Le 21 juin 1922, le Comte Alexander Rostov, décoré de l’Ordre de Saint André, membre du club de Jockey, Maître de la Chasse, est escorté hors du Kremlin, à travers la Place Rouge jusqu’aux portes élégantes de l’hôtel Métropole. Mais au lieu d’être emmené à sa suite, il est emmené dans une chambre sous les toits dont l’unique fenêtre ne dépasse pas la taille d’un échiquier. Condamné par un tribunal bolchévique pour ne pas se repentir de son statut d’aristocrate, le Comte est assigné à résidence. Sans date de fin.
Dans une Russie prise dans les remous de l’histoire, le Comte, privé de tous ses biens et de son droit d’aller et venir, est forcé à réfléchir à sa condition d’être humain. A ce qui nous définit. Entouré et soutenu par une actrice glamour, un chef cuisinier acariâtre et une petite fille très sérieuse, le Comte découvre une nouvelle définition du bonheur et de la raison d’être.
Quel roman ! Une fresque qui mêle ‘l’histoire humaine et la grande Histoire à une époque où la Russie décide de sacrifier ses Tsar et d’instaurer un régime bolchévique. L’histoire se déroule sur plus de cinquante ans. Une véritable réussite que ce roman qui n’a qu’une seule unité de lieu : cet immense palace qui voit défiler les plus grandes stars, les plus grands hommes politiques et qui maintient prisonnier cet homme, élégant, cultivé. Ce gentleman. Le Comte perd son statut d’homme respectable pour les Bolchéviques, mais à l’intérieur de l’hôtel, le personnel continue de le respecter. Le Comte avait fui la Russie, avec sa mère, lors de la chute du Tsar et avait rejoint la France en 1905. Mais lorsque la première guerre mondiale éclate, le Comte décide de retourner dans sa patrie, malgré son statut condamnable d’aristocrate. Ses terres lui ont été retirées. Il s’installe à l’hôtel Métropole à Moscou, dans une suite, et mène une vie de gentleman. La lecture du journal, les promenades quotidiennes, les déjeuners avec ses fidèles alliés. Mais les Bolchéviques prennent le pouvoir et refusent de voir cet homme continuer ce mode de vie. Protégé par ses amis, le Comte est assigné à résidence. Lorsque la situation se dégrade, il est condamné à s’installer sous les toits, dans une chambre de bonne. Il emporte la pendule de son père, les livres de ce dernier, un jeu d’échecs. Jamais il ne perd son sang-froid.
Il s’attache alors à une enfant de neuf ans avec qui il s’amuse à épier les invités, les soirées organisées dans la salle de bal. Ils font la course dans les escaliers. Il déjeune tous les jours dans un des deux restaurants, connaît les menus par coeur, les vins de la cave. Il reste toujours élégant, parfaitement coiffé ou rasé en allant régulièrement chez le barbier. Les années passent, le personnel change peu et peu à peu le Comte se confond avec le Métropole. Il devient un des pivots de l’établissement, il connaît tous ses secrets.
La Russie change, Staline arrive au pouvoir. Il assiste impuissant à la fin de la Russie impériale. Il tombe amoureux d’une jeune actrice de cinéma muet, il voit son meilleur ami, communiste enthousiaste, subir ce régime dictatorial. Envoyé au goulag, le Comte attendra des années avant de savoir. Les années défilent lorsqu’on lui confie à nouveau un enfant. Il aime enseigner et éduquer l’histoire, la géographie, les sciences, les langues mais aussi la littérature et les manières. Car le Comte est le dernier « Rotschild », le seul à connaître parfaitement les règles du service à table et bientôt on lui confie l’organisation de banquets, de repas, de conférences. Il connaître au millimètre près l’organisation de ces évènements.
J’ai plongé avec délice dans cette Russie du début du Siècle auprès de ce gentleman. J’aime son élégance, sa distance, son regard toujours intelligent sur les autres mais aussi sur l’histoire, sur le temps qui passe, sur l’évolution de la société. Jamais il ne se laisse abattre, il accueille son nouveau statut avec sourire et retenue. Frustrant pour tous ses bourreaux. Il vieillit et ne jure que par ceux qui l’aiment. J’aime son détachement mais aussi sa pudeur. Sa bienveillance. Il représente une figure du passé, celle qu’on regrette aujourd’hui. La Russie s’est libérée des Tsars et le peuple a réclamé sa part du gâteau, mais une partie de son âme est partie avec les Romanov.
J’ai adoré cette lecture, j’avais hâte de retrouver le Métropole, ses escaliers de service, son personnel attachant et drôle, ses clients réguliers, les habitudes du Comte. Et puis au fond de moi, je gardais espoir qu’un jour, il puisse retrouver sa liberté. Un roman fort, puissant, passionnant de bout en bout et d’une écriture, si belle, si fluide et si classe. Amor Towles écrit comme un gentleman. Tout le long du roman, j’ai été en excellente compagnie.
Il y a quelque chose de suranné dans le roman de Towles, mais cela fait du bien. Le Métropole est une sorte de bulle où les gens sont protégés, hors des remous du temps. Un véritable cocon. Une bulle où le lecteur se sent bien. Comment aurais-je réagi ? Une prison de verre, une prison luxueuse mais une prison quand même. Serais-je devenue folle? Le Comte Rostov se refuse à tout laisser aller.
J’ai eu un coup de coeur pour l’écriture fluide de Towles et ses dialogues si bien travaillés, et pour ces personnages, tous magnifiques car écrit avec intelligence et profondeur. L’auteur ne cède jamais à la facilité. Un roman foisonnant qui exige une certaine attention mais avec en retour un véritable plaisir de lecture. Il n’y a aucune longueur dans ce roman.
Et comme si la magie continue d’opérer, je découvre que le Métropole existe vraiment ! Amor Towles est américain, son précédent roman a été traduit, celui-ci devrait donc l’être prochainement. Je vais me précipiter sur son précédent !
♥♥♥♥♥
Éditions Hutchinson, 2017, 480 pages
6 commentaires
Je me souviens lors d’une visite à moscou avoir pénétré (discrètement) dans cet hôtel…
Excellent !
Oh ça a l’air bien… Je ne lis pas en VO donc il faut que j’attende sa traduction. Par contre, j’ai lu et beaucoup aimé son précédent Les règles du jeu, un charme un peu désuet vraiment très agréable.
Oui, je me suis précipitée pour acheter « Les règles du jeu » et j’imagine que celui-ci va être traduit car il a été très aimé outre-Atlantique. Oui, il y a une sorte de nostalgie, les mots « charme désuet » représentent aussi ce roman.
j’adore ce type de lieu ! et plus c’est suranné, mieux c’est ! Comme je ne lis non plus en VO, je vais me ruer sur « Les règles du jeu » en attendant.
Pareil ! J’ai acheté les Règles du Jeu immédiatement après. C’est une lecture qui réconforte en quelque sorte et ça fait du bien tout en étant très bien écrite et historiquement passionnante.
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