Présenté comme le roman phare de la rentrée outre-Atlantique, j’étais évidemment incapable d’attendre sa parution en français (oui, elle est bien prévue, les droits sont achetés) s’agissant d’un roman traitant de la question indienne. There There est signée de la main de Tommy Orange qui a suivi un parcours littéraire exemplaire, soutenu par Sherman Alexie et qui fut en résidence avec Thérèse Mailhot dont je vous ai présenté l’ouvrage il y a peu. There There, c’est l’histoire d’un peuple fantôme mais aussi d’un lieu, Oakland en Californie, c’est l’histoire de ceux dont on a arraché les racines et qu’on force à vivre dans les terres qu’on leur a volées.
Oakland, Californie – Tout d’abord, je tiens à vous dire qu’il m’est difficile de vous présenter cette lecture coup de poing sous peine de ne pas lui rendre justice. Il y a d’abord cette immense fête qui se prépare, le Big Oakland Powwow. Pour ceux qui ignorent tout des rituels indiens, il s’agit d’un immense rassemblement annuel où les Indiens (éparpillés le restant de l’année entre les réserves et les grandes villes) viennent partager leurs traditions ancestrales, à travers des chants et des danses.
Tommy Orange nous présente une dizaine de personnages qui souhaitent tous participer à ce rassemblement pour des raisons parfois totalement opposées. Qui sont-ils ? Des petits malfrats attirés par le gain, des Anciens qui veulent retrouver cette communion. Dene Oxendene, un adolescent mal dans sa peau après la mort brutale de son Oncle a décidé de leur poser la question. Il utilise une petite caméra pour les interroger et confirmer ce qu’il sait déjà : les « Indiens » sont ces habitants invisibles de cette partie de Californie. Ils sont nombreux à Oakland mais la plupart d’entre eux ignorent tout de leur origine, parfois leur seul parent indien est absent ou décédé ou leurs familles refusent tout simplement de leur en parler.
C’est le cas pour Opal Viola Victoria Bear qui élève ses trois neveux et dont l’ainé, Orvil, qui a découvert sur Youtube les danses traditionnelles indienne, a décidé de participer au powwow en cachette. La majorité des Indiens vivant à Oakland appartiennent à la tribu des Cherokee, originaires de l’Oklahoma mais dont les terres ont été volées et dont les aïeuls ont été déplacés de force à l’Ouest. Ils ont perdu toute leur histoire et se cherchent. Ils sont adolescents et n’ont que leur peau dorée, leurs cheveux noirs et leurs noms de famille rigolos pour leur rappeler d’où ils viennent. Alors ce Powwow, il semble être l’unique réponse à leurs questions. Là-bas, ils vont retrouver d’autres gens comme eux et entendre les voix de leurs ancêtres à travers les chants.
Il y a aussi la sœur de Viola, Jacquie Red Feather, la mère d’Orvil, qui vient à nouveau d’arrêter de boire et a décidé de retourner en Californie retrouver sa famille. Sur la route, elle croise le père de son premier enfant, conçu l’année de ses dix-sept ans et abandonné. Jackie et Opal se remémorent leur passé et ces quelques semaines passées sur l’île d’Alcatraz où des Indiens avaient décidé de recréer une nation éphémère. Les souvenirs remontent à la surface. Qu’est-devenu cet enfant quarante plus tard ?
Et puis il y a les autres, ceux qui ne s’y rendent pas pour les mêmes raisons, mais parce que l’argent liquide coule à flot. Parce qu’ils sont perdus, comme tant d’autres. Parce qu’ils sont en colère. Et Tommy Orange vous emmène, sans qu’il soit impossible de faire demi-tour vers ce moment fatidique où tous vont se retrouver au même endroit. Une conclusion que j’ai voulu repousser. Ce rassemblement sera le lieu d’une communion, d’un magnifique spectacle de traditions, avec le bruit des tambours, les chants des anciens et puis viendra le temps du sacrifice..
L’auteur a le don de faire monter la tension tout en réglant ses comptes avec la société américaine et l’extinction programmée et déterminée de tout un peuple. Un peuple qui n’en est pas un en soi mais réduit à un seule identité depuis l’adage « un indien mort est un bon indien ». Plus de trois cent tribus, pourchassées, affamées, déplacées, oubliées. Des générations d’adultes détruits par l’alcool et la drogue et leurs propres enfants aujourd’hui qui ignorent tout de leur histoire. Ainsi, l’un des protagonistes rappelle qu’on les confond souvent avec des Mexicains et qu’une fois, un Américain a avoué qu’il croyait que tous les Indiens avaient été exterminés. Petite aparté : mon ami, Eddie, de la tribu des Paiutes, originaires du du nord de la Californie, m’avait raconté la même chose. Ils sont devenus invisibles.
Les personnages du roman sont tous faillibles et très touchants, hommes et femmes, adultes ou adolescents. Tommy Orange offre un roman puissant, d’une profondeur extrême et qui vous met parfois mal à l’aise. Et puis tout au long de ma lecture, j’ai comme lui, cette image, de ces hommes et femmes, adultes et enfants, qui courent sous les balles de l’armée de Custer .. et qui recommence aujourd’hui à courir encore.
“This is a novel about what it means to inhabit a land both yours and stolen from you, to simultaneously contend with the weight of belonging and unbelonging. There is an organic power to this book—a revelatory, controlled chaos. Tommy Orange writes the way a storm makes landfall.” —Omar El Akkad, author of American War
Le livre va paraître l’an prochain en français.
♥♥♥♥♥
Editions Harvill Secker, 2018, 304 pages
16 commentaires
Je le note dans un coin de ma tête et j’espère m’en souvenir lorsqu’il paraîtra en France ! Tu sais quelle maison d’édition a acheté les droits ?
Bon, de mon côté, je me suis engluée des semaines dans Anna Karénine cet été donc je n’ai pas lu le roman de Treuer que j’espérais. Je vais essayer de le caser en septembre (j’y crois encore, comme dirait Lara Fabian ahahahaha.)
Englué ! tu me fais trop rire, mais tu l’as vaincu ! Je te comprends, en juillet, je n’ai lu que 3 livres ? c’était catastrophique – pour Treuer, tu ne risques pas de t’engluer. Oui, je sais c’est ce cher Albin.
Oui, j’ai aussi des tas de lectures à caser en septembre (on peut croire qu’ils vont rallonger le nombre de jours ???)
Pareil : quel éditeur?
Albin !
Il a des commentaires enthousiastes sur goodreads, peut être le bouquin sera-t-il en librairie sous la tente lors du festival? ^_^ (#jelisenvo)
oui tu lis en vo ! j’espère qu’il sera disponible sinon fais un tour à la librairie Shakespeare&Co, il y sera sûrement ! il y a encore des débats sur la question indienne du coup… à voir ! hâte d’y être, et tu as lu Russo, quelle chance
En 2016 j’avais acheté 4 livres chez eux (et tous lus depuis, j’ai donc le droit de craquer). Ou j’attends Albin Michel.
Russo, le bonheur, j’ai plein de titres à lire encore.
L’an prochain chez Albin Michel? Mais c’est loinnnnnn! Pas le choix de patienter. Je vais adoré ce roman, c’est écrit dans le ciel.
Au moins, avec tes tentations en anglais, j’ai pu me régaler avec « Birdie » et j’attends le Lee Maracle. C’est déjà ça!
Oui c’est loin mais au moins les droits sont achetés et du coup tu peux te dire que tu auras une super lecture en 2019 ! Tu vois je te donne déjà soif ! Vivement Vincennes !
ben voila ! tu es bien la seule à me faire souhaiter que le temps passe vite, c’est malin !
Oops ! Désolée, non non profite de la rentrée, du Festival America et de tous les autres livres dont je vais parler prochainement et qui vont aussi te faire envie !! LOL
Hum hum il m’a l’air passionnant. Je pense qu’il m’apprendrait beaucoup. Je suis novice en powwow et rituels indiens. Les personnages me tentent bien.
L’année prochaine, tu dis. Je vais donc attendre 🙂
Logique qu’un tel roman sois publié chez Albin Michel ! Tellement hâte qu’il sorte en français du coup 😉
Orvil est en fait le petit-fils de Jacquie et le petit-neveu d’Opal.
« Ils sont devenus invisibles. » Rien de plus désolant (et je pèse mes mots) que d’entendre des Américains dire que les terres leur ont été données par le roi d’Angleterre. J’ai visité Mount Rushmore il y a deux jours et j’ai été outrée par les commentaires du documentaire diffusé au visitors center.
Oui, je sais pour Orvil 😉 .. j’ai lu le livre ! mais je ne veux pas trop en dire aux futurs lecteurs…
The Manifest Destiny .. ils adorent aussi citer Dieu pour justifier les atrocités mais les Européens ont aussi fait de même (l’Inquisition) .. je ne pourrai pas aller au Mount Rushmore car il se trouve sur une terre sacrée ..
[…] nation indienne […]
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