Rencontré l’an dernier lors du Festival America, Dan Chaon m’avait séduit par sa gentillesse et son humour. J’ai donc plongé dans son recueil, Surtout rester éveillé, dont les critiques sont élogieuses.
Je ne peux pas commencer ma chronique sans citer la citation que l’auteur a choisi de mettre en préface de son recueil dont l’auteur n’est autre que Stan Laurel : « J’ai rêvé que j’étais réveillé et je me suis réveillé pour découvrir que je dormais ».
Dan Chaon aime la noirceur et l’étrange. Dans ces douze nouvelles, il explore l’âme humaine. Que devient-on quand on perd un morceau de soi? Comment continuer ?
La première nouvelle, Les Abeilles, est sans doute une des plus sombres du recueil et un bon choix d’ouverture. Frankie a cinq ans et se réveille presque chaque nuit en hurlant. Ses parents s’inquiètent, le pédiatre aussi : a-t-il vécu un traumatisme émotionnel ? Rien de tout cela, répondent en coeur les parents. Mais le père sait que sa famille repose sur un mensonge. A 18 ans, déjà accro à l’alcool, il avait épousé une autre fille, tombée enceinte, au Nebraska. Ils avaient eu un petit garçon, du même âge que Frankie lorsqu’il avait décidé de tout quitter. Fortement alcoolisé, il avait pris la route pour finir dans le fossé. Après de long mois de rééducation, il avait repris sa vie en main. Fini l’alcool, fini le Nebraska. Son épouse sait qu’il a été marié mais ignore tout de l’existence de l’autre. Le père commence à s’interroger : Où sont-ils aujourd’hui ? Pourquoi son ex ne l’a-t-elle pas poursuivi pour toucher la pension alimentaire ? Sont-ils morts ?
Dans Patrick Lane époustouflé, le héros, Brandon refuse d’aller à l’enterrements de l’un de ses meilleurs amis d’enfance. Pourquoi? Depuis la mort de ses parents, il vit dans leur maison alors qu’il était prévu qu’il la vende. Sa soeur, partie dans un autre Etat, prend rarement de ses nouvelles. Peu à peu, il a condamné une partie de la maison et s’isole du reste du monde. Toute sa vie, il semble avoir eu l’air ailleurs « ohé, y-a quelqu’un là-dedans? » le tannait son père. Brandon s’interroge, qui est-il vraiment ? Souffre-t-il d’un trouble ? Brandon est anesthésié de la vie et en a conscience.
Dans Surtout rester éveillé, Zach et Amber, un jeune couple qui a tenté pendant longtemps d’avoir un bébé découvre que leur petite fille est née avec une malformation très importante et les médias sont aux aguets. Zach avait déjà vécu mal l’obsession d’Amber d’avoir un enfant à elle. La naissance de Rosalie devait tout remettre en ordre mais c’est l’inverse. Zach s’enivre et sa voiture quitte la route…
La solitude peut ne pas apparaître jusqu’à ce que la mort vienne nous saluer, comme avec le personnage de Deagle, dans Prends mon frère puisse cela t’être utile dont la vie est bouleversée après une crise cardiaque à l’âge de 39 ans.
Quand on atteint un certain stade, se dit Deagle, quelque part autour de la quarantaine, le passé ne nous ressemble plus. Le lien à notre ancienne vie est comme un rêve ou du délire, et la personne que l’on était n’est plus qu’une connaissance que l’on beaucoup aimée, ou le personnage adoré d’un livre de contes. C’est ainsi que la mémoire devient nostalgie.
Dans une autre nouvelle, Je me réveille, Dan Chaon se penche sur la famille, et le sens qu’on lui donne comme lorsque le narrateur, Robbie, reçoit le coup de fil de sa soeur ainée, près de vingt ans après avoir été séparés. Il a été adopté très jeune, à l’age de 5 ans, après que sa mère ait été arrêtée pour avoir noyé ses deux plus jeunes enfants dans la baignoire familiale. Robbie a tout oublié du drame mais aussi de son enfance, des ses autres frères et soeurs, et ne sait quoi faire de cette soeur qui réapparaît. Ses appels intempestifs et ses propos violents (comme lorsqu’elle lui demande ce que ça fait d’être le fils d’une meurtrière) le perturbent. Un jour, il a cette vision de cette femme rousse aux cheveux longs qui lui tend les bras, un sourire bienveillant, pour l’amener vers elle. Une magnifique nouvelle qui m’a laissé une forte impression et j’aime beaucoup la fin.
Je ne vais pas raconter chaque nouvelle, mais je pense à Saint Dismas, où un homme kidnappe le fils de son ex-petite amie. Cette dernière, une junkie, s’en occupait de moins en moins bien. Le garçon accepte de la suivre dans cette drôle d’épopée où le jeune homme choisit de retourner sur les terres de ses ancêtres. Toujours à la recherche de liens, d’une famille, Dan Chaon s’interroge encore.
Ma préférée est probablement la dernière du recueil, qui décrit la routine d’un homme quinquagénaire, qui sort courir avec son chien tous les jours à la même heure. Un homme qui s’entretient mais très discret. Un homme dont la disparition ne serait probablement pas remarquée par ses voisins. Un homme qui vit seul. Très seul. Ceux sont ses trois filles, dont il a perdu la garde qui raconte leur histoire et son histoire. Comment cet homme qui rêvait tant, s’est-il senti piégé une fois marié et père de trois enfants « j’étais enfermé » et comment il s’est libéré. Mais peut-on se libérer de son passé ? Car enfant, il avait lui même été enlevé à sa mère. Elle lui était apparue une fois, plus tard, pour s’excuser. Nos fantômes ne sont jamais loin, leur ouvre-t-on la porte ? Ou doit-on bien la maintenir fermée comme l’appentis qu’une des filles découvre dans sa nouvelle maison?
En fait, si on y regarde de près, nos fantômes papillonnent partout, ils se sont dispersés et continuent à se disperser, fumée et lueurs de cendres s’échappant de la cigarette de papa, vers sortant de terre quand il pleut et s’élevant avec des oiseaux pour agripper les lignes électriques dans nos griffes, nous tombons comme des feuilles d’arbres sur un doigt humain, replié dans l’herbe aux abords d’une maison et jamais retrouvé, nous nous déposons comme la poussière sur la clé d’une porte d’un sous-sol qui ne mène nulle part.
Un recueil à la fois dérangeant et très profond, il touche des parties sensibles de notre coeur. Il remuera pas mal de choses à ceux qui ont été amputés un jour. Dan Chaon a choisi de leur couper un doigt, symbolique forte. Chez Dan, les personnages sont tiraillés, entre ceux qu’ils ont abandonnés volontairement un jour et qui reviennent un jour les hanter et ceux qui leur ont été arrachés et qui les touchent à divers moments de leur vie. Ces fantômes leur donnent de la force ou les font tomber d’une échelle. L’univers de Dan Chaon peut vous sembler sombre mais de cette noirceur, se dégage toujours une lumière, celle de l’espoir. Le recueil est paru en Poche.
♥♥♥♥
Editions Albin Michel, Stay Awake, trad. Hélène Fournier, 2014, 320 pages
© Photo
7 commentaires
[…] La nuit je mens Dur comme l’amour, Larry Brown, Gallimard Surtout rester éveillé, Dan Chaon, «Terres d’Amérique», Albin Michel Elephant & other stories, Raymond Carver, […]
tu me donnes vraiment envie de le lire !
Je te le conseille ! Il est troublant mais aussi très touchant 🙂
jamais lu Dan Chaon, je pense commencer par son dernier roman qui m’attend mais je note le recueil pour plus tard si je suis séduite 😉
Oui, c’est mon deuxième – j’ai encore un ou deux titres dans ma PAL
Dans ma pal … tu donnes envie !
super !
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