Repéré lors de sa parution chez Plon en octobre 2016 sous le titre Sur le fil, je l’avais ajouté à ma wishlist. Malheureusement, Plon ne lit pas celle-ci 😉 Le hasard a fait qu’en 2017, je le croise à nouveau mais dans sa version originale (Goodreads) et je craque. J’achète la version originale en anglais. La couverture française me plaisait mais la version originale encore plus.
Je suis étonnée, après ma lecture, que ce roman ait fait si peu parler de lui à sa sortie …Mais je vais rattraper cette terrible erreur ! J’ai beaucoup aimé ma lecture et très bon signe, plus j’y pense, plus je l’aime. Il m’a touché profondément et je sais qu’il va rester longtemps en moi. Un grand coup de cœur ♥ pour ce premier roman.
Nous sommes le 22 novembre 1963. La mère de Kipling, 14 ans et de Jeannie, 19 ans, trouve la mort dans un accident tragique. Quelques heures plus tard, JFK est assassiné à Dallas et le décès de leur mère « passe au second plan ». Les amis de la famille se succèdent à la maison et on attend de Jeannie qu’elle remplace sa mère, mais la jeune fille a d’autres plans. Elle rêve d’émancipation or elle doit gérer la dépression de son père qui boit de plus en plus, et le comportement de Kip dont les fréquentations sont douteuses.
Réservée, Jeannie admire sa copine qui enchaine les expériences avec les garçons – d’ailleurs, cette dernière sort avec le garçon le plus populaire de son lycée. Nous sommes dans au début des années 60 et la contraception n’est pas encore répandue. Lorsqu’elle tombe enceinte, son amie choisit d’avorter, Jeannie en est troublée. La jeune femme trouve un emploi de serveuse lorsqu’elle fait la connaissance d’un jeune interne en médecine qui vient déjeuner tous les jours. Celui-ci l’invite à sortir et Jeannie est fière de présenter à sa copine un garçon plus âgé et venant d’une très bonne famille. Pour Jeannie, la première fois sera malheureusement la bonne et la voici à son tour enceinte. Mais contrairement à son amie et pour préserver les conventions, elle se marie et accouche d’une petite fille. Son époux continue son internat et Jeannie doit tout à coup mettre un voile sur ses rêves de liberté. La voici passée de « fille, soeur et mère de substitution » à « mère et épouse« . Jeannie doit faire une croix sur ses rêves d’indépendance.
Son frère, laissé seul, sombre dans la délinquance et finit par commettre une grosse bêtise (un cambriolage), le juge lui laisse le choix : retourner au lycée et obtenir son passe droit pour l’université ou intégrer l’armée. La guerre du Vietnam vient de commencer. Kip qui ne supporte plus la vie avec ce père alcoolique et la solitude, choisit le second. Une forme de rébellion contre son père qui fut un soldat de la seconde guerre mondiale reconnu et médaillé pour ses actions. Lorsqu’il l’annonce à sa sœur ainée, dont il fut très proche, celle-ci, détourne la tête et ne lui demande pas de renoncer. Un remord qui va la ronger pendant des années.
Lorsque Kip rejoint l’artillerie, il est loin de se douter de ce qui l’attend et très vite le jeune homme vit un enfer. Lors d’une expédition, il assiste impuissant à la mort de ses camarades. Profondément touché, le jeune homme va commettre l’irréparable. Les scène de guerre sont très puissantes et on ressent ici toute l’anxiété ressentie par Kip.
The silence is breathing sick and hot in my ears. I’m blacked up and lush with bullets, but I feel so naked and skinless, I could be wearing my guts outside my body. My heart’s banging so hard I can feel it bulging at my chest, like a rat in a bag. (..) and I remember what my dad told me when I was waiting to bat at a Little League game when we were down five to six (…) : « It’s easy. Just breathe, in and out. Nothing to it. » And I breathe. In, out. In, out.
Jeannie peine à trouver sa place d’épouse dans cette vie conventionnelle et très bourgeoise. Elle voit sa vie bouleverser par l’arrivée de Lee, une adolescente rebelle, fille d’une amie de ses beaux-parents. La jeune femme a rejoint un mouvement libertaire à San Francisco et invite Jeannie à les rejoindre. Bientôt une histoire d’amour naît entre ces deux jeunes femmes…
Jeannie et Kip sont bouleversants (et Tom plus tard). A travers leur intimité, l’auteure offre au lecteur un éclairage sur cette époque charnière et un témoignage poignant sur l’envers du rêve américain et surtout les désillusions de la jeunesse américaine. A une époque où les mouvements des droits civils rejoignent ceux de la liberté sexuelle, les premiers « hippies », c’est une jeunesse perdue qui doit faire des choix. Les jeunes hommes, s’ils ne sont pas étudiants, sont incorporés par l’armée et envoyés de force au combat et les jeunes femmes refusent de continuer à mener la vie de femme au foyer comme leurs mères. Jeannie aspire à ce changement et à travers Lee, continue de rêver à cette possible liberté.
Le roman donne la parole à Jeannie puis à Kip et à Tom également (je laisse le soin aux lecteurs de découvrir ce personnage clé) et j’ai trouvé ce choix narratif très intelligent car il nous permet d’appréhender au plus près leurs doutes, leurs espoirs mais surtout de comprendre au mieux les bouleversements qui les submergent. La culpabilité de l’une, la colère de l’autre, la souffrance, les non dits. Tout y est traité avec soin, très subtilement.
J’ai été fortement impressionnée par le style d’écriture et il s’agit d’un premier roman ! Quelle claque. Hannah Kohler écrit magnifiquement, j’ai plein d’exemples en tête.
« You’re right. It was your Mom’s job », said her dad. His face was flushed and tight. « Truth is, you needed your Mom too ». Jeannie felt the words like a burn ; she turned her head from them. « Well all needed her » said Jeannie. The sulkiness of her tone wasn’t lost on either of them. He felt her dad’s eyes on her. « She would have stopped you from being unhappy », he said.
Le roman est sombre, doux-amer mais profond et d’une puissance étonnante pour un premier roman. Et une surprise pour beaucoup de lecteurs anglophones (moi la première), Hannah Kohler n’est pas américaine mais anglaise et vit à Londres. Il s’agit de son premier livre et elle maîtrise totalement la langue américaine et la culture américaine. Elle réussit avec brio à nous plonger dans cette époque clé de l’histoire et à retranscrire la crise identitaire du peuple américain.
Des personnages principaux et secondaires très bien exploités, avec une profondeur rarement vue dans un premier roman. Kip et Jeannie sont terriblement touchants, leur éducation rigoriste les empêche de vivre pleinement leur vie, d’exprimer leurs émotions. Je ressens comme une sorte de nostalgie en écrivant ces mots, j’aurais vraiment aimé les croiser à nouveau. En tout cas, il est certain que je me précipiterai sur son prochain roman!
Un livre à découvrir d’urgence, en français ou en anglais.
♥♥♥♥♥
Éditions Picador, 2016, 368 pages
12 commentaires
Non mais… comment veux-tu que je résiste? Je craque complètement. Je viens de passer la commande à ma libraire chouchou via FB. Pas de niaisage!
Ah super ! Mon premier commentaire et c’est toi ! Youpi ah Kip … et oui le livre est disponible en français !
C’est bien de permettre une nouvelle chance à ce roman (2016 c’est loin! ^_^)
Oui ! Il est un peu passé à la trappe. Il était dans ma wishlist mais personne n’en a parlé or il est magnifique !
C’est bien de le remettre à l’honneur ! Il a l’air superbe!
Il l’est ! Les personnages sont attachants et profonds. Et le style est impressionnant pour un premier roman
Et il n’a que deux critiques sur Babelio!
Vraiment ? Je vais aller ajouter la mienne !
Ah mais comment veux-tu que je résiste!!!! C’est tout à fait le genre de lecture dont j’ai envie en ce moment… Merci!
De rien ! Je ne sais pas comment il est passé inaperçu à sa sortie … 🙂
Que tu me donnes envie…! je le note immédiatement. C’est intéressant ce que tu as écrit au début, plus tu y penses plus tu l’aimes. J’ai fini un livre ce week-end (rentrée littéraire) qui m’a beaucoup dérangée au départ. Et depuis que je l’ai fini, j’y ai beaucoup pensé et à chaque fois je me dis que je l’aime un peu plus… Bref, sinon, je me demandais si tu avais lu The Girls d’Emma Clyne, qui était aussi un premier roman, et qui avait une maîtrise dans l’écriture que j’ai trouvée impressionnante.
Merci ! Oui, j’ai eu ce sentiment quelques jours après, plus j’y pensais plus je me disais que les personnages me manquaient. Non, je n’ai pas lu The Girls car j’adore Sharon Tate et je n’arrive pas à lire de romans qui abordent (directement ou indirectement) son assassinat. Je suis ravie que son assassin soit enfin mort 😉
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