Une lecture qui restera à part dans cette rentrée littéraire. J’ai lu le livre d’une traite, incapable de le reposer la deuxième fois. Le titre ne dit pas tout, loin de ça, et c’est avec talent que le journaliste brésilien, Klester Cavalcanti, raconte le parcours hors norme de cet homme, finalement très ordinaire.
Júlio Santana est né en Amazonie, dans une zone très reculée du Brésil. Très jeune, le garçon apprend à pêcher et à chasser. Armé de sa carabine, il parcourt la forêt pour chasser singes, pacas, pecaris ou chevreuils. Le garçon rapporte tout à la maison – une simple cabane en bois, une seule pièce où cinq hamacs accueillent la famille Santana. Pauvres, les parents de Júlio aiment leurs enfants. Leur ainé, parti à la ville, n’a plus jamais donné signe de vie. Júlio fait attention à eux. Mais son coeur est déjà pris, il est amoureux et est obsédé à l’idée de vivre ses premiers émois sexuels. Il se confie à son oncle préféré. Celui-ci vient un jour leur rendre visite, mais atteint de la malaria, il se retrouve alité. Il va alors demander à son neveu préféré de lui rendre un service : tueur un homme.
A 17 ans, Júlio est choqué – il découvre que son oncle, officier dans l’armée, tue des hommes contre des sommes d’argent (mais aussi de la nourriture). Son oncle le rassure : si Júlio récite dix Ave Maria et vingt Pater Noster, il sera pardonné. Júlio hésite mais la somme d’argent proposée sera très utile à sa famille. Le jeune homme accepte. Son esprit est temporairement perturbé, il ne dort plus, ne mange plus mais sa petite amie accepte finalement de faire l’amour. Et lorsque son oncle lui propose d’aider l’armée à chasser les guérilleros qui se cachent dans la région boisée de l’Araguaia, le garçon accepte. Il s’est promis de ne plus tuer, et il doit uniquement guider les soldats à travers la jungle.
La mission va durer deux mois et Júlio va assister à des scènes de torture et sera forcé de participer à cette répression. Cette mission entraine définitivement le jeune homme dans une voie totalement opposée à celle qu’il espérait.
Júlio Santana se confie alors et le journaliste va récolter de précieuses informations sur la mort de deux jeunes guérilléros, étudiants originaires de Sao Paulo, dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Le journaliste va vérifier les dires de Júlio et confirmer son témoignage. Car un autre étudiant, arrêté et torturé, est toujours en vie et va pouvoir confirmer les éléments donnés par Júlio. Le détail des tortures que l’armée brésilienne (le régime était dictatorial à l’époque) que l’armée lui a infligé, et le souvenir de la présence de ce jeune homme, taciturne.
Júlio accepte de témoigner, de se confier à ce journaliste, après 35 années de « carrière ». Devenu « pistolero » (tueur à gages), le jeune homme accepte tout type de contrat. Il ne se pose guère de question sur le motif avancé par les commanditaires. Il tue hommes, femmes, enfants. Il assassine froidement 492 personnes. Il note soigneusement sur un cahier d’écolier chaque contrat, le nom du commanditaire, de la victime, la date et le lieu du crime.
Dans ce récit, le journaliste Klester Cavalcanti consacre une grande partie à la jeunesse de Júlio et son passage dans l’armée brésilienne, qui ont probablement participé à orienter Júlio dans cette vie. Ou permettent de comprendre la fascination du jeune homme pour la mort. Un seul passage raconte cette excitation ressentie au moment de tuer.
Ce reportage fait écho à un autre récit, Les ombres de l’Araguaia, lu récemment (cf. mon billet) qui racontait l’histoire de l’un de ses étudiants de Sao Paulo parti rejoindre la guérilla, décidé à faire tomber le régime militaire en place. C’était donc très intéressant de se retrouver de l’autre côté, celui des militaires et de confirmer leur comportement brutal et assassin. Certains détails dans ce livre font froid dans le dos.
Dans la deuxième partie, Júlio se confie : ses rêves, ses drames (la perte de son fils ainé) , un homme qui aime profondément son épouse et ses enfants. Sa femme, qui reste à ses côtés, mais qui passera ses années à lui demander d’arrêter. Mais Júlio ne sait faire que « ça« . Parfois, ses victimes le hantent dans ses rêves, il confie aux journalistes quelques contrats qui l’ont marqué. Il raconte sans détour sa manière d’opérer, les heures à épier sa victime, puis l’assassinat. Les techniques apprises au côté de son oncle. Arrêté une seule fois par la police, il raconte sans détour le comportement de la police. Un portrait sans concession de la société brésilienne.
Qu’en est-il de la fortune annoncée par l’oncle de Júlio ? Suffisamment pour nourrir sa famille, posséder une télévision, un micro-ondes (cassé), mais au final notre assassin est loin des richesses promises, point de hors-bord, de 4×4 ou de manoir.
J’avoue que happée par ma lecture, j’ai fini par oublier qu’il ne s’agissait pas d’une fiction et lorsque j’ai réalisé que près de cinq cent personnes ont péri par sa faute, j’ai été très troublée. Le livre est paru au Brésil et aucune arrestation n’a eu lieu. Júlio a annoncé à tous qu’il avait fini sa carrière. Il est allé jeter le cahier dans le fleuve.
Une lecture troublante, par son sujet et par la personnalité de cet homme, mais surtout un portrait saisissant d’un pays schizophrène, extrêmement religieux d’un côté mais terriblement inhumain (esclavage, tueurs à gages …) de l’autre. Une lecture très étrange.
♥♥♥♥♥
Editions Métailié, O nome da morte, trad.Hubert Tézenas, 224 pages
14 commentaires
Hum, un poil trop risqué pour moi, ce roman…
Vraiment ? Je ne te connaissais pas si froussarde
Je crois l’avoir aperçu en librairie l’autre jour, j’irai lire les premières pages pour voir si j’aime :o)
C’est dépaysant l’Amazonie ! je lis souvent les premières pages.
Je l’avais déjà noté suite à un article sur Actu du noir, autant dire que tu rehausses encore mon envie..
Oui j’étais intriguée mais une fois dedans difficile de le relâcher !
Très étrange et captivante cette lecture on dirait. Pour autant je ne pense pas que ce soit pour moi.
Je pense que le plus troublant est la situation au Brésil on a le sentiment de côtoyer un autre monde très loin de Rio ou Sao Paulo. Mais oui en fait j’avais tendance à croire que c’était une fiction !
Eh bé,il fait froid dans le dos ce roman…
Oui difficile de croire que ce n’est pas une fiction !
réciter « dix Ave Maria et vingt Pater Noster » ça marche à tous les coups !
Oui ! Apparemment
je comprends ton engouement, ça doit être dur mais je note tout de même!
Dur mais pas violent. Pas oppressant non plus. Pas de cauchemars
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