Slouching towards Bethlehem · Joan Didion

par Electra
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Bien que le mois dédié à la non fiction soit terminé, je n’avais pas envie de partir sans avoir retrouvé la superbe plume de Joan Didion. Et j’ai envers moi un très joli cadeau de Noël avec cette édition spéciale de ce recueil d’essais, datant des années soixante.

Joan excelle encore une fois !  20 essais, regroupés en trois parties qui confront l’Amérique à l’une de ses périodes les plus importantes, tous publiés dans les années 60. Ce recueil est dédié à la Californie des années 60 –  la première partie aborde la Californie à travers ses personnages, le second contient ses essais « personnels » et le dernier met en avant des endroits clés de l’Amérique à cette époque, pour le pays et pour Joan Didion. L’essai, éponyme du livre, est entièrement dévoué à son séjour à San Francisco au coeur du mouvement hippie. Pour ceux nés longtemps après, et n’ayant jamais été particulièrement attiré par cette époque, il vous plonge au coeur du mouvement et vous montre l’envers du décor. Passionnant, mais je m’égare !

La prose de Didion est tellement jouissive – elle vous parle et vous écoutez. Elle sait omettre quand il le faut, et pousser le détail quand il le faut. Elle possède cette ironie typiquement journalistique tout en dosant savamment celle-ci.  Didion réussit à offrir ici une critique subtile de cette époque, elle observe ceux qui prétendent avoir trouvé « la solution » et réussit, sans les pointer du doigt, à démontrer leurs erreurs. La dernière phrase de son essai sur les hippies résume à elle seule le danger qu’elle perçoit dans ce mouvement et qui prendra fin avec les crimes de Manson. 

J’ai adoré tous les essais, avec quelques préférés comme On Keeping a Notebook, où elle décrit son incapacité à tenir un agenda mais plutôt des carnets noirs remplis d’idées, de phrases glanées ci-et-là, bref forcément je m’y suis retrouvée ! Et puis surtout, on aperçoit ici son mode de travail, son processus créatif. Il y a aussi son essai sur le meurtre de cet homme d’une famille respectable de San Bernardino (on se croit dans un épisode de The Housewives avec Brie). Dans cette première partie, Modes de vie en terre dorée, Joan Didion dresse le portrait de plusieurs icônes californiennes : John Wayne, Joan Baez et Howard Hughes.  Elle en profite pour expliquer le capitalisme qui régit l’Amérique de l’après-guerre et  la guerre du Vietnam qui va provoquer un cataclysme dans la jeunesse. 

Le district d’Haight-Ashbury, coeur du mouvement hippie accueille plutôt froidement Joan Didion, perçue comme l’ennemi journaliste mais en s’y installant, la jeune femme réussit à se faire des amis et à rencontrer quelques personnalités phares de ce mouvement. Mais Joan Didion va plus loin, en prenant du recul et en écoutant, sans doute pour la première fois, les quelques voix dissonantes de ce mouvement. Ce dernier a attiré des milliers de jeunes femmes, souvent mineures et qui, une fois droguées, peuvent être manipulées et même abusées. A l’époque, on prône le bonheur, la joie de vivre, le partage et personne n’ose mettre en doute cela. Mais les chiffres sont là : certains jeunes basculent dans les drogues dures, le nombre de suicides explose et le nombre de viols également. Et qu’en est-il des parents, shootés en permanence qui ne réalisent pas le danger pour leurs enfants ? Joan Didion assiste ainsi à quelques scènes, qu’elle décrit, sans émettre d’avis, mais qui se suffisent à elles-même. Mais surtout elle montre cette jeunesse déconnectée, qui préfère venir se perdre dans les hallucinogènes plutôt que d’affronter la vie.

I know something about dread myself, and appreciate the elaborate systems with which some people fill the void, appreciate all the opiates of the people, whether they are as accessible as alcohol and heroin and promiscuity or as hard to come by as faith in God or History.

Pour revenir au sujet du recueil, on trouve les essais de Joan sur son passé, dont l’arrière-arrière-arrière-grand-mère voyagea avec d’autres colons, dont les Donner, qui en voulant prendre un raccourci, prirent une terrible décision (ils allaient mourir dans la Vallée de la Mort) ; l’aïeule de Joan eut la bonne idée de choisir un autre wagon et de continuer sur la piste de l’Oregon, plus au nord.  La Californie ne cesse d’évoluer : terreau du mouvement hippie, et aujourd’hui des technologies Internet, le visage californien est sans cesse redessiner, par sa sécheresse et ses feux (et aujourd’hui encore) et par ses habitants.  Sa relation d’amour-haine avec son lieu de naissance la mènera à s’éloigner plusieurs années puis à y retourner (un de mes essais préférés de ce recueil).

Joan Didion décrit ainsi la San Bernardino Valley où elle a grandi :

This is the California where it is easy to Dial-A-Devotion, but hard to buy a book.  This is the country in which a belief in the literal interpretation of Genesis has slipped imperceptibly into a belief in the literal interpretation of Double Indemnity, the country of the teased hair and the Capris and the girls for whom all life’s promise comes down to a waltz-length white wedding dress and the birth of a Kimberly or a Sherry or a Debbi and a Tijuana divorce and return to hairdressers’ school.  “We were just crazy kids” they say without regret, and look to the future.  The future always looks good in the golden land, because no one remembers the past.  Here is where the hot wind blows and the old ways do not seem relevant, where the divorce rate is double the national average and where one person in every thirty-eight lives in a trailer.

Here is the last stop for all those who  come from somewhere else, for all those who drifted away from the cold and the past and the old ways.  Here is where they are trying to find a new life style, trying to find it in the only places they know to look:  the movies and the newspapers.

Aucun recueil identique de ces vingt essais n’existe en version française, mais onze d’entre eux (et certains que j’ai lus ailleurs en anglais) sont publiés dans le recueil L’Amérique, paru en broché et en Livre de Poche. Aussi, vous n’avez aucune excuse pour ne pas partir à la découverte de l’acuité de son regard et si vous voulez mieux la connaître, regardez le documentaire qui lui est dédié sur Netflix.

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Editions Picador USA, 2017, 384 pages

Et pourquoi pas