L’idée de mon challenge « Nation Indienne » a germé alors que je recherchais des livres écrits par des auteurs indiens. J’ai découvert que le roman de Lee Maracle, Ravensong, une auteure des Premières Nations Canadiennes, était étudié au lycée dans l’Ouest Canadien depuis sa parution en 1993.
Je l’ai apporté avec moi au Québec croyant que Marie connaissait son existence, mais non. Le Canada anglophone et le Canada francophone sont deux entités malheureusement trop distinctes. Mais la bonne nouvelle fut qu’en cherchant des infos, Marie a découvert qu’une maison d’éditions québécoise s’était enfin attelée à la tâche de le traduire. Il sera donc normalement disponible avant la fin de l’année aux lecteurs francophones. Une excellente nouvelle car j’ai beaucoup aimé ma lecture.
Situé dans les années 50, dans l’Ouest Canadien, le roman raconte la vie d’une réserve indienne à travers le regard d’une jeune adolescente, Stacey, qui en fréquentant le lycée des « Blancs » fréquente les deux mondes. Sa réserve est située sur une île, reliée uniquement au monde des « Blancs » par un pont qu’empreinte chaque jour Stacey pour se rendre au lycée. Malgré les remarques racistes et les regards méchants, Stacey persévère et s’est même fait une amie au sein de l’école. La jeune femme a de bonnes notes et un de ses professeurs l’encourage à continuer ses études après le bac.
Mais un jour, un virus (la grippe de Hong-Kong) se propage dans toute la ville et vient frapper la réserve. Et aucun médecin blanc ne se déplace pour venir secourir les habitants. Une quarantaine de personnes dont 18 enfants perdront la vie. Choquée par le racisme de la communauté blanche, Stacey, va s’investir pour soigner les malades, aidant sa mère, une femme forte avec qui les rapports ont toujours été tendus.
Parmi les victimes se trouve le père de Stacey. Mais peu de temps après, l’oncle de Stacey vient s’installer chez eux et prendre soin de la mère de Stacey et des quatre enfants, comme l’exige la coutume. Peu à peu, la mère et la fille vont apprendre à communiquer et Stacey va enfin voir la femme derrière la mère.
Stacey raconte les soins apportés aux malades, la tristesse du chaman de la réserve dont les soins ne suffisent pas à sauver les siens. Elle ignore que sa petite soeur, Célia, la suit souvent. Celle-ci a le pouvoir de converser avec le corbeau (raven) et celui-ci se confie aux arbres. Il connaît l’avenir des indiens, il sait que la grippe n’est qu’un des nombreux coups portés à la nation indienne. Il voudrait que les indiens en prennent conscience et osent enfin parler à voix haute. Mais à cette époque, les indiens sont invisibles. Le roman commence avec une conversation entre le corbeau et un arbre. Cela peut troubler mais étrangement le roman ne les fait réapparaître qu’à la fin. Comme une parenthèse enchantée.
Lee Maracle a écrit un roman magnifique, elle aborde non seulement la question du droit des indiens (entre autres celui d’être soigné) mais raconte également une magnifique histoire d’amour familial, entre une mère et sa fille, une soeur et son frère.
Elle raconte son peuple, ses coutumes, le soutien des membres de cette communauté entre eux. Leur formidable instinct de survie. Elle arrive à montrer la violence des « Blancs » que ce soit envers eux ou envers eux-mêmes. Ainsi, lorsqu’une élève du lycée se suicide car un garçon a révélé qu’elle avait couché, la mère de Stacey est choquée du traitement injuste qu’on a réservé à cette jeune femme, vilipendée par sa propre communauté. Elle n’a jamais compris l’homme blanc qui va à l’église le dimanche mais se permet de juger les autres.
J’ai adoré regarder ma société à travers leurs regards. Lee Maracle ne cesse d’éclairer nos défauts mais les leurs également, à travers le jugement parfois à l’emporte-pièce de Stacey. Stacey avait parfois honte de l’état de délabrement et de la misère qui l’entourent face aux maisons bien entretenues de la banlieue bourgeoise où vit Carol, son unique amie. Pourquoi est-ce que leur jardin est si bien entretenu alors que le leur est livré à l’abandon ? Elle est aussi choquée lorsqu’elle voit la mère de Carol déraciner des plantes médicinales qu’elle s’empresse de rapporter chez elle. Peu à peu, le regard de Stacey change et la honte de ses origines s’éloigne.
Ainsi lorsque Stacey passe la soirée chez son amie blanche, Carol et découvre que lors du repas à table, tout prend un air de cérémonial :
La conversation entière du diner se résuma à « S’il vous plait, puis-je avoir… » ceci, ou cela ou tout autre chose et à « Puis-je sortir de table » comme si les enfants n’appartenaient pas à ce lieu. Stacey ne vit jamais les enfants glisser sous la table ou quitter le repas sans demander d’abord la permission. Les enfants ne disaient pas un mot à moins qu’on ne leur parle. La maison ne semblait pas être la leur » (traduction libre)
Lorsqu’un membre de la famille s’engage dans la marine, il se confie sur ses difficultés. Il n’a pas de papier d’identité, les Indiens n’étaient pas considérés à l’époque comme des citoyens canadiens mais relevaient du Ministère « de la flore et de la faune« . Sa mort au combat lui vaudra d’être naturalisé Canadien. De ne plus être un Indien. Ce statut est également évoqué lorsque Stacey postule à l’université, elle n’est pas une citoyenne à part entière. Stacey prend peu à peu conscience du fossé et de la condescendance des hommes blancs à leur encontre. Ainsi les permis de pêche et de chasse sont difficiles à obtenir et lorsque sa mère et sa grand-mère en parlent, Moma résume le tout en déclarant « que l’Indien n’existe tout simplement pas dans le monde des Blancs, il ne redevient visible que lorsque des problèmes apparaissent ».
Lee Maracle a su créer de vrais personnages, avec toute la profondeur nécessaire, les qualités et les défauts et l’apprentissage de la vie par Stacey est magnifiquement écrit.
J’ai adoré être avec eux, j’aime leur sincérité, leur regard sur la vie, l’éducation qu’ils inculquent. Un roman tout a fait adapté aux lycéens et qui se révèle très instructif sur le mode de vie des Indiens et leur manière de penser le monde et réagir face au nôtre. Une belle leçon de vie.
J’ai donc hâte qu’il soit traduit.
Mon troisième roman lu dans le cadre du challenge Nation Indienne en 12 lectures, lu en mars et publié en avril (maudites vacances LOL).
♥♥♥♥
Editions Press Gang Publishers, 2000, 202 pages
10 commentaires
Ok ok Electra… Encore une vilaine tentation… Heureusement il n’est pas encore publié en français !!!
Mais bientôt il le sera !! à la rentrée normalement 🙂
Les maudites vacances, oui!
Et moi qui pensais en faire une lecture printanière. Je me suis permis de lire ton billet, juste pour me faire languir encore plus. Et ça fonctionne!
Très bien ! Et puis à la rentrée tu auras de quoi lire peut-être dans l’avion ??? Je suis ravie qu’il soit traduit enfin ! oui maudites vacances LOL
Ouh là, la liste à lire s’allonge. Les romans sur ce thème sont hélas basés sur une réalité révoltante.
Oui la version française arrive à la rentrée. Ici c’est intéressant de voir l’isolement d’une réserve face à la maladie et leur statut à cette époque. Et Stacey est attachante !
Merci d’insister sur cette littérature qui mérite qu’on lui consacre un peu plus de notre temps . Petite anecdote en passant, nous donnons ma soeur et moi à nos chiens (et chiennes…) des noms empruntés au vocabulaire des langues indiennes !
Excellente cette anecdote ! je n’y ai jamais pensé ! mais mon chien s’appelle Haïku 😉 Sinon, ma pal consacré à ce genre vient de grossir … donc je vais encore embêter tout le monde avec ce thème pendant longtemps !
quelle chance de pouvoir lire dans les deux langues, j’espère que lorsqu’il sera traduit je pourrai aussi le découvrir. Le sort des Indiens est vraiment une injustice terrible.
Oui ! Et ça ne s’arrange pas. Oui ils ont pris un peu de retard mais il doit être traduit en français.
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