La fusillade de Columbine a marqué toute ma génération et a inspiré de nombreux réalisateurs et journalistes (Michael Moore et Columbine ou Gus Van Sant avec Elephant). Cette attaque est toujours citée comme le « template » (modèle) des fusillades dans les lycées. Depuis, malheureusement, les tragédies se sont multipliées aux USA, avec le triste score de 82 fusillades, la dernière en date à Parkland en Floride, ayant suscité pour la première fois, une véritable prise de conscience.
J’ai des souvenirs confus de ce drame, surtout les images de la télévision, entre autres celles des lycéens fuyant, d’autres marchant, les bras en l’air, entourés de policiers et celle de ce jeune homme qui, blessé, se laisse tomber d’une fenêtre du second étage, rattrapé par des policiers. Je me souviens aussi des premières descriptions des deux meurtriers : des lycéens marginaux, habillés de long manteaux noirs, au style gothique, fans de jeux vidéos et victimes de harcèlement.
Le problème avec cette histoire, c’est qu’elle ne reflète pas du tout la réalité, elle a été montée de toutes pièces par les médias et pourtant aujourd’hui, elle continue d’inspirer des jeunes gens désespérés à travers le monde. Dave Cullen s’est donc posé la question : que s’est-il réellement passé le 20 avril 1999 ?
Deux lycéens, Eric Harris et Dylan Klebold, sont entrés à l’heure du déjeuner (servi dès 11h) et ont tué douze élèves et un professeur, et blessé plus ou moins grièvement vingt-quatre autres élèves, dont trois qui tentaient de fuir. Ils se sont ensuite donnés la mort.
Il n’a jamais été question de croyances gothiques, ni de harcèlement, ni de l’appartenance à un groupe d’élèves rebelles (vêtus de long imperméables noirs, surnommé The Trench Coat Mafia) contrairement à ce que les médias ont dit. Dave Cullen fut l’un des premiers journalistes à arriver sur scène et il lui a fallu plus de dix ans pour publier ce livre passionnant et démonter chaque hypothèse, chaque mensonge.
La fusillade dans ce lycée du Colorado était en réalité la troisième attaque à l’arme de poing dans un lycée mais les deux autres furent vite oubliées. Si Columbine a marqué les esprits, c’est parce que la police n’est entrée dans le lycée que 3 à 4 heures après le suicide des assassins, croyant à tort qu’ils étaient plus nombreux et toujours en vie. Et il faut aussi se rappeler qu’en avril 1999, les élèves étaient la première génération à posséder des téléphones portables. Les élèves qui n’avaient pas réussi à fuir, se cachaient comme ils le pouvaient et communiquaient avec leurs parents, la police et plusieurs directement avec les médias. Ce fut le premier drame où la presse fit partie prenante de la tragédie. Or leurs parents leur communiquaient de fausses informations transmises par les médias et les lycéens eux-même ne savaient pas ce qu’ils disaient. Ils étaient terrorisés par la peur de mourir, par le bruit des tirs et les plaintes des victimes, qui se vidaient de leur sang.
Ce livre est un vrai travail d’investigation – un énorme travail où le journaliste a mis à l’épreuve chaque information annoncée dans les médias et chaque témoignage. Il a repris minutieusement chaque minute du drame, chaque image, chaque déclaration. Et le résultat est passionnant, parfois effrayant comme la première partie où il raconte, minute après minute, le drame qui se joue ce lycée plutôt calme, qui compte près de deux milles élèves. Instructif également, ainsi j’ignorais que les deux adolescents avaient fabriqué et transporté des bombes. Leurs deux voitures, garées à des endroits stratégiques dissimulaient des engins explosifs et Eric portait un énorme sac de sport, contenant un autre appareil explosif, censé détruire le réfectoire (avec le mince espoir de voir le premier étage, le CDI, s’écrouler également).
Mais leurs plans furent mis à mal lorsqu’à l’heure dire, aucune bombe n’explosa. Les deux garçons choisirent alors d’abattre à vue les lycéens se présentant sur leurs chemins. Leurs deux premières victimes étaient à l’extérieur, les autres étaient dans le CDI. Eric et Dylan épargnèrent certains élèves et ratèrent pas mal de cibles mouvantes. Ce que j’ignorais également, c’est qu’ils se sont suicidés à peine une demi-heure après leur entrée. Ils étaient morts avant midi. Mais la police, qui croyait à une situation d’otages, refusa d’entrer et la plupart des victimes sont mortes, faute d’avoir été secourues à temps. Et il ne faut pas oublier les centaines d’élèves, enfermés, cachés, témoins impuissants de la mort de leurs amis, croyant à tort que les assassins étaient encore là, croyant à leur dernière heure pendant plusieurs heures.
Un des passages les plus bouleversants est la mort du professeur, blessé à l’abdomen. Pendant plus de trois heures, ses élèves tentèrent de le soigner, au téléphone avec des médecins, ils affichèrent même à la fenêtre un SOS filmé par les médias mais la police refusa de venir le secourir. L’enquête menée par le FBI démontra toutes les erreurs de la police locale mais également la dissimulation de preuves à l’encontre d’Eric, qui menaçait de mort un autre élève depuis plus d’un an.
Dave Cullen va ensuite dresser le portrait psychologique et social des deux assassins et démontrer que la moitié des informations diffusées par les médias étaient fausses. Les deux garçons n’étaient pas harcelés. L’un d’eux était même plutôt populaire et avait du succès avec les filles. Ils n’étaient pas sportifs mais le plus volubile utilisait ses talents pour réaliser des vidéos, faire rire la classe. Très loin de l’image transmise par les médias de deux garçons souffrant de harcèlement.
Eric était schizophrène, depuis son enfance. Tous les signes étaient là, il avait été arrêté à plusieurs reprises et confiait dans son journal sa joie de mener par le bout du nez ses parents, qui malgré des signes évidents, le croyait toujours innocent. Même lorsqu’il fut condamné ou que la famille du garçon qu’il persécutait obtint l’interdiction qu’il s’approche de son habitation. Dylan était suicidaire, le jeune homme confiait depuis un an dans son journal son envie de mourir, Eric voulait détruire la planète entière. Il se croyait supérieurement intelligent aux autres et il le prouvait en trompant son monde et en préparant, au sous-sol de la maison parentale, les bombes qu’il comptait faire exploser.
Dave Cullen a eu accès à l’ensemble des documents produits ou retrouvés par la police. Ces informations ont finalement été rendues public après la plainte du père de l’une des victimes. La police a ainsi retrouvé des vidéos réalisées par les deux garçons préparant leur attaque et laissant un dernier témoignage. Ils ont aussi retrouvé leurs journaux intimes, où Eric confiait sa haine pour le monde entier.
Si le sujet peut rebuter, il démontre cependant le rôle essentiel des médias de nos jours, les faux témoignages, le problème des armes aux USA, les mensonges de la police et l’absence de contrôle parental. Mais il explique aussi que cette dernière aura appris de ses erreurs : désormais elle entre immédiatement dans les lycées.
Et surtout, l’auteur américain laisse aussi la part belle aux survivants, à ces jeunes gens, comme ce garçon dont l’image m’obsédait, Patrick (celui qui se laisse chuter de la fenêtre). Un constat saisissant entre cette magnifique résilience chez les victimes et la lente descente en enfer d’Eric et Dylan.
Ce livre n’a malheureusement pas été traduit en français or il est troublant d’actualité !
Editions Twelve, 2010, 496 pages
19 commentaires
Ton billet est renversant! Tu m’en as si bien parlé… Tu me donnes envie de suivre des cours d’anglais juste pour le lire. Bref, j’espère tellement et attends une traduction!
Merci ! Oui, je me suis souvenue de notre conversation à ce sujet pendant mes vacances. Oui, j’espère qu’il va être traduit, par les éditions Le Globe par exemple ??
Oui, ce serait parfaitement une mission pour Globe. Je lis en anglais, mais ensuite faut le trouver;.. va falloir fouiner durant le festival America, là je suis en train de lire ceux que j’ai achetés en 2016
Sinon, ton billet est excellent! On comprend bien la richesse du livre!
Merci ! Oui une mission pour Globe ! Je ne comprends pas qu’il ne soit pas traduit car il date et pourtant il donne vraiment une vision claire et précise de la tragédie et de ce qui s’est passé après. Les médias ont eu un impact majeur et négatif à cette époque-là. Je l’ai vu chez à Paris je crois me souvenir.
Quel beau billet. J’étais prête à courir chez ma libraire… Mais o désespoir à ta toute dernière phrase (pas sympa de faire ça Electra.. 🙂 ) Il est écrit en Anglais …. snifffffff
Plus qu’à attendre la traduction et relire ton billet encore et encore 🙂
Oui pour le gobe… je lis en ce moment La note américaine de David Grann grâce à tes conseils d’ailleurs… j’aime beaucoup pour l’instant 😉
Merci – je suis contente que tu lises La note américaine, j’ai trouvé passionnant ce récit sur cette tranche d’histoire dont on ignore tout par ici ! Le Globe peut tout à fait traduire Columbine ! Si j’étais payée à rester chez moi, je le traduirais 😉 J’espère qu’une maison d’édition va s’y intéresser ! J’adore le boulot que ces journalistes d’investigation font. C’est passionnant.
Mdr, oui reste à la maison pour la traduction ….Ou alors une page par soir .
Je commence la deuxième partie de la note américaine j’ai hâte d’en savoir plus. Effectivement je ne connaissais pas du tout cette partie de l’histoire des .
Oui j’aime aussi les écrits de journalistes , mais je laisse inconsciemment la priorité aux romans…il faudrait que je songe à varier 🙂
J’étais pareil mais maintenant j’essaie d’en introduire plus ! Une page par jour donc dans un an et demi environ … patience donc dans tous les cas !
@TITEZEF On lui met la pression pour qu’elle le traduise?!
Moi aussi, je veux lire « La note américaine »!
MDR ! Pour la « note américaine », tu sais ce que tu dois faire et pour Columbine… si c’est une page par jour, et si vous êtes patient … mais ça vaut peut-être mieux de s’adresser à un éditeur ? tu en connais-tu un mon tendre caribou ?! 😉
Oui Oui Marie-Claude… À deux on a moyen de saturer son site pour mettre la pression … 😉
Bon ben oui c’est sur une page par jour c’est pas assez…
Je viens de penser à une autre solution Marie, je la kidnappe et on l’oblige à écrire…Nantes est pas très loin de chez moi
Sinon Oui Oui pour La note américaine. J’en suss à la moitié, c’est vraiment bon.
Mdr non mais ! Ça va pas hein ?! Contente pour la Note Américaine !
Hihihiiiiiiiiiiiii
Ah zut ! J’étais ferrée et je découvre que ce livre n’est pas traduit. Patatras ! 😉
Désolée ! Je vais envoyer un mail aux éditions Globe pour leur tendre la perche si tout le monde demande sa traduction
( je ne suis pas la seule à être déçue que ce livre ne soit pas traduit…)
J’ignorais la plupart des faits que tu énonces et lire ça de bon matin n’était peut-être pas la meilleure idée!
C’est dingue , je n’en reviens pas que les policiers et ambulances aient attendu qui longtemps !
J’ai des images du film de Gus Van Sant en tête maintenant.
Allez je vais essayer de me changer les idées en commençant Martin Eden.
Très bon choix de lecture ! Bon j’espère que toutes vos réactions vont décider une maison d’édition de le traduire !
J’avais étudié « Bowling for Columbine » de Mickaël Moore en terminale et ce docu m’avait particulièrement marqué. Au point de vraiment m’intéresser à cette fascination pour les armes aux Etats-Unis (même si ça vire parfois au glauque, mais j’avoue que ça me fascine tant ça me dépasse totalement).
Je suis trop jeune pour me souvenir de Columbine, mais forcément j’en ai entendu parler, et je serais très curieuse de lire ce livre. Merci pour la découverte !
Au passage, je te conseille vraiment le documentaire America qui passe en ce moment au cinéma ; j’adorerais avoir ton avis dessus !
Je vais voir s’il passe par chez moi ce documentaire. La passion pour les armes à feux reste inexplicable, ayant habité dans deux Etats où les armes à feu sont légions, je n’ai pas très à l’aise dans certaines maisons remplies d’armes. J’ai aussi vu le documentaire de Moore – un bon souvenir ! Ce livre explique tellement de chose et la triste réalité c’est que depuis il y a eu de nombreuses autres fusillades et rien n’a changé même après celle où les victimes étaient en classe maternelle …
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