J’ai croisé la couverture de ce livre dans la devanture d’une librairie à Québec, en mars dernier. Celle-ci mettait en avant les auteurs « autochtones » canadiens, anglophones et francophones. J’ai acheté plus tard deux des livres, The Break est le premier que j’ai lu. Il intègre mon challenge Nation Indienne, mais encore plus, il intègre ma bibliothèque idéale.
En tapant ces mots, je découvre les mots de Lee Maracle, auteur que j’ai découvert récemment, une grande dame de la littérature autochtone canadienne qui déclare, au sujet de ce livre : « Vermette crée des personnages inoubliables, avec honneur, respect, le tout d’un habilité extraordinaire – The Break est inoubliable « .
Je réalise, au fil de mes lectures, que les personnages prennent le pas sur l’intrigue. Il peut ne rien se passer, ou presque rien, mais si les personnages et l’atmosphère sont là, j’adhère totalement. Ici, il se passe quelque chose, quelque chose de terrible mais ce qui m’a le plus frappé, ce sont les personnages du roman. Je serais prête à parier qu’ils existent tous, qu’ils sont là-bas, in the Peg (surnom de Winnipeg, capitale du Manitoba). Au tout début du roman, l’auteure glisse l’arbre généalogique, j’y suis retournée plusieurs fois au début du roman, il est important pour établir les liens mais d’autres personnages n’y figurent pas.
Stella, une jeune mère de famille Métis, en plein baby boom, entend un soir d’hiver des cris à l’extérieur et lorsqu’elle regarde à sa fenêtre, elle voit une jeune femme agressée violemment par plusieurs ombres, toutes vêtues de noir, les fameux « black hoodies » (sweat à capuche noirs). Elle est paralysée par la violence et les cris de ses enfants à l’étage l’empêchent de sortir mais elle réussit néanmoins à appeler la police. A son arrivée, la victime a disparu, seule une énorme tâche de sang rouge sur la neige témoigne de la violence. Mais la police doute de cette jeune femme, épuisée et distante. Tommy, l’un des deux policiers, est lui-même Métis. Il ne l’avait dit jusqu’à son entrée dans la police, depuis son partenaire, un vieux de la vieille s’amuse à l’appeler « Mé-ti » – il dit qu’il l’aime bien, qu’il n’est pas comme les autres « Nats » (diminution de Natives), tous des alcooliques, violents. Ce racisme si courant que Tommy en vient à l’accepter. Stella vit dans ce quartier isolé de tout, surnommé The Break. Ici, la terre semble s’arrêter. Deux immenses silos se dressent seuls et derrière, une terre désolée. C’est là que vit une importante communauté autochtone, ils ont quitté la réserve ou n’y jamais eu droit car Métis ou non reconnus comme autochtones (le Canada, en mettant en place un statut officiel d »Indien » a limité l’accès à ce statut de manière draconienne).
Le roman choral se joue à plusieurs voix. Ainsi ce même soir, Lou, une assistante sociale, doit faire face au départ de son petit ami, Gabe, le père de ses enfants. La jeune femme est dévastée. Elle décide de cacher la vérité à ses proches. Il est reparti chez ses parents pour les aider, c’est tout. Cheryl, sa mère, continue de penser à soeur, Lorraine, surnommée Rain, partie bien trop tôt. C’était la mère de Stella. Cheryl se souvient de leur enfance, tout en continuant à s’occuper de Kookom (sa mère, « grand-mère ») qui vit dans le même immeuble. Celle-ci a besoin d’aide pour les gestes simples mais refuse d’aller en maison de retraite. Chacune exprime ses pensées, se confie – avant et après l’évènement. Tommy, le jeune policier métis, est l’unique voix masculine du roman, il exprime ici tous les doutes de ceux élevés très loin de leurs racines, et qui au contact, de leur communauté, voit soudainement se réveiller en eux une part inconnue.
Et puis il y a la génération des ados, plusieurs voix dont celle de Phoenix, qui quitte le centre de détention pour juvéniles et se retrouve à la rue, par ces nuits d’hiver glaciales. Son oncle qui l’accueille ne sait que faire de cette nièce encombrante, obèse et mal lunée. A tout juste treize ans, Emily, petite-fill de Cheryl, décide de sortir un soir, en compagnie de sa meilleure amie, Ziggy. Emily a accepté d’aller rejoindre un garçon dans une maison du Break, elle est amoureuse, elle le croit. La nuit est froide et l’impensable se produit.
Ce kaléidoscope permet à l’auteur de dresser un portrait sans fard de ces « Indiens des villes » et du retour essentiel aux racines, dans ce « bush », à ces rituels (la tente de sudation). Un portrait magnifique, sublime, touchant, émouvant et si puissant. Après There There, je découvre une voix essentielle des autochtones indiens, de ce peuple des invisibles. Quelle force ! Un livre coup de poing, qu’il faut absolument lire. Il résonne encore en moi et j’espère qu’il fera aussi battre votre coeur.
Et bonne nouvelle, il est traduit en français, sous le titre Ligne brisée. Vous pouvez le commander directement auprès de l’éditeur ici.
J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge Nation Indienne.
♥♥♥♥♥
Editions House of Anansi Press, 2016, 288 pages
16 commentaires
Hélas je ne l’ai pas vu au festival america sur le stand des livres en VO, dommage je pensais l’acheter, suite à de bons avis.
C’est vrai qu’il n’y était pas et du coup je n’ai pas fait attention de mon côté 🙂
ça m’intéresse! à Vincennes j’avais demandé à la librairie du Québec mais ils ne l’avaient pas, je me le note pour une future commande 😉
Oui, il a été publié en français au Québec et est disponible également au format Kindle (e-book). Il mérite vraiment d’être vendu en France !
Super chronique, tu m’as convaincue. Ça tombe bien, je retourne à Montréal lundi, je me le procurerai en anglais !
Ah merci ! Ravie, désolée d’être un peu lente mais je suis entre deux voyages, je m’envole cette nuit pour Zurich.
Oui, en anglais avec la belle couverture !
Belle chronique. Livre fort visiblement ! Si jamais je le croise…
Merci ! Je pense qu’il va traverser l’Atlantique, il vient de recevoir un nouveau prix!
Un coup de cœur pour moi aussi. Je me dis qu’il y a de l’espoir qu’on en parle en France puisqu’il a remporté le Combat national des livres 2018.
Ah excellente nouvelle ! Oui, un coup de coeur en commun ! J’y pense toujours depuis, très bon signe !
Tu t’en doutais bien… Je vais le sortir du sac et le reprendre là où je l’ai laissé. Comment puis-je passer à côté?! Je vais toutefois trouver le bon mood!
Oui, attend d’être au calme et prête à patienter un peu – c’est un puzzle, un évènement traumatique puis toutes les pièces se mettent en place, et ensuite tu me diras si Kokoom te manque !
Bonsoir, electra. Je ne sais pas si tu notes les liens d’autres blogueurs, mais c’est juste pour te signaler que j’ai enfin lu un livre pour honorer ton challenge et enfin découvert Walt Longmire : https://desmotsetdesnotes.wordpress.com/2018/10/05/little-bird/
Merci ! Je vais ajouter ton lien et j’ai adoré ton billet ! Il me rappelle en tout point pourquoi j’aime Walt et pourquoi je dois le retrouver rapidement !
Oups, Electra avec une majuscule !!
ahahhah .. merci !
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