Si vous ne savez toujours pas qui est Callan Wink, alors filez lire très vite mon billet consacré à son premier recueil de nouvelles, publié chez Albin Michel, Courir au clair de la lune avec un chien volé (Dog Run Moon stories). L’an dernier, Albin Michel a publié un folio, 20+1 Stories, regroupant une vingtaine de nouvelles écrites par des romanciers américains dont Callan Wink. J’avais beaucoup aimé la nouvelle (La montée des eaux), et donc aussi impatiente que je suis j’ai commandé la version originale du recueil en anglais (Dog Run Moon stories).
Fait total du hasard, j’appris peu de temps après sa publication en français et j’ai sauté sur l’occasion de découvrir ce jeune auteur, originaire du Michigan, mais installé au Montana. Il faut dire que cet Américain avait réussi à se faire un ami de taille dans le milieu : Jim Harrison.
J’ai eu un énorme coup de coeur pour son recueil, j’ai plusieurs histoires en tête près 3 mois après ma lecture, et je ne me suis toujours pas remise de la dernière nouvelle du recueil, Regarder en arrière, où l’on suit le parcours d’une femme, Lauren, pendant plus de trente ans. Alors quand j’ai su qu’il venait à Nantes (à la librairie Les Biens Aimés le 16 novembre dernier), j’ai embarqué mes deux livres sous le bras et j’ai couru !
Callan était accompagné de son attachée de presse qui a joué aux traductrices. Puis la libraire a posé une série de questions, avant de laisser la parole au public.
Vos nouvelles ont été écrites à des périodes différentes, comment avez-vous créé ce recueil ?
Effectivement leur écriture s’étale sur cinq ou six ans. Je ne les ai pas modifiées afin qu’elles intègrent le recueil, j’ai juste écarté celles qui n’avaient pas leur place. L’essentiel c’est que les nouvelles forment un ensemble cohérent, qu’elles possèdent des éléments communs, un fil conducteur. Je pense par exemple à une unité de temps ou de lieu. Mais je reconnais que le choix est toujours extrêmement très compliqué.
Vos nouvelles ne sont pas nécessairement fidèle à la chronologie, est-ce un choix voulu ?
Cela donne de l’épaisseur et de la profondeur à l’histoire, mais est-ce une méthode d’écriture ? Non quoique j’adorerais en avoir une ! « Everything story seems to grow on its own » – Les histoires semblent pousser toutes seules. Ainsi j’ai remarqué que mon idée de départ a totalement changé lorsque j’arrive à la fin. L’intrigue semble avoir sa propre vie, je ne le fais pas consciencieusement. Au final, je trouve cette situation (sans méthode) très précaire.
Il y a dans votre recueil des fils rouges entre les personnages, ils sont à un moment clé de leur vie, dans une période de chaos ou face à un choix. Y-a-t-il d’autres fils rouges ?
C’est l’une des choses les plus intéressantes avec le format de la nouvelle : pouvoir se concentrer sur une période précise de la vie du personnage. Sur un moment clé de sa vie. Un recueil de moments clés de la vie (où l’homme est vulnérable) ce qui est impossible dans un roman, et qui sont voués à former une sorte de cohérence du recueil.
Les personnages des jeunes hommes sont parmi les plus beaux du recueil. Les hommes âgés les voient comme des perdants or la vérité est que les jeunes ont un avantage : ils ont accès aux mots, ils peuvent textualiser leurs émotions, contrairement aux anciens, enfermés dans leurs armures.
C’est une excellente observation. J’y ai effectivement songé en écrivant ces nouvelles et récemment en travaillant sur mon premier roman. Les hommes du Midwest sont des taiseux, leur seule exception : parler du temps qu’il fait! L’incapacité à communiquer est vraiment un thème qui me passionne, ainsi que la transmission aux plus jeunes générations.
Je souhaiterais revenir sur la dernière nouvelle du recueil, Regarder en arrière (The Hindsight), votre choix de faire de ce personnage principal, solitaire, au fin fond du Montana , une femme est un choix audacieux. Les autres auteurs privilégiant souvent le sexe masculin. Vous apportez ainsi du panache à la fin de ce recueil.
Les femmes des précédentes nouvelles se font le plus remarquer par leur absence, aussi il était important pour moi de combler ce manque, celui de la perspective féminine sur la vie. J’y ai pensé alors que j’assemblais les nouvelles pour créer ce recueil, et ce fut un choix mûrement réfléchi de la mettre en dernier.
* * *
Pause : Callan a alors lu les premiers chapitres de la première nouvelle du recueil qui a donné ce titre à celui-ci. Callan nous avoue qu’il est très fier de celle-ci, elle lui a ouvert les portes du New Yorker.
La libraire invite alors à le public à s’exprimer. J’en profite.
J’ai remarqué la présence en filigrane de personnages mexicains tout au long du recueil, or ils sont peu nombreux au Montana. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les Mexicains sont souvent absents des romans, ils sont « oubliés » or ils existent bel et bien. J’ai grandi au Michigan et mon père travaille dans le bâtiment, j’ai travaillé à ses côtés étant jeune, et les Mexicains étaient nombreux, souvent des travailleurs sans papiers. Ils sont plus rares au Montana, excepté dans les complexes hôteliers qui ont besoin de ces ouvriers. La première nouvelle qui a donné son titre au recueil, prend place en Utah, dans le désert du Mojave où la communauté mexicaine est aussi présente.
Peut-on parler également des Indiens, qui sont aussi très présents dans ce recueil ?
Ils représentent entre 7 et 10% de la population du Montana. Pour ma part, je travaille un mois par an dans la réserve Crow comme guide de pêche (la réserve où a pris place la fameuse bataille de Little Big Horn). Il est clair pour moi que si vous écrivez un roman qui prend place au Montana et que vous négligez d’inclure des personnages indiens, alors vous faîtes une grave erreur. J’ai, en tant qu’auteur, le besoin de témoigner de ce que je vois, (« I need to portray what I see »). Et ce que je vois me rend triste, le taux de pauvreté avoisine les 80%.
La libraire ajoute que néanmoins l’auteur américain donne de l’espoir dans ce recueil sur la communauté indienne, la transmission de leurs croyances. Elle pose à son tour d’autres questions.
J’aimerais revenir sur la chute de vos nouvelles, qui n’est pas ici l’élément majeur de ce recueil, et c’est tant mieux. Vos chutes nous donnent la sensation que la vie des protagonistes va continuer et c’est rassurant.
Ecrire la fin est toujours très compliquée. J’en écris toujours plusieurs. Je n’aime pas particulièrement les fins avec une chute, un tour bon marché. Ecrire au contraire une fin où les personnages continuent de vivre laisse la porte à de multiples possibilités dans l’esprit des lecteurs.
Les lecteurs de romans s’attendent généralement à un fin contendante synthétique (qui reprend l’ensemble du roman), à l’opposé des lecteurs de nouvelles qui préfèrent une fin ouverte. Ils ne veulent pas d’une réponse tranchée.
Je voulais revenir au contexte de la nature (le Montana), les décors urbains vous inspirent-ils ? Car l’être humain peut être tout petit derrière un tel décor, est-ce voulu ?
Il est évident que les paysages du Montana vous font réfléchir à votre petitesse dans le monde. J’avoue que je suis incapable d’écrire sur des décors imaginaires, comme de la science-fiction ou même si je devais situer un roman en Corée du Nord, je suis dépendant des paysages que j’ai déjà croisés (« I’m tied to places I have working knowledge »). J’ai passé les deux derniers hivers à travailler en Californie (et à surfer), dans un milieu donc plus urbain. Je viens de passer deux mois à Paris, mais il m’est pour le moment impossible de penser écrire sur ces lieux, il me faudra des années.
Mes histoires sont en effet dictées par les lieux où j’ai vécu.
De votre expérience en France, quelles images allez-vous emporter avec vous ?
J’ai découvert que la lecture et l’écriture sont des activités très répandues en France et que vous aimez beaucoup les auteurs américains. J’ai aussi été surpris de voir à quel point vous aimez les écrivains américains originaires de l’Ouest, alors qu’aux USA, les écrivains new-yorkais occupent le devant de la scène littéraire. Jim Harrison était l’un de mes amis et j’ai compris qu’en France les gens l’aimaient énormément. J’ai aussi beaucoup aimé les petites villes.
J’ai été très impressionné par le nombre de personnes lisant des livres dans le métro. Cela va me faire tout drôle de retourner chez moi où tout le monde se fiche de la littérature, mais ça ne sera pas plus mal pour mon ego.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Votre première publication ?
J’étais étudiant à l’université du Wyoming et mon professeur a jugé que l’une de mes nouvelles était excellente et l’a envoyé directement à son agent à New York. Celui-ci l’a alors transmis au New Yorker qui l’ont appréciée mais ne l’ont pas publiée. Ils ont alors contacté l’agent pour que je leur envoie une autre. C’était Courir au clair de lune avec un chien volé. Sa publication a changé ma vie. J’avais 25 ans et j’ai pu signer un contrat avec une maison d’éditions. Une étape essentielle.
La prochaine question était destinée à l’attachée de presse d’Albin Michel. Comment a-t-t-il découvert Callan ?
Francis Geffard a lu cette nouvelle publiée dans le New Yorker Magazine et a réussi à dénicher l’adresse e-mail de Callan (encore étudiant à l’université). Un an plus tard, il a reçu un courriel de l’agent de Callan qui lui a vendu les droits avant même la publication du recueil américain. Albin Michel a du attendre celle-ci et donc décalé d’un an la parution de la version française du recueil.
Contrairement aux contrats britanniques, les contrats de droits de publication entre auteurs américains et éditeurs français ont une durée de vie limitée (de 7 à 12 ans).
Dernière question : sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’ai fini plusieurs semaines de résidence à Vincennes et j’en sors avec un roman presque finalisé. J’y travaille dessus depuis deux ans. Je viens d’ailleurs d’envoyer un premier jet à mon éditeur américain, et j’attends avec impatience sa réponse. J’ai parallèlement commencé l’écriture d’un second roman. Je fais des allers-retours entre les deux. J’ai également rédigé des nouvelles. J’aimerais d’ailleurs publier un autre recueil mais mon éditeur souhaite d’abord que je me concentre sur un roman.
L’interview « officielle » a pris fin, et l’officieuse a commencé. J’ai eu la chance de pouvoir rester, avec un autre auteur, et d’échanger très longuement avec Callan Wink, sur son recueil, le Montana où j’ai vécu, les Indiens et tous les autres auteurs américains originaires du même coin. Enfin, je lui ai longuement parlé du Festival America dont il avait entendu grand bien mais à l’époque de la dernière édition mais n’avait pas pu se libérer.
Callan Wink est un immense auteur en devenir et une personne adorable. Un vrai bon gars de l’Ouest – il l’admet. Lui le petit gars du Michigan, a troqué les baskets pour les bottes de cowboy (je l’avais remarqué!) mais il continue de résister ainsi il refuse de porter le chapeau !
20 commentaires
Ouh la la, je note ! Je suis d’humeur nouvelles, ces jours-ci, et ta transcription de la rencontre est passionnante. Merci!!!
De rien super contente qu’il te tente ! Il mérite vraiment le détour
Comme toi, gros coup de cœur et en particulier pour Lauren. Bel entretien !
Merci oui je lui ai vraiment demandé comment il avait fait pour celle-ci ! Extraordinaire
Je me doute bien que tu as papoté avec lui!! Tu as de la chance
oui ! un peu trop d’ailleurs, à la fin je crois que j’ai lassé sa pauvre attachée de presse 😉 mais j’ai trouvé que j’étais totalement chanceuse de pouvoir échanger avec lui !
Et en plus, il est pas mal du tout « j’ai envie de dire » haha!
Ah oui ! J’avoue que c’était pas désagréable de lui parler
Ce recueil m’attend à la maison, j’ai entamé il y a plusieurs semaines la première nouvelle mais je n’étais pas dedans dons je reprendrai ce recueil plus tard. j’ai vraiment envie de l’apprécier comme toi et tant d’autres, de m’imprégner de son univers. C’est un fou du travail : travailler sur 2 romans et un autre recueil! En tout cas on a beaucoup entendu parler de lui! Bel échange, merci de ce partage 🙂
De rien oui il a confie avoir peur de ne plus savoir écrire mais pour le moment pas de souci ! Oui il m’arrive aussi de reposer des livres pour les reprendre plus tard.
J’ai fini le recueil hier soir. La dernière nouvelle est très loin au-dessus des autres, je me suis régalé !
Oui ! Qui peut lui résister ?! Un vrai conteur est né
Passionnant! Chanceuse, va.
Sacré Francis. Un vrai dénicheur de pépites.
De savoir que deux romans et un autre recueil sont en chantier, je suis aux anges!
Il faut aller à Nantes pour rencontrer Craig, Joyce et Callan? Punaise, ils habitent plus près de chez moi que de chez toi et on ne les voit pas ici.
Mdr apparemment ils ont bon goût en matière de destination – je veux les garder à Nantes. Et tu aimes aussi ma ville ! Oui Francis a lu la nouvelle qu’il avait publié et l’a pisté à la fac ! Jim Harrison lui disait à quel point les français aiment les auteurs américains de l’ouest. Il en est sûr à présent !
dire que je n’ai pas encore lu ce recueil…!
en tout cas trop fort de la part de Francis Geffard d’avoir repéré l’auteur avant même la publication de son recueil aux USA!
Quelle honte 😉 Il va falloir rapidement remédier à ça ! Oui, j’ai bien rigolé quand j’ai appris cette histoire et qu’il avait pisté Callan Wink à sa fac !
La nouvelle est un genre avec lequel j’ai du mal… mais j’ai tellement vu ce recueil qu’il faudrait que je sorte enfin de ma zone de confort… surtout pour un auteur américain, le risque est très limité.
Belle rencontre, en tous les cas!
Merci ! Bizarre que tu aies du mal avec les nouvelles, elles sont trop courtes ? Tu t’attaches trop vite ? Oui, je pense que tu peux tenter le coup avec lui et si tu veux une « plus longue » nouvelle, commence par la dernière !
Grand merci pour ce billet et bravo pour la rencontre. C’est vrai que lorsque j’évoque mes rencontres d’auteurs us avec mes amis américains, ils sont toujours étonnés qu’on les aime autant en France… On doit être exotiques ! Pas encore lu Calan Wink mais cela ne saurait tarder. Je termine des polars en ce moment un anglais Laura Wilson « La Guerre de Stratton », l’Islandais de service « Mörk » de Ragnar Jonasson, et « Drood » le pavé de Dan Simmons. Et tellement encore de découvertes à faire…
Je n’arrive pas à lire plusieurs romans à la fois donc je suis épatée ! De rien. J’ai vraiment eu de la chance de le rencontrer et parler anglais facilite la tâche. Oui ils sont épatés que les Français les aiment autant
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