Attention, lecture coup de poing !
J’ai commencé cette lecture en doutant légèrement de mon intérêt pour ce genre de roman, celui d’un gamin pris dans l’étau d’un mouvement extrémiste au nord du Nigéria. Et en quelques pages, tous mes préjugés ont été balayés et j’ai été totalement happée par l’histoire et la vie du jeune héros, Dantala. Je suis ravie de pouvoir partager ici mes impressions !
Dantala est le narrateur du roman, nous sommes à ses côtés, suivons ses pas, dans ce Nigéria méconnu. Loin de celui de Lagos, de la ville tentaculaire, des quartiers huppés, nous sommes tout au nord du pays, à la frontière du Niger, où la majorité de la population est pauvre et musulmane, à l’inverse des Yorubas chrétiens, élites et dirigeants du pays. Dantala (dont le nom signifie littéralement « Né un mardi ») est Haoussa. Sa mère l’a envoyé, lui et ses frères dans des écoles coraniques à la mort de leur père. Séparé de tous, il ne se souvient que de sa mère, qu’il rêve de retrouver. Dantala est désormais un enfant des rues à Bayan Layi. Les journées passent, Dantala, plutôt petit et frêle, ne quitte plus son protecteur, Banda, ils fument ensemble de la wee-wee sous le baobab et acceptent de jouer les méchants pour le chef du Petit Parti qui veut remporter les élections. Un jour, on leur demande d’aller expulser les militants du grand Parti et de tout casser. Dantala prend une machette et suit les autres. Il le sait : la violence ne résout rien et les bagarres tournent souvent mal, mais tout ce qui arrive est la volonté d’Allah. Mais ce soir-là, tout est allé trop loin. L’émeute est violemment réprimandée et son meilleur ami est tué. Dantala prend la fuite.
Le garçon se réfugie à Sokoto et trouve un petit job à la mosquée de l’imam Sheikh. Le garçon reprend son nom religieux, Ahmad, et fait la prière 5 fois par jour. L’imam salafiste le prend sous son aile et comprend vite que Ahmad est intelligent. Le garçon parle haoussa, arabe et il apprend l’anglais auprès d’un autre jeune homme, Jibril. Celui-ci est né Yoruba, chrétien, il s’est converti à l’islam, poussé par son frère, Malam Abdul-Nur, le bras droit du Sheikh. Ce dernier tient un discours beaucoup plus rigoriste et violent à l’encontre des « infidèles », il veut prendre les armes et imposer la Charia. Sheikh cherche au contraire à apaiser les tensions. Il veut éduquer les filles et garçons (école, université) tout en imposant le voile et la séparation entre hommes et femmes. Un jour, Abdul-Nur fait sécession et part créer sa propre secte, forçant Jibril à le suivre….
Le nord du Nigéria est en proie à de graves conflits, entre les musulmans sunnites (comme Dantala) et les musulmans chiites, entre chrétiens et musulmans mais aussi au sein des ethnies. On leur enseigne que les Igbo sont des voleurs, les Yaruba sont des mécréants, menteurs et fainéants et la banque mondiale est sous la coupe des Juifs. Les populations connaissent la faim, la misère et la violence. Les épidémies de choléra, l’eau polluée, la mendicité font partie de la vie quotidienne.
A travers le regard naïf du héros, le lecteur découvre la corruption qui sévit dans toutes les branches de la société, des petits chefs de gang aux politiciens hauts placés et plus surprenant chez les imams. Peu à peu, Ahmad ouvre les yeux, tout en priant Allah.
Tirer me fait peur et en même temps j’ai l’impression que quelqu’un m’envoie une décharge électrique dans le corps. Tirer me donne l’impression d’avoir bu quelque chose qui me fait planer.
J’ai été totalement happée par ce roman. Me voici plongée sur ses routes poussiéreuses, où l’harmattan vient souffler le chaud et froid. Dans ces petites villes, au milieu des vendeurs de koko, sous les baobab où les gamins dorment, après avoir fumé de la wee-wee et s’être battus pour un morceau de canne à sucre, avant de brandir des machettes, mettre le feu et chasser les infidèles. Où l’on trimballe sa pauvreté de ville en ville, en emportant sa vie dans un baluchon, assis dans un bus bondé à la merci des gangs.
« On court, on aime, on est Dantala, de bout en bout, passionnément » – je n’avais pas lu ce mot de l’éditeur, et pourtant il résume parfaitement mon sentiment à la lecture de ce livre ! Passionnant, bouleversant, un roman formidable, fort, émouvant et « dont on sort complètement retourné « .
Une lecture coup de poing mais aussi particulièrement instructive qui démontre comment des hommes, assoiffés de sang et de pouvoir, utilisent leurs positions de chefs religieux pour créer des mouvements sectaires et transformer des jeunes garçons en machine de guerre. Passionnant et effrayant.
Elnathan John est né en 1982 à Kaduna, dans le nord du Nigeria. Avocat, écrivain, satiriste, il vit entre l’Allemagne et le Nigeria. Il a été finaliste du Caine Prize à deux reprises. Né un mardi, son premier roman, unanimement salué par la critique, a été publié au Nigeria, en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne. Quelle chance de l’avoir découvert !
Un grand merci à ma fée 😉
♥♥♥♥♥
Editions Métailié, Born on a Tuesday, trad. Céline Schwaller, 2018, 272 pages
14 commentaires
Tu donnes envie, sur un sujet pourtant pas « facile ». Je note.
Non un sujet pas facile, mais une vraie plongée dans la réalité, très instructif et en même temps passionnant, on redécouvre le Nigéria 🙂
Je note aussi! Difficile de faire autrement… Tu vois à quel point sortir de sa zone de confort, ça a du bon!!!
Oui ! Et pourtant ce n’était pas gagné, mais l’écriture et on voit de l’intérieur les racines du mal et on comprend mieux comment un pays se divise et sa jeunesse en paie le prix. Et malgré tout cela, il y a de la lumière tout du long, ce n’est pas lourd.
Il est parfait pour toi 🙂
j’aurais dû le lire, tiens (j’ai habité dans le coin, mais de l’autre côté de la frontière, mais à l’époque pas d’extrêmistes, heureusement)
Il sort aujourd’hui donc tu n’es pas en retard
Très tentée aussi! une lecture qui s’annonce forte
Oui
Comme toi, je ne serais pas allée naturellement vers ce livre, mais finalement… Ceci dit, je vais d’abord me pencher sur les cas Osorio et Ferrante 😉
Oui c’est un excellente surprise même avec un sujet grave. Ça permet de mieux comprendre leur manière de penser
Très tentant, ce titre : le sujet, la façon dont il est traité… j’ai lu il y a peu « Allah n’est pas obligé », dont le narrateur est un enfant soldat, dont on suit le funeste parcours également, de la Côte d’Ivoire au Liberia, mais le ton ne m’a pas emballée…
Ah désolée. Ce n’est pas totalement un enfant soldat car il n’est pas envoyé au combat même s’il prend une machette. Mais oui c’est sur l’embrigadement de ces jeunes par ces imams qui plongent la population comme les hommes politiques dans les combats. La voix de Dantala n’est pas celle d’un enfant contraint, il reste sur ses positions. Mais les enfants soldats sont aussi un vaste sujet, loin de mes lectures habituelles
Ton avis me donne très envie de découvrir ce roman, je note ! Merci 🙂
Merci ! Super
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