Une femme en contre-jour · Gaëlle Josse

par Electra
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Lors de ma dernière nuit chez le Caribou, j’en ai profité pour lui piquer ce livre – qu’elle venait tout juste de recevoir. J’avais beaucoup aimé le documentaire qui avait été tourné sur l’œuvre de Vivian Maier et j’étais donc très curieuse … ….et que dire ?

La chute fut assez vertigineuse…

Reprenons, pour ceux qui l’ignoreraient encore, les photos de Vivian Maier ont été découvertes par hasard par un jeune chineur américain, John Maloof en 2007. Dans ce box dont le loyer n’était plus payé, John y trouve pas moins de 30 000 négatifs, des dizaines de rouleaux de pellicule et quelques tirages des années 50 et 60. John a pensé au début à se séparer de ces nombreuses boites pleines de photos non développées, mais intrigué il a pris celles déjà disponibles et les a mises en ligne. Le succès fut au rendez-vous et il comprit qu’il tenait entre les mains un véritable trésor.

Il rachète d’autres cartons à un autre chineur, le troisième chineur revendant son stock plus tard, une fois la mystérieuse photographe connue. John découvre son identité deux ans plus tard au dos d’une photo et après une recherche sur Internet en trouvant l’avis de décès. Un site web officiel, un documentaire plus tard, Finding Vivian Maier (sur Netlix ou Amazon Prime) et des expos un peu partout, tout le monde a entendu parler de cette femme qui aimait se prendre en photo et réalise pas moins de 120 000 photographies, souvent d’inconnus, d’enfants, d’adultes… … Son visage nous regarde. Qui était-elle ? A l’époque, petit rappel il fallait développer le négatif pour voir la photo, or elle en fit développer à peine 10% …

Gaëlle Josse a souhaité, le dit-elle, aller plus loin que ce visage impassible en menant sa propre enquête. En allant plus loin que le documentaire où on apprenait très peu de choses sur la vie de cette femme, longtemps nounou, qui n’avait jamais  vendu ou publié une seule photo. Elle ne développait plus ses pellicules et au gré de ses missions, les stockait dans un box. Mais Vivian n’a laissé ni journal intime, ni testament. Rien. L’artiste souhaitait-elle être publiée ? Reconnue ? Peut-être mais nous n’en savons rien. Et l’auteure française aborde ce sujet, a-t-on le droit d’organiser des expositions en son nom ? Sans qu’elle ait elle-même choisi ses œuvres ? Gaëlle Josse donne son avis assez tranché et je reste bouche bée.

Celle-ci qui défend le droit de cette artiste, à voir ses œuvres protégées, s’amuse ici à un drôle d’exercice. Car, j’avoue, j’ai été surprise de voir à quel point elle s’immisce dans la vie privée d’une femme, dont il me semble évident, qu’elle a toujours voulu rester en retrait. Et la voici à étaler tous les drames de sa vie, la grossesse non désirée de la grand-mère française, le départ précipité en Amérique, le mariage raté de sa mère avec cet autre immigré. L’enfance douloureuse, le frère dépressif et violent, les enfants séparés… Tout y passe, sans la moindre retenue. Elle ne se pose jamais la question de savoir si Vivian Maier aurait aimée voir sa vie privée ainsi étalée en première page ? Honnêtement, je ne pense pas que cela aide à comprendre l’artiste. Et j’ai, pour ma part, trouvé cela assez perturbant et impudique.

Alors quand elle se permet d’émettre un avis très critique à l’encontre d’un des chineurs qui souhaiterait les vendre, je trouve cela assez osé de sa part, car elle ne se pose jamais la question de ses propres gains en écrivant ce livre.

Elle aborde, en fin de lecture, un peu l’œuvre de l’artiste, les photos de ces inconnus dans la rue qu’elle photographiera par milliers et ses autoportraits. Seule partie du livre qui m’intéressait vraiment, j’ai cru en effet que le livre parlait de ses oeuvres. Je me suis trompée.  Je ne cherchais pas la femme, mais l’artiste or ici j’ai trouvé l’opposé.

Et s’il n’en faut pas plus, mais sa remarque sur la prétendue erreur dans l’avis d’obsèques qui dit «  Vivian Maier, originaire de France et fière de l’être »  où l’auteure s’insurge car elle est née en Amérique donc pour elle est uniquement Américaine me paraît déplacée car être originaire ne veut pas dire être né en France. Sa mère, Marie Jussaud, était française et Vivian retourna avec elle passer une partie de son enfance en France et plus tard à l’âge adulte. Elle était fière de ses origines et je fais confiance aux personnes qui ont rédigé cet avis, ces enfants qu’elle a élevés pendant dix-sept ans.

J’avais lu d’elle Le dernier gardien d’Ellis Island et j’avais aimé ma lecture, mais là je n’ai pas compris sa démarche, ni ses prises de position. Je n’ai pas eu de souci avec le style, contrairement à d’autres lecteurs, je le trouve fluide et agréable.  Et j’aime le livre, sa couverture, un bel objet et un beau titre. C’est un avis très personnel, je l’assume. Peut-être me suis-je trompée dans ses intentions, mais je n’ai pas aimé le résultat, le portrait de sa famille ou de la femme.

Ce que j’ai énormément apprécié dans le documentaire, Finding Vivian Maier,  à l’inverse, c’est qu’il laisse Vivian être qui elle veut et demeurer une femme mystérieuse. Ils ne cherchent pas à se l’approprier, à raconter toute sa vie et ses malheurs, il respecte son choix d’être très discrète. Souffrait-elle d’une forme de maladie mentale ? Peut-être, mais ce n’est pas la question. Il laisse la parole aux photos.

Bref, vous aurez deviné que ce fut une grosse déception pour moi. Je vous conseille évidemment le site et le documentaire.

♥♥

Les Editions Noir sur Blanc, 2019, 153 pages

Et pourquoi pas

15 commentaires

keisha 14 juin 2019 - 11 h 11 min

Une expo des photos (et sans doute le documentaire?) était visible à tours, j’y suis allée plusieurs fois!

Electra 14 juin 2019 - 18 h 49 min

chanceuse ! j’adore son univers, du coup je vais sur le site et le documentaire 🙂

Mes échappées livresques 14 juin 2019 - 13 h 44 min

Elle vient dans une librairie près de chez moi à la fin du mois et je vais le lire d’ici là. Je ne connais pas du tout Vivian Maier donc à voir, mais j’essaierai de visionner le documentaire après.
J’avais eu un coup de cœur pour Une longue impatience l’année dernière donc même si l’angle d’approche du sujet n’est pas parfait, je suis ravie de retrouver sa plume.

Electra 14 juin 2019 - 18 h 50 min

un conseil : regarde quand même son travail avant parce que le livre ne t’apprends rien or pour moi c’est la seule chose qu’elle aurait peut-être voulu montrer et ses photos permettent aussi de mieux la cerner (sur le site Internet) elles sont magnifiques !

Autist Reading 14 juin 2019 - 16 h 06 min

Tu n’es pas la première à exprimer des réserves sur l’intérêt de ce bouquin.
J’avais été prévenu qu’on n’apprenait pas grand-chose de neuf sur la femme et l’artiste si on s’était déjà intéressé à ce fameux documentaire. C’est pour cela que je l’avais laissé passer sans regrets.
Il y un mystère chez cette femme que je n’arrive pas à m’expliquer : si je comprends que les coûts de développement des pellicules l’ont probablement empêchée de toutes les développer (au rythme où elle faisait sortir le petit oiseau, ça ne m’étonne pas!) mais je ne vois pas alors l’intérêt de continuer à prendre toutes ces photos dont elle n’a jamais su ce qu’elles pouvaient rendre… Il me semble que j’aurais plutôt réfréné mon doigt sur le déclencheur de façon à avoir les moyens pour développer toutes les photos que j’aurais prises, les analyser (cadre, éclairage….) pour m’améliorer ensuite.
C’est à ce niveau-là, il me semble, qu’il pourrait y avoir une pathologie comme l’obsession de capturer des personnes, des moments…. Ou alors une ambition tennce de faire œuvre de l’accumulation de tous ces clichés.
Si j’étais écrivain, c’est vraiment cet aspect que je trouve passionnant que j’aurais essayé de développer.

Electra 14 juin 2019 - 18 h 53 min

dans le documentaire, on apprend un peu sur sa famille mais pas comme dans le bouquin qui s’attarde sur tous les malheurs et qui pour moi, n’apportent rien.
Il y a bien un mystère chez cette femme, d’ailleurs en vieillissant, elle devenait assez revêche et peu aimable, certains ont pensé à une forme de maladie – et son obsession des selfies – à l’époque si certains faisaient un ou deux portraits d’eux-même; elles en prenaient des centaines !
Pour le coût, oui – elle n’avait pas les moyens (le seul pécule qu’elle ait eu entre les mains elle l’a dépensé en voyages) du coup oui, elle a continué à prendre toutes ces photos – peut-être espérait-elle un jour avoir les moyens de les développer, mais comme toi, je pense plus à un côté maniaque, elle voyait le monde à travers le viseur – elle fonctionnait ainsi. Je pense qu’elle mettait de la distance entre elle et les autres .. bref étrange mais en même temps je suis contente de ne pas tout savoir et je ne pense pas que ce livre apporte quelque éclaircissement sur ce point-là

Kathel 15 juin 2019 - 13 h 04 min

Cette photographe est fascinante, mais surtout et essentiellement son œuvre. Je n’ai pas forcément envie d’entrer dans les détails de sa vie, et je comprends très bien que l’ambiguïté du roman ne t’ait pas plu, je pense que j’aurais aussi les mêmes réactions. De toute façon, je n’avais pas été convaincue par Le dernier gardien d’Ellis Island, et j’étais très réservée, d’avance, à propos de ce dernier roman. Je sais, c’est un a priori, mais à l’aune de la déception qui avait été la mienne…

Electra 15 juin 2019 - 21 h 18 min

Alors tu fais bien de passer ton chemin et te concentrer sur son oeuvre, beaucoup plus intéressante !

Marie-Claude 15 juin 2019 - 17 h 37 min

J’attendais ce billet avec impatience… Tes mots pèsent leur pesant d’or. Je l’ai lu et, comme je n’ai pas encore vu le documentaire, certains aspect du livre m’ont moins dérangé que toi.
Ça demeure assez culotté et impudique comme roman… Oserais-je dire que je l’ai beaucoup apprécié? Tu verras en lisant mon billet.

Electra 15 juin 2019 - 21 h 20 min

Ton positionnement est forcément différent puisque tu n’as pas vu le documentaire, ni ses oeuvres en général – du coup c’est normal – après oui, je me dis que Vivian aimait garder sa vie secrète alors voir tous les malheurs de sa famille exposés au grand jour … Bref, mais je sais que Maud a aimé. Le style ne m’a pas dérangé, contrairement à Sonia et je ne sais plus qui (zut) qui n’ont pas du tout aimé le style et une certaine froideur …
Je repense à notre déjeuner et moi finissant par craquer et verser ma bile LOL

« Une femme en contre-jour », Vivian Maier une photographe de l’ombre, Gaëlle Josse – Uranie 15 juin 2019 - 17 h 59 min

[…] À lire aussi les avis de La nuit je mens, Abracabooks […]

Titezef 15 juin 2019 - 22 h 11 min

Je pensais pas que tu le lirais. 😉. Effectivement on apprend rien de plus si on a visionné le documentaire et déjà fait des recherche sur vivian Maier.
Gaelle Josse écrit beaucoup sur la vie de Maier effectivement. Cela ne m’a pas gêné , ni mis mal à l’aise car j’ignorais totalement qui elle était.
Le côté « profiteur » je l’ai retrouvé aussi chez l’américain qui a découvert ses photos.
Bon … sans eux je serais restée dans l’ignorance et je n’aurait pas acheter un des magnifiques album avec les photos de Vivian Maier 😉

Electra 16 juin 2019 - 10 h 57 min

Oui, le « profiteur » on lui doit beaucoup ! Et puis, il a failli tout jeter … c’est le principe de ces box, on achète sans savoir ce qui s’y trouve ..Et lui a rencontré les « enfants » de Vivian et a respecté leur souhait. Ce que je n’ai pas aimé c’est qu’elle ne mentionne pas qu’elle profite aussi de la célébrité de Vivian .. ce qui me gêne le plus. Et puis l’étalage de sa vie, alors qu’on voit à travers sa vie et les témoignages, qu’elle était discrète.

La Rousse Bouquine 25 juin 2019 - 10 h 09 min

Je vois beaucoup d’avis assez mitigés sur ce livre, donc je pense passer mon chemin même s’il me faisait de l’oeil au départ… En revanche le documentaire dont tu parles m’intéresse bien plus, j’essaierai de le regarder !

Electra 25 juin 2019 - 20 h 05 min

Oui, je pense que le documentaire vaut vraiment le détour et il laisse peser le mystère, comme je pense, elle aurait aimé – mettre en avant son travail et non sa vie personnelle 🙂

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