Une vie ∴ Guy de Maupassant

par Electra
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Je le dis et je le redis : je suis une quiche quand on vient à parler des classiques français. La faute en partie à mes professeurs de collège. Des profs en guerre contre leur ministère de l’époque et qui avaient décidé de ne pas enseigner les classiques et se consacrer uniquement aux écrivains du 20ème S. (et pas les meilleurs).  Si Maupassant est aujourd’hui considéré comme un classique ; à l’époque, il fut le seul à échapper à l’ire de mes enseignants et j’avais donc lu plusieurs de ses oeuvres, dont le fameux Pierre et Jean que j’avais adoré.  Mais Une vie, non.

1819 – Normandie.  Jeanne quitte le pensionnat du Sacré-Coeur. A dix-sept ans, elle est la fille unique choyée du Baron Le Perthuis des Vauds. Elevée à la campagne, la jeune femme est entourée par des parents aimants mais stricts. Sa mère, fragile, a du mal à se déplacer mais elle fait tout pour rendre heureuse la jeune femme qui aime particulièrement les promenades au bord de l’océan. Jeanne rêve du Prince Charmant et lorsqu’elle fait la connaissance de Julien de Lamare, un homme séduisant, elle pense l’avoir trouvé. Elle accepte sa demande en mariage parce qu’il est le premier à lui glisser des mots doux dans l’oreille. Mais la jeune femme déchante vite, son mari est infidèle et son avarice est flagrante dès leur voyage de noces. Son époux n’aura de cesse de consommer la fortune de son épouse et de ses beaux-parents.

Jeanne accepte bon gré mal gré cette situation en donnant tout son amour à leur fils unique. Les années passent et les désillusions continuent. Jeanne est trahie de multiples façons, en tant qu’épouse, femme ou mère. Des épreuves qui vont la blesser mais également la rendre plus forte.  Sans vouloir en dire plus, j’ai bien aimé la fin où Maupassant s’amuse à venger son héroïne.

J’ai adoré retrouver la plume de Maupassant, j’ai toujours aimé son écriture et j’ai eu plaisir à relire cette belle langue française du 19ème (le roman a été publié en 1883). Et ce qui fait de cette courte histoire un bijou, c’est la peinture remarquable des moeurs provinciales de l’époque.

Il témoigne des conventions sociales du monde rural et de ses aberrations.  Il décrit à la perfection les habitants de Normandie, que ce soit les hobereaux, les paysans et même les domestiques. Rien ne lui échappe.  A l’époque, les jeunes femmes ne rêvent que d’une belle union et on les éduque en ce sens. Elles sont maintenues dans une forme d’ignorance et apprennent à se complaire uniquement dans les choses mondaines. Maupassant dote Jeanne d’une sensibilité particulière et chez elle, c’est la nature qui lui permet de se retrouver, de se réveiller de ce mutisme qu’elle adopte dans le malheur.

En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre (…) Aucun besoin mondain ne la possédait ; aucune soif de plaisirs, aucun élan même même vers les joies possibles ; lesquelles d’ailleurs ? Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par les temps, tout se décolorait doucement à ses yeux, tout s’effaçait, prenait une nuance pâle et morne.

Certains passages sont magnifiques et il arrive avec maestro à traduire les sentiments de la jeune femme, à l’égard de son époux, mais aussi de sa condition ou de sa relation envers ses parents.  Maupassant aime les détails, il place son regard dans les petites choses du quotidien, dans les bibelots, dans les pas de ses personnages.

A l’époque, la femme n’est rien sans son époux, impossible de le quitter malgré l’humiliation. J’adore le passage où elle remonte une dernière fois au grenier et retrouve des bibelots, insignifiants à l’époque, « qu’elle avait maniés et qui avaient trainé quinze ans à côté d’elle ». Et elle se souvint soudainement de chacun de leur emplacement et ils prirent « une importance soudaine de témoins oubliés » :

Ils lui faisaient l’effet de ces gens qu’on a fréquentés longtemps sans qu’ils se soient jamais révélés et qui soudain un soir, à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu’on ne leur soupçonnait pas.

Premier roman de Maupassant, il témoigne déjà d’un immense talent. Ce qui est touchant c’est que la vie de Jeanne, oeuvre de fiction, a probablement grandement ressemblé à la vie de vraies jeunes femmes de l’époque. Son regard acéré sur la société de l’époque m’a fait penser à Jane Austen qui aimait aussi disséquer les conventions sociales et les moeurs des petits bourgeois.

Je compte continuer à lire Maupassant et j’ai quelques autres classiques sous le coude, mais ils vont attendre un peu car cette année est d’ores et déjà très chargée.

♥♥♥♥♥

Editions Le livre de Poche, 247 pages

Et pourquoi pas

24 commentaires

Fanny 5 février 2018 - 6 h 39 min

Je trouve que Maupassant est très accessible pour les jeunes lecteurs. J’avais adoré à l’époque Boule de suif. Mais je n’ai pas réitéré l’expérience ! Je pense que j’ai Une vie dans le fin fond de ma bibliothèque !

Electra 5 février 2018 - 6 h 52 min

Oui, j’ai lu ses nouvelles et un de ses romans et effectivement, à l’époque – j’avais trouvé ça accessible. Je pensais être la seule à ne pas l’avoir lue ! (Il me reste Boule de suif à lire)

keisha 5 février 2018 - 8 h 16 min

Je ne me souviens mêem pas si j’ai lu Une vie!
Maupassant se lit bien, essaie boule de suif, sans rien savoir de l’histoire.
Je lis pas mal de classiques (le lycée est loin désormais) avec parfois de belles découvertes, et sans complexes. Je conseille d’éviter de lire les préfaces qui racontent tout (les lire après, c’est bien) Quant à en parler sur le blog, pareil, je donne mes impressions, sans écrire un essai, c’est le boulot des spécialistes (et tout est déjà sur internet)

Electra 5 février 2018 - 9 h 08 min

Je ne crois pas avoir écrit d’essai ??. je ne comprends pas ce que tu veux dire par là .. j’ai juste écrit une chronique mais le café n’a pas encore fait effet ce matin 😉 Je n’ai pas oublié mes lecture de collège, mais avec le temps, qui sait ? Je n’ai pas de complexes parce que je pense que la littérature ne se résume pas à la lecture des classiques. Et je ne compte pas lire Stendhal ou Proust par exemple. Pour les préfaces, je ne les lis pas sauf celles écrites par l’auteur lui-même – sinon je les lis après (je lis des classiques étrangers, donc les préfaces et postfaces je connais). Je lis les préfaces dans les essais (non fiction) par contre, car elles sont très utiles pour éclairer le contexte et on connaît déjà le thème du livre.

keisha 6 février 2018 - 8 h 55 min

Oups, j’étais dans mes pensées, bien évidemment le mot essai ne s’adressait pas à ton billet! Je m’aperçois souvent que je ne m’exprime pas assez clairement, heureusement tu en parles. Bref.
J’essaie de rester une lectrice en découverte, sans rien savoir, même pour les classiques, et je déteste quand on me raconte l’histoire en préface. Pour les essais, tu as raison, on peut y aller, souvent ça aide.

Electra 6 février 2018 - 14 h 00 min

Ah je me disais ! Super si j’ai écrit un essai en si peu de mots. Parfois je fonce sans lire et parfois je regarde à nouveau la quatrième quand par exemple le contexte n’est pas clair ! Mais j’aime bien aussi lire sans filet

Mes échappées livresques 5 février 2018 - 9 h 24 min

Côté classique j’ai de grosses lacunes aussi… J’ai seulement lu de Maupassant Bel-ami que j’avais beaucoup apprécié au lycée 😉

Electra 5 février 2018 - 11 h 07 min

Je n’ai pas lu Bel-Ami même si je connais l’histoire ! en tout cas, ravie de voir que l’on peut vivre sans les avoir lus 🙂

luocine 5 février 2018 - 11 h 52 min

Maupassant c’est un régal à tous les âges….

Electra 5 février 2018 - 11 h 55 min

exactement ! quelle finesse 🙂

Mingh edwige 5 février 2018 - 14 h 08 min

Il y a des classiques incontournables pour moi (en dehors des plus enseignés…). J’ai encore en mémoire les nouvelles (ou cours romans) de Madame de La Fayette comme « La Princesse de Montpensier » ( superbe film de Tavernier !) et « Dominique » d’Eugène Fromentin, qui ferait aussi un super synopsis de cinéma …
Fonds inépuisable pour les « en manque  » de lecture !

Electra 5 février 2018 - 19 h 35 min

Merci, je les note 😉 J’ai aussi des classiques en tête mais tous étrangers, liés à mes études à la fac (classiques britanniques et russes) 🙂

Céline 5 février 2018 - 17 h 58 min

J’ai dévoré Maupassant à l’adolescence ! Je ne lis quasi plus de classique, j’ai attendu de sortir du lycée pour découvrir les contemporains (mes professeurs étaient un peu vieux jeu). Je devrais m’y remettre de temps en temps ! Je garde un très beau souvenir de « Une vie ».

Electra 5 février 2018 - 19 h 36 min

Merci ! J’adorais ses nouvelles, j’en garde aussi un très bon souvenir. J’ai lu beaucoup de SF à cet âge-là et bizarrement je n’en ai plus lu depuis, étrange, non ?

Titezef 5 février 2018 - 23 h 01 min

À mon grand désespoir j’ai de grosses lacunes en classiques littéraires. J’étais allergique à tout ce qui n’était pas math et sciences pendant mes études. Si…je me souviens de Candide… 🙂
Peut-être pour mes vieilles années ? Lecture au coin du feu :). Mais j’ai lu ton billet avec plaisir.

Electra 5 février 2018 - 23 h 19 min

Mdr moi j’ai toujours aimé lire mais ça se passait chez moi en piquant les romans chez ma grand-mère ça viendra ! Mais Maupassant et ses nouvelles ça va bien au coin du feu

Titezef 5 février 2018 - 23 h 44 min

Non non…J’avais toujours un livre à portée de mains des que j’ai su lire. Mais jamais d’auteurs classiques. Des policiers ,que j’aiment toujours, de la SF beaucoup, maintenant je n’en lis plus du tout comme toi et des auteurs divers. J’élargis mon champs de lecture depuis qq années (grâce aux blogs 🙂 ) alors …va savoir…

Electra 6 février 2018 - 6 h 56 min

Oui va savoir ! Pareil j’adorais lire mais pas à l’école. Ah les policiers j’ai lu beaucoup de policiers avant de revenir à la fiction. On tourne donc mais je ne crois pas que la roue s’arrêtera sur classiques français

hélène 6 février 2018 - 8 h 23 min

J’adore sa « Partie de campagne ». J’avais trouvé « Une vie » assez sombre, et pour cause;..

Electra 6 février 2018 - 8 h 46 min

Oui c’est sombre ! Mais tellement bien écrit !

Delphine-Olympe 6 février 2018 - 14 h 04 min

L’un de mes écrivains fétiches !

Electra 6 février 2018 - 14 h 04 min

Ah ! On se retrouve

La Rousse Bouquine 14 février 2018 - 11 h 55 min

J’avais commencé à le lire il y a des années, mais je crois que je n’avais pas la maturité nécessaire pour vraiment l’apprécier. En revanche, j’aurais très envie aujourd’hui de relire Bel-Ami !

Electra 14 février 2018 - 12 h 13 min

Je n’ai pas lu Bel-Ami. Mais oui ce roman casse un peu le rêve des petites filles !

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