Publié en 1984, The tie that binds (les liens qui unissent, ce qui rapproche) est le premier roman de Kent Haruf. J’ai découvert cet auteur par hasard en achetant dans une bouquinerie son roman le plus connu (Le chant des Plaines) en 2015. Puis j’ai dévoré ses autres romans, tous traduits en français et j’ai acheté en anglais les autres. L’an dernier, Our souls at night, son dernier roman a été traduit, mais je l’ai lu en anglais un peu avant.
Il me reste donc trois romans, non traduits à ce jour, à découvrir de cet auteur, malheureusement disparu trop tôt : Where you once belonged, Benediction et The tie that binds. Ce dernier livre est en fait son premier roman. Je n’ai pas lu la quatrième donc j’ignorais où se situait l’histoire. J’ai été très émue en découvrant, à la deuxième page, que Kent Haruf avait créer le comté de Holt dès son premier roman. Me voici donc de retour à Holt, dans le Colorado, en janvier 1977.
Edith Goodnough est alitée dans un hôpital, un officier de police à sa porte. La vieille dame, âgée de 80 ans, est accusée de meurtre. Les preuves ? Un sac de graines pour le poulailler éventré, un chien au regard laiteux, attaché à l’extérieur par un après-midi très froid. Les motifs ? Le travail rude de la terre et un code d’éthique familial aussi peu complaisant que la prairie peut l’être.
Kent Haruf délivre ici l’histoire d’une femme des Hautes Plaines, portée par la voix de son voisin, Sanders Roscoe. Edith est née dans une ferme, où l’herbe se fait rare et où la vie est difficile. Son père est un homme taciturne et autoritaire. La mère d’Edith ne s’est jamais fait à cette vie rurale et décède alors que sa fille n’a que 16 ans. Edith est une adolescente qui aime l’école et rêve de quitter la ferme. Elle a des sentiments pour son voisin, un métis (sa mère était indienne) et les deux jeunes gens commencent à se fréquenter. La mort brutale de sa mère met fin à tous ses espoirs : Edith doit combler son absence et gérer la vie quotidienne de la ferme : ramasser les œufs, traire les vaches, préparer les repas, faire le ménage. Adolescente, elle accepte son sort mais à 25 ans, toujours amoureuse de son voisin, elle commence à rêver de mariage. Un soir, elle s’éclipse et ils vont au cinéma ensemble. Il la demande en mariage. Elle se refuse à laisser son jeune frère, la bête noire de son père violent à la maison. Son amoureux lui promet de l’emmener. Edith a soudainement espoir.
Mais son père l’attend à la maison et lui impose de cesser immédiatement cette relation. Edith est pourtant majeure, mais à cette époque (1922-23), les jeunes femmes n’ont pas de véritable indépendance, elles ne peuvent ouvrir de compte bancaire ou faire un emprunt et ont un profond respect envers leurs parents. Edith pense pourtant à lui résister mais une nouvelle tragédie plonge les Goodnough dans le malheur et Edith referme à jamais son unique possibilité de liberté.
Les années passent, nous sommes en 1941 – ROSCOE (le fiancé) a épousé une autre femme et ils ont eu un fils ensemble. Ils sont toujours voisins avec la famille Goodnough. Mais ROSCOE n’a plus le droit de mettre les pieds sur leur propriété.
Edith a 44 ans, son frère 37 lorsque le Japon attaque Pearl Harbor. L’Amérique est en guerre. C’est l’opportunité pour X de quitter la ferme. Il part s’engager dans l’infanterie, direction la Californie. Il laisse seule Edith qui doit gérer un père toujours aussi maniaque et taciturne. L’homme s’est brouillé avec sa fille et ne lui adresse plus la parole. L’homme a vieilli et doit être aidé dans chacun de ses gestes. Edith doit soudainement remplacer son frère au pied levé, ce que ne supporte pas ROSCOE qui va agir. Son père ne va pas supporter cet affront et va s’enfermer dans le silence.
Son frère lui a promis de lui écrire. Il le fait sous la forme d’une simple carte postale et d’un peu d’argent envoyé uen fois par an. L’homme parcourt le pays d’Est en Ouest. Trop vieux pour l’armée, il accepte le travail en usine, refusant à jamais le travail en ferme, celui-ci lui rappelant trop les brimades de son père.
Edith croit fermement à son retour, malgré les années qui passent. Elle s’est liée d’amitié avec le fils Roscoe, Sandy, et celui-ci vient souvient la voir. Le vieux Goodnough est alité. Le jeune homme la trouve si compatissante, les années ne semblent pas l’avoir trop affectée. Elle reste toujours aussi séduisante alors qu’elle a passé la soixantaine. Il ne croit pas au retour du frère prodige et s’inquiète de voir cette femme si seule dans cette ferme.
Edith a tout donné pour cette ferme, elle a fait le travail de l’homme, de la femme, de la mère, de la sœur – elle n’a jamais quitté ses terres malgré ses rêves de liberté. Sans vouloir trop en dire, je peux vous dire que dans un seul geste, cette femme va se réapproprier sa liberté.
Kent Haruf fait preuve d’une parfaite maîtrise (c’est son premier roman) et nous offre déjà ce qui fait sa marque de fabrique : une profonde humanité envers ses personnages, une affection profonde pour ses héros anonymes et une description magnifique de cette vie de dure labeur où tant de personnes se sont sacrifiées. Tout y est. C’est MAGNIFIQUE.
Si dans d’autres romans, comme dans la Couleur Pourpre dernièrement, j’ai parfois eu du mal avec les personnages passifs, ici impossible de la décrire comme telle, puisqu’elle a toujours travaillé, trimé et malgré tout elle a conservé sa dignité, sa beauté et ses rêves. Elle force l’admiration.
Et lorsque j’ai tourné la dernière page, j’avais de nouveau le cœur serré. Rares sont les auteurs qui me font à ce point là ressentir de l’amour pour ces gens-là. Un portrait de femme magnifique.
Le livre a été publié en 1984. J’aurais aimé le découvrir à cette époque et le suivre pendant plus de trente ans, mais j’étais une enfant. Il me reste seulement deux romans de lu à découvrir. Je les garde pour les prochaines fêtes de Noël, ma madeleine à moi.
♥♥♥♥♥
Éditions Picador
14 commentaires
Pffff, tu parles si je l’aime, et je n’en ai lu que deux. Mes biblis ne le connaissent pas, hélas…
Même pour le dernier traduit ? Nos âmes la nuit ? C’est un auteur tellement bon ! Et il le prouve dès son premier livre
J’éprouve vraiment un attachement particulier pour deux écrivains disparus trop tôt : Kent Haruf bien sûr mais aussi William G. Tapply. Il me reste encore quelques « merveilles » à lire ! Merci pour ton billet, tu es d’un enthousiasme communicatif… Je lis tout autre chose en ce moment Don Winslow et Jasmine Ward …
Oui pareil j’adore William G. Tapply. Ils sont partis trop tôt Jesmyn Ward est aussi dans mes auteurs chouchous
Tu me le traduit pour la fin du mois?!
J’ai trop envie de retourner faire un tour à Holt. Le dernier qu’il me reste à lire, en français, vient de passer de ma pàl à ma table de nuit. Ce sera donc pour très très bientôt!
Ce qu’il nous manque, notre Kent…
Oui il nous manque ! Il avait déjà tout fait dans son premier roman, le talent, le style et sa profonde humanité. Pour la traduction, je vais réfléchir ! Ah il arrive près de chez toi, un bon moment en perspective
Je n’ai lu qu’un roman de l’auteur et j’en garde un très beau souvenir 🙂
Oui je veux tout lire de lui ! Dommage qu’il soit parti trop tôt
J’ai beaucoup moins aimé Nos âmes la nuit que Le chant des plaines ! Mais je lirais bien un autre roman de cet auteur, mais en français !
Tu peux lire la suite du Chant des Plaines ? Les gens de Holt County
Dommage qu’il ne soit pas traduit, je ne me sens pas capable de le lire en VO…
J’espère que les éditeurs de Nos âmes la nuit vont traduire ses autres romans. Ça n’aurait aucun sens de ne pas le faire J’espère les tenter avec mes billets
Absolument ! Qu’on le traduise le plus vite possible !!!
Au boulot messieurs dames 🙂
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