Une part rouge ∴ Maggie Nelson

par Electra
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Nous nous racontons des histoires afin de vivre

Joan Didion

2004. Maggie Nelson travaille à un recueil de poésie, Jane : A Murder, livre qui revisite l’histoire de sa tante Jane Mixer, assassinée à l’âge de 23 ans en 1969 dans le Michigan.

Maggie Nelson a grandi en entendant des bribes ci et là sur cette tante maternelle, disparue avant sa naissance. L’auteur sait qu’elle a été assassinée et que son meurtrier n’a jamais été retrouvé.  Une femme « fantôme » qui réapparait parfois, quand par exemple, son grand-père maternel l’appelle « Jane » par mégarde. Les années passent et Maggie devenue auteur décide d’ouvrir ce pan de l’histoire familiale en lisant les journaux intimes de Jane et dont elle s’inspire pour écrire ce recueil de poésie. Elle n’aborde que très rarement la sujet avec sa mère, la soeur de Jane, mais celle-ci la remercie de rendre hommage à cette jeune femme.

Alors que le recueil est enfin terminé, Maggie reçoit un appel de sa mère qui lui annonce que la police a réouvert l’enquête et a trouvé un nouveau suspect, trente-cinq ans après les faits. C’est l’ADN qui a parlé. Le suspect s’appelle Leiterman, sexagénaire et infirmier à la retraite.  Trois ADN, dont celui d’un enfant de 4 ans (qui sera arrêté et condamné pour meurtre à l’âge adulte) ont été trouvés sur le corps de Jane. Leiterman est arrêté et un procès va avoir lieu. Maggie Nelson décide alors d’écrire ce texte, ces mots. Un essai autobiographique, sur la perte, la douleur, l’absence et la justice.

Elle raconte, sans fards, le procès et la description clinique de la scène de crime avec la diffusion des images du cimetière, des photos de Jane prises pendant l’autopsie, des détails morbides qui résument les derniers instants de la vie d’une jeune étudiante brillante.  Elle choisit de rester, comme sa mère et son grand-père, son oncle préfère se retirer pour se protéger.  Maggie Nelson partage tout au long de son procès ses questionnements, ses errances.

Elle ne cesse de clamer dans son récit que la mort brutale de sa tante ne l’a jamais travaillée et pourtant elle avoue sans détour les cauchemars qui la hantent depuis toujours, les craintes que sa mère (soeur ainée de Jane) a reporté sur ses enfants en les empêchant d’aller et venir librement. Car l’assassin courait toujours.  Maggie Nelson parle de la justice et cite les philosophes en abordant les thèmes de la justice, de la vengeance mais n’aborde jamais la psychanalyse ou la thérapie – qui aurait pu aider sa famille à surmonter le drame. Car leur éducation les poussera à refermer tout simplement la porte sur cette tragédie, comme celle de la mort brutale du père de Maggie alors qu’elle n’a que onze ans.  Maggie Nelson met en parallèle la mort de son père et celle de sa tante et la chape qui s’abat sur ces tragédies. On fait « comme si ».

Maggie Nelson va un jour rencontrer des enfants, tous soudainement orphelins de père, quelques semaines après la tragédie du  11 septembre et l’auteur s’étonne de les voir courir, s’amuser, rire, fiers de rencontrer leurs sportifs préférés :

A voir ces corps tout menu, je me demandais où logeait le chagrin dans de si petits vaisseaux. En les observant assez longtemps, je finirais peut-être par le découvrir. La scène était douce-amère, en fin de compte insupportable. Je retournai travailler. Bien sûr que tu as fait ton deuil, me répondit ma mère.

Ce procès va finalement redonner vie, comme le recueil de poésie, à cette jeune femme, réduite depuis trente-cinq ans à une pierre tombale. Il était temps de lui redonner sa place, son histoire. Celle d’une jeune femme, intelligente, qui avait pris son envol et s’impliquait dans le mouvement des droits civils et la libération de la femme, qui s’était éprise d’un homme juif, au désespoir de ses parents.  Une jeune femme qui avait décidé d’aller annoncer seule à ses parents ses fiançailles et qui avait posé une petite annonce sur le campus pour trouver une personne qui pourrait l’emmener.  Sans savoir que cette personne serait son assassin. Jane n’était qu’un chiffre car l’homme était un tueur en séries qui mutilait ses victimes. Jane ne le sera pas. Un mystère de plus. Comme l’ADN de cet enfant de quatre ans.

Si l’histoire est forcément émouvante par son sujet, la distance entretenue par Maggie Nelson, produit parfois un récit cérébral dénué de toute sensibilité qui met mal à l’aise le lecteur. Si Maggie Nelson offre ici une réflexion intelligente sur ces tragédies familiales que l’on tait, avec une superbe écriture, reste que son récit est troublant et peut être déroutant.  En allant chercher des informations sur le livre, j’ai croisé l’avis d’une autre lectrice qui a résumé mon sentiment en partie, celui de ne pas avoir saisi l’objectif de ce travail et avoir eu le sentiment d’être tenu à distance tout au long de ma lecture.

Et surprise, je découvre ce soir que ma copinaute Marie-Claude l’avait lu l’an dernier et que j’avais commenté son billet ! Je m’en souviens à présent. Fait du hasard, Jennifer (une BT américaine) l’a cité comme l’une de ses lectures préférées de 2017 il y a une dizaine de jours. En allant à la BM, j’étais ravie de le trouver sans savoir pourquoi je le voulais exactement 😉

♥♥♥

Editions du Sous-Sol, The Red Parts, trad. Julie Deck, 2017, 224 pages

Et pourquoi pas

4 commentaires

Eva 13 mars 2018 - 12 h 14 min

J’avais repéré ce livre chez Marie-Claude (avant qu’on parle beaucoup de Maggie Nelson avec la sortie des « Argonautes ») et il m’avait vraiment intriguée!
je ne l’ai pas croisé en librairie depuis et il n’est pas dans le catalogue de ma médiathèque … je pense que c’est typiquement le genre de livre qui pourrait me plaire…

Electra 13 mars 2018 - 14 h 04 min

Oui, pareil – on a énormément parlé des Argonautes et j’étais curieuse à son sujet, donc quand j’ai trouvé celui-ci je n’ai pas hésité – ça permet de découvrir son style et de voir si elle peut ensuite te donner envie de lire ses autres écrits.

Titezef 13 mars 2018 - 21 h 14 min

Ah j’avais pas fait le lien avec les argonautes :-))

Electra 13 mars 2018 - 23 h 36 min

Si c’est bien elle

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