dis de ce roman est très intéressant…je le lirai avec plaisir!
Ah super ! On apprend beaucoup sur cette période et ces jeunes idéalistes
J’ai noté ce livre après l’avoir vu sur ta page Goodreads (même s’il n’est pas encore traduit en anglais apparemment). Le sujet m’intéresse beaucoup. Je cherche également des livres sur les Noirs américains partis vivre en Union soviétique.
Ah sujet intéressant – j’en ai un peu parlé en cours d’histoire russe à la fac mais j’ignore si on peut dénicher des livres. Sur des Français oui mais des Noirs américains. Je suis curieuse de savoir si ça existe. Celui-ci est aussi passionnant car on oublie souvent l’origine du mouvement communiste et tous ces jeunes idéalistes.
Pour le moment, je n’ai trouvé qu’un livre (Russia and the Negro, qui a plus de 30 ans), un documentaire (http://www.redpalettepictures.com/film-Black-Russians.htm) et un tas d’articles.
Ah quand même ! Je crois avoir vu un reportage sur des Occidentaux passés à l’Est à une époque
Les commentaires sont fermés