Je ne connaissais pas l’auteur allemande Judith Hermann, je la découvre dans ce recueil de 17 nouvelles. L’auteure explore des instants de vie, souvent décisifs dans la vie de ses personnages. Des moments-clés où ils prennent soudainement conscience de leur situation, de leurs envies, de leur intimité ou à l’inverse de leur isolement.
La prose de Judith Hermann est fluide, simple, douce et poétique. Un recueil écrit toute en finesse où elle révèle encore une fois ce que j’aime tellement chez les nouvelles : partager, en l’espace de quelques pages, des émotions et des sentiments universels à travers des récits de vie différents.
« Peintre des sensations et des sentiments » me dit-on en parlant de cet écrivain, et c’est tout à fait ça. Elle réussit à exprimer l’insaisissable à travers les pensées de ces personnages, souvent troublés et confus. Et puis soudainement, ils prennent conscience, se révèlent à eux-mêmes ou aux autres. Le fil conducteur de ces nouvelles est le temps, qui passe, qui s’égrène inévitablement. Ses personnages s’interrogent sur leurs vies, sur leurs relations, sur ces décisions qui peuvent donner un nouvel élan à leur vie ou au contraire sur leur décision de ne rien changer.
Judith Hermann pose des questions que l’on se pose un jour : quelle proximité avons-nous réellement avec les gens que nous aimons ? (famille ou amis) – qu’en est-il de nos désirs profonds ?
Dans un demi-sommeil, écrivait ma mère dans son journal, je suis couchée sur le dos (..) et je vois ma vie défiler devant moi, une suite de jours qui vont passer de plus en plus vite au fil des années. Lorsque je vois ma vie défiler devant moi à 3 heures du matin, (…) je perds l’envie et la confiance. Et demain ? Le monde paraitra-t-il différent ?
Si j’ai trouvé le recueil parfois inégal (certaines nouvelles m’ont moins touchée), j’ai adoré la nouvelle Poèmes où le personnage principal se rappelle sa dernière visite à son père, un homme affaibli par de nombreux séjours à l’hôpital psychiatrique. Une visite qu’elle aurait aimé pouvoir repousser. Un homme « incapable de réfléchir, de s’occuper de rien, tout le dépassait » qui vivait dans un minuscule appartement, un véritable capharnaüm et qui lorsqu’il voit sa fille apporter un gâteau aux prunes, lui tient des propos méchants et incohérents.
Toute cette nouvelle est sublime ! Elle évoque avec tellement de talent le besoin que les enfants ont d’aimer leurs parents, même adultes et de sentir qu’ils les aiment en retour. Même ces parents malades. J’ai aussi beaucoup aimé les dernières nouvelles et celle qui a donné le titre au recueil, Certains souvenirs. Judith Hermann y raconte la relation d’une vieille femme solitaire avec l’une de ses locataires, une femme adulte seule. Lorsque sa locataire, Greta, lui confie son prochain lieu de vacances près d’un lac italien, la vieille femme lui raconte avec froideur qu’un homme s’y était noyé devant ses yeux il y a des années.
On dirait, pense Maude, que Greta est arrivée à entrer dans son souvenir. Dans son passé. Ou bien qu’elle se débarrasse de ses souvenirs ? Comme des feuilles, comme d’une peau.
Une jolie découverte, un moment de pure poésie, Judith Hermann possède le talent de la concision et maîtrise l’art de la subtilité. Une nouvelle preuve que le genre des nouvelles ne cesse de se renouveler et peut plaire à tout le monde.
Les 17 nouvelles du recueil :
Charbon ; Fétiche ; Solaris ; Poèmes ; Lettipark ; Témoins ; Avions en papier ; Iles ; Pollen de peuplier ; Certains souvenirs ; Cerveau ; Lettre ; Rêves ; Est ; Retour ; Croisements ; Mère.
♥♥♥
Éditions Albin Michel, Lettipark, trad. Dominique Autrand, 2018, 182 pages
15 commentaires
Hélas je ne lis pas assez de nouvelles. De plus il va falloir que je remonte la pente avec Albin Michel, les nouvelles attachées de presse semblent ne plus me connaître, pourtant ça fait des années… ^_^ En fait j’emprunte aussi en bibli.
Pourtant les nouvelles ça fait du bien – un rythme différent. Et ici des nouvelles allemandes ça change ! J’emprunte aussi en bibliothèque toutes les BD. J’en ai emprunté au moins dix ces derniers jours
Quand j’avais vu ce recueil dans les sorties de janvier, j’avais forcément pensé à toi… Des nouvelles un brin contemplatives (certes ni américaines ou canadiennes pour le coup)… Je me suis dit que ça ne pourrait que te plaire. Je ne me suis visiblement pas trompée !
Oui même si elles ne sont pas contemplatives – mais je comprends à quoi tu penses. Des extraits de vie avec en fil conducteur le temps et ses effets.
C’est bien la première fois que je lève le nez sur un recueil de nouvelles publiés chez Albin Michel. J’ai déjà tenté le coup avec cette auteure. C’était avec le roman « Au début de l’amour » et la sauce n’avait pas prise.
Je préfère en rester aux Américains (dont un recueil avec une poupée gonflable…) et aux Canadiens pour le moment (mai s’en vient!)
Ah ! Désolée. Ici pas pas de roman ni d’histoire d’amour. Les 17 nouvelles sont aussi très courtes. Moi j’ai trouvé ça bien ! J’adore les Américains mais pas d’arme ni de violence c’est aussi agréable
Dommage. Les nouvelles sont courtes et belles. Reposantes. Moins sombres que les américains. Ça fait du bien parfois
Je l’avais repéré aussi celui-ci mis on dirait que dans ma librairie on a allégé le rayon « Albin Michel », je n’ai pas trouvé le Canty non plus…
Pour cet opus allemand, je me laisserai sans doute tentée !
Zut alors ! Oui 17 nouvelles courtes mais belles et d’un style différent. Ça fait du bien !
« tenter » ! désolée pour la faute !
Pas de souci ! Ça m’arrive aussi dans des commentaires
Ah oui, j’avais entendu parler de ce recueil. Je ne connais pas l’auteure non plus mais j’aime beaucoup lire des nouvelles et les bons ne courent pas les rues.
Je le garde dans un coin de ma tête…
Oui, c’est un recueil différent de celui des auteurs américains (plus sombres), ici c’est aussi fort mais différemment. Une lecture apaisante et un style très fluide.
Aussi envie de découvrir cette auteur !
Un joli style et une douceur.
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