J’ai trouvé ce livre par hasard au rayon livres en anglais à la BM. Margo Jefferson raconte ici sa vie; celle d’une petite fille noire née dans un milieu privilégiée : un père pédiatre et une mère respectée. Elevée dans l’élite noire de Chicago, Margo Jefferson revient sur cette éducation particulière, tiraillée entre deux mondes.
Née dans les années 40, Margo Jefferson a traversé les périodes cruciales de l’émancipation et de la lutte des droits civils pour les personnes « de couleur ». Mais elle les a vécus d’un angle très particulier : celui de la bourgeoisie noire, d’un monde feutré où il ne fallait jamais élever la voix ou porter des vêtements criards.
Margo Jefferson est née dans une famille très aisée, dans les années 40 à Chicago. Un père médecin, une mère impliquée dans la vie de son quartier, une soeur ainée, Denise, très populaire. Les deux soeurs sont dans une école privée huppée et peuvent compter sur un jardinier, une cuisinière, une femme de ménage… Leur seule différence ? Margo et sa famille sont noirs. Ils font partie de la bourgeoisie noire américaine qui a émergé dans divers endroits des Etats-Unis. Ils ont réussi à grimper l’échelle sociale. Parfois, ils se sont regroupés dans des quartiers ou insérés au compte goutte dans les quartiers blancs. Margo et Denise suivent leurs parents au gré de leurs déménagements, qui coïncident avec l’évolution de leur rang social – les voilà désormais habitant un quartier résidentiel, avec des voisins blancs, inscrites dans une école où elles seront les seules élèves noires pendant plusieurs années.
Margo Jefferson raconte sa vie, et à travers elle, l’évolution de son pays – l’Amérique. De la petite fille à la jeune étudiante, elle raconte son histoire, celle de ses aïeuls, de leur mère et de leur père, qui, malgré leur succès, continuent de subir le racisme latent, quotidien. Margo est une petite fille qui ignore comment reconnaître les signes du racisme, les gestes, les mots et surtout les silences. Elles sont acceptées à l’école mais ne sont, par exemple, pas invitées aux anniversaires. Margo est tiraillée, ainsi elle entend les mots de sa mère « ne jamais faire confiance aux Blancs » – difficile quand on a six ans. Margo a des amies et y tient. Il faudra attendre l’adolescence pour que ses parents l’autorisent à inviter à son anniversaire des amies blanches. A l’époque, malgré leur mode de vie plus que confortable, les lois discriminatoires existent encore. Originaire du Mississippi, sa famille a déménagé dans le Nord, fuyant les états esclavagistes mais le racisme n’a pas disparu. Il est simplement plus discret, moins visible.
the colored aristocracy
the colored elite
the colored 400
the 400
the blue vein society
the big families, the old families, the old settlers, the pioneers
Negro society, black society
the Negro, the black, the African-American upper class or elite.
Margo raconte comment cette bourgeoisie noire a du sacrifier une partie d’elle-même, de son identité pour réussir. Il leur fallait être meilleur que les autres, ce que leur mère leur répétait inlassablement et ne jamais se faire remarquer, ni par la voix, le comportement et même la couleur des vêtements (ocre, crème, brun, rien de rouge ou de criard). Toujours être bien coiffée, les cheveux lisses, propre et bien habillé. Rien ne doit être ostentatoire. Il fallait se « fondre », « être invisible » dans cette société blanche.
Avec le recul, Margo réalise que sa famille se sont eux-même ostracisés de leur communauté, ils ont eux-même des domestiques noirs, et ce comportement les aliène de la société. Les voici entre deux mondes, jamais réellement accepté dans l’un et n’étant plus les bienvenus dans le second. Margo se souvient des mots de sa mère lorsqu’elle décrit sa propre communauté :
Too many of us just aren’t trying. No ambition. No interest in education. You don’t have to turn your neighborhood into a slum just because you’re poor. Negroes like that made it hard for the rest of us. They held us back. We got punished for their bad behavior.(*)
Elle reproche aux hommes et femmes pauvres noirs d’être responsables de l’insalubrité de leur quartier et de projeter ainsi une image négative de leur communauté. Elle divise la communauté noire et les accuse d’être responsable en partie du comportement raciste des Blancs. J’ai aussi beaucoup aimé les passages où elle raconte comment certains membres de sa famille, à la peau très claire, ont réussi à tromper la société en prétendant être blancs. Apparemment, c’était une pratique courante pour contourner les lois raciales. Ainsi un oncle à elle, était un commercial qui fréquentait peu sa famille de peu d’être dénoncé. Une histoire américaine que je connaissais mal et pour cela j’ai vraiment aimé cette lecture.
Enfin,j’ai beaucoup aimé le regard de Margo sur ce dédoublement permanent, cette gymnastique intellectuelle qu’elle devait faire enfant. Si aujourd’hui la bourgeoisie noire est beaucoup plus importante, à l’époque, elle projetait toutes sortes de sentiments contradictoires sur la population blanche et sur la population noire. J’ai de surcroît beaucoup aimer la voix féminine et féministe de l’auteur. Une grande dame.
♥♥♥♥♥
Editions Pantheon, 2015, 256 pages
(*Trop d’entre nous ne font aucun effort. Aucune ambition. Aucun intérêt à être éduqué. Ce n’est pas parce que vous êtes pauvre que vous devez laisser votre quartier se transformer en dépotoir. Ce sont ces nègres qui nous compliquent la vie. Ils nous empêchent d’évoluer. Nous sommes punis à cause de leur mauvaise attitude)
6 commentaires
Rien à la bibli, dommage, mais on ne sait jamais, en fouinant, ça peut se trouver
Oui, il a eu un certains succès du coup il va peut-être arriver et puis on peut toujours demander au bibliothécaire de le commander 😉
Le point de vue est intéressant, mais rien non plus sur les rayons de ma médiathèque. Dommage.
Zut ! Certaines acceptent que l’on leur donne des titres à commander 😉
un récit qui a l’air très intéressant ! tiens la remarque de la mère me fait penser à une scène à laquelle j’ai assistée dans le RER cette semaine … (un homme noir qui s’est emporté contre un groupe de jeunes filles qui faisaient un bazar monstre dans le RER B en leur disant que leur comportement était une honte et qu’elles ne se rendaient pas compte qu’un tel agissement pouvait jeter le discrédit sur toute une communauté …)
Vraiment ? Oh comme quoi .. oui, je pense que les choses ont évolué depuis mais pour elle, naître à l’époque où la ségrégation était de mise – j’aime beaucoup son regard sur la société américaine et sur la bourgeoisie noire.
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