J’en ai parlé à plusieurs reprises sur mon autre blog, la communauté juive ultra-orthodoxe m’a toujours interrogée. J’ai récemment vu sur Netflix un documentaire sur plusieurs d’entre eux qui quittaient leur communauté pour rejoindre le mode profane des goyim. J’avais donc très envie de lire le témoignage de Shulem Deen.
Shulem Deen est né en 1974 est né dans une famille juive ultra-orthodoxe. Le petit garçon grandit auprès de parents ayant découvert la foi sur le tard. Sa mère a participé à Woodstock et son père a rejoint un temps le mouvement hippie à San Francisco. Tous les deux ont décidé de rejoindre et vivre dans la tradition ultra-othodoxe et d’élever leurs enfants dans la religion, mais ils continuent de converser en anglais et le père de Shulem fréquente les communautés non-juives. Shulem est un enfant rêveur, qui n’obéit pas et se fait même renvoyer d’une école yeshiva à Montréal. Il est pourtant attiré à l’adolescence par une communauté hassidique beaucoup plus extrémiste, installée à New Square. Il rejoint les skver à l’adolescence et suit à la lettre les préceptes religieux. Les garçons apprennent les traditions et l’histoire du peuple juif, ils ont très peu de cours traditionnels et très peu parlent anglais. Ils vivent totalement isolés du monde extérieur, même s’ils sont dans l’état de New York. Ils n’ont plus aucun contact avec les filles et ignorent tout des relations sexuelles ou même des relations amoureuses. Seule la foi et l’étude des textes religieux comptent.
Le jeune homme doute pour la première fois lorsque son rebbe lui annonce qu’il va se marier avec Gittel (Gitty), la fille d’un homme qu’il n’admire pas beaucoup. Il a dix-huit ans et va faire la rencontre de sa future épouse leurs de leurs fiançailles, 7 petites minutes. Shulem n’est pas amoureux et ne le sera jamais. Eux deux le savent. Il tente de repousser l’union mais rien n’y fait. Le voilà marié, et voilà qu’il doit accomplir son devoir nuptial. Mais comment fait-on ? Il a 19 ans et n’a jamais vu une femme nue et applique à la lettre les conseils du rebbe « tu lui parles d’un Juste, puis deux baisers sur la bouche et tu fais ton devoir très vite avant que le démon ne s’emporte« . Je vous laisse lire ces passages hallucinants.
Je pourrais aussi parler longuement des conditions de la femme, qui doit se raser la tête, porter des bas, et devient totalement impure le le temps de ses règles. Elle doit prouver sa pureté en remettant des morceaux de tissus pour qu’ils soient inspectés par le rebbe et tout ce qu’elle touche devient impur à son tour.
D’après le Talmud, qui voit la chevelure d’une femme découvre sa nudité. (..) Gitty coupait ses cheveux à l’aide d’une tondeuse électrique (..) elle ne leur laissait que 7 millimètres de longueur – que nul ne voyait – pas même moi, la loi exigeait qu’elle se couvrît la tête en permanence.
Ce récit est formidable car il offre une véritable plongée dans la vie quotidienne de ces hommes qui passent la majorité de leur temps à prier et doivent trouver mille subterfuges pour nourrir les leurs (les familles sont nombreuses car la contraception est interdite). Shulem raconte comment peu à peu sa foi va le quitter, face à l’intolérance, à la violence verbale et physique des siens envers les autres. Peu à peu, Shulem s’éloigne et introduit chez lui des objets interdits : une radio, un ordinateur (Internet sera la source principale d’une certaine prise de conscience) et se rend dans une bibliothèque pour apprendre l’histoire de son pays et s’informer de l’actualité.
L’auteur montre qu’ils sont nombreux à vivre ainsi dans le mensonge. Car les svkers sont très intolérants et utilisent la violence pour punir ceux qui refusent de suivre les préceptes. Shulem sera finalement exclu pour hérésie. Fait extrêmement rare. Il devra quitter la communauté et devra faire face à une épouse effondrée et ses enfants perturbés.
Je répétais alors ce que mon rebbe m’avait dit : « la gentillesse des autres nations conduit au péché ». Autrement dit : même lorsqu’un non-Juif commet une bonne action, il est animé de mauvaises intentions (…).
C’est une loi de la nature , me répétait-on : les non-Juifs mépriseront toujours les Juifs. (..) aussi intégré soit-il, le Juif suscitera toujours la haine et le mépris du non-Juif -un mépris plus ou moins dissimulé selon l’époque et l’audace de chacun, mais un mépris bien réel.
Il décrit sa perte de foi, sa lassitude de devoir prétendre et mentir aux siens. L’autre point majeur du récit est le long et difficile chemin vers la liberté. Ce récit m’a fait penser à Tara Westover et son récit Educated : une prise de conscience individuelle, une profonde solitude et puis la réappropriation de nouveaux principes fondamentaux quand la foi nous quitte. J’ai aussi beaucoup pensé au documentaire car je pense que Shulem est allé dans la même association qui accueille et soutient ces jeunes gens qui fuient les communautés hassidiques extrémistes. Un récit très complet que je conseille à tous ceux qui veulent découvrir le mode de vie de ces communautés.
J’ai eu la chance de recevoir ce livre dans le cadre de masse critique.
♥♥♥♥
Editions Points, All who go do not return, trad. Karine Reigner-Guerre, 2019, 480 pages
14 commentaires
Bon choix, dis donc! J’aurais pensé que tu l’avais déjà lu. Au départ, paru chez globe, hé oui.
Oui, j’en ai entendu parler grâce à Eva (on partage la même obsession!) et oui il est impressionnant !
Hé, tu confirmes qu’il faut que je le sorte de ma PAL (en grand format, chez Globe, mais d’occasion 😉 )
oh la chance ! C’est en voyant le docu sur Netflix que j’ai repensé à ce livre, et franchement il vaut le détour !
Beau résumé qui me donne envie de le lire. Dans le même style mais peut-être moins fort il y a le livre de Chaïm Pottok « je m’appelle Asher Lev » il vit lui aussi dans la communauté juive Hassidique de Brooklyn et devra faire des choix entre son art et la religion.
Oui, je connais de nom car une amie m’en a parlé (c’est son livre préféré) du coup je vais me le procurer ! merci pour le rappel
je l’avais noté à sa sortie poche car il me tentait, je le remonte sur ma liste d’envies du coup 😉
Oui ! Franchement, il est super intéressant du début à la fin – il décrit en détail leur vie quotidienne (ils sont en fait assez pauvres, et la condition des femmes fait réfléchir!)
J’avais tenté le coup lors de sa sortie en grand format. Eva avant beaucoup aimé. Comme toi, le sujet m’intéresse. Mais je crois qu’à ce moment-là, ce n’était pas le bon moment de l’attaquer!
Oui, il y a des moments ! La foi, et la quantité d’infos est impressionnante mais garde-le ! J’ai trouvé aussi intéressant le regard sur la condition de la femme, son impureté quand elle a ses ennuis, bref – c’est très fort
J’ai lu ton billet en diagonale parce que comme Kathel je suis récemment tombée sur un exemplaire d’occasion en grand format, et j’ai craqué, sans doute autant pour la beauté de l’objet que pour le contenu, dont je savais peu de chose. Je ne regrette pas, il a l’air de valoir vraiment le détour !
Oh bien ! Oui, même si je connaissais déjà certaines pratiques, là tu vas vraiment plonger dans leur monde quotidien où tout est règlementé ! Tu vas adorer
Je l’avais « demandé » à la masse critique mais je n’ai pas été retenue, dommage ! Mais comme il est en poche, aucune raison pour que je ne le lise pas!
ah oui ! c’est assez intense comme lecture, avec énormément d’informations mais c’est passionnant ! du coup, j’ai aussi le format poche, très pratique ! J’avoue que je trimballe le Truc en ce moment, et il pèse une tonne !
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