Je me souviens de cette nuit de novembre 1989, des images d’Allemands envahissant le mur à Berlin, certains montant dessus, le chevauchant, d’autres l’attaquant à coup de massue, cet homme jouant du violon, une foule immense, joyeuse, qui chante … et je n’ai pas eu l’idée de publier ce billet le 9 novembre dernier .. tant pis !
Christine de Mazières, franco-allemande, a choisi la fiction pour relater la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. En donnant voix à une dizaine de personnages et en permettant au lecteur de vivre ces heures historiques à travers un kaléidoscope.
Ce soir-là, une foule silencieuse se dirige vers les postes-frontières. Tous viennent de voir à la télévision le porte-parole du Parti prononcer, à voix basse, les mots « ab sofort » (dès maintenant) répondant ainsi à la question d’un journaliste sur la date de l’ouverture du mur. Incrédules, les jeunes militaires garde-frontière ignorent s’ils doivent ouvrir les barrières. Du côté Ouest, les Allemands se dirigent aussi vers le mur. Anna, une jeune Française, tombée amoureuse de la langue de Goethe fait partie de cette foule. La jeune femme s’est rendue à plusieurs reprises en RDA mais à sa dernière tentative, avait été refoulée sur décision de la Stasi.
Elle y avait rencontré Micha, un jeune homme marqué par sa tentative de fuite quinze ans plus tôt. Fils d’une haute figure du parti, il avait été repêché en mer Baltique et condamné à la prison. Son père avait réussi à lui obtenir un poste à l’extérieur. Depuis, Micha est malheureux car son meilleur ami, Tobias, a disparu en mer. Ce soir-là, Micha entend le porte-parole dire que les citoyens de l’Est, comme lui ont enfin le droit d’aller librement à Berlin-Ouest. Sa carte d’identité à la main, il se présente devant le garde-frontière…
L’auteure nous relate ce fameux discours télévisuel qui allait changer la face du monde ce soir-là. J’étais jeune à l’époque et je n’avais pas souvenir que la Hongrie puis la Tchécoslovaquie avaient déjà ouvert leurs frontières plusieurs mois auparavant et que plus de 30 000 Allemands de l’Est avaient fui pour déposer une demande d’asile aux ambassades d’Allemagne de l’Ouest. Le Parti savait que la fin approchait. La RDA s’était endettée auprès de plus de 200 banques, beaucoup à l’Ouest et ils n’avaient plus d’argent pour payer les fonctionnaires (l’emploi le plus commun). Leur rêve d’un pays communiste et égalitaire s’effondrait.
Lors d’un échange entre plusieurs communistes, venus de tous pays, dont plusieurs Français, l’un d’eux, un Allemand est effondré par ce désir de consumérisme, de capitalisme qui émerge chez ses concitoyens. Ils plaisantent ainsi sur le désir stupide de manger de l’ananas ou des kiwis.. ..Et on voit là toute leur supériorité s’exprimer et surtout toute leur méprise sur les désirs réels de la population. D’ailleurs, ils parlent « d’éduquer » les peuples, considérant ainsi leurs citoyens comme des gens incapables de réfléchir par eux-même. C’est cet esprit qui a mené à ce que tout rêve de vivre ensemble tourne au cauchemar. La population ne rêve pas uniquement de vêtements neufs, de télévision couleur, de kiwis et d’ananas – elle rêve juste d’avoir le choix. Le choix , c’est la définition de la liberté. En créant la Stasi, cet organe de surveillance, il s’est transformé en dictature – la Stasi écoutait des millions d’Allemands, surveillaient leurs courriers, tout rassemblement de plus de trois personnes devait être annoncé ! Le peuple s’est très vite senti épié, piégé, confiné et il est normal qu’ils rêvent de liberté ! Et non de quitter leur pays, d’ailleurs ce soir-là, en se pressant devant le mur, lorsqu’ils demandent aux gardes de lever les barrières, ils crient aussi qu’ils reviendront….
La RDA leur promettait l’égalité, ils voulaient la liberté, ils retrouvent la fraternité.
J’ai aimé les voix d’Anna, de Micha mais j’avoue que, seul bémol de cette lecture, j’ai fini par avoir peur de voir l’auteure créer encore de nouvelles voix à plus de la moitié du roman .. Un roman choral où s’invite également Cassiel, l’ange du film de Wim Wenders, les Ailes du Désir, sorti cette année-là.. J’ai refermé ce livre avec l’envie furieuse d’aller revoir sur Internet ces images de ce soir-là, où un peuple divisé pendant plus de trente ans, allait enfin se retrouver … Un moment très émouvant et très fort !
♥♥♥
Editions Sabine Wespieser, 2019, 192 pages
12 commentaires
En 1989 j’étais à l’étranger, ne suivais pas les nouvelles, et j’ai appris pour le mur… deux jours après! Les images sont venues après.
Pareil le 13 novembre, j’ai appris les événements le matin du 14 à la radio.
Pour le 11 septembre quand même je l’ai su rapidement!
Excellent ! Moi pour Nice, j’étais à l’étranger et je ne l’ai pas su le jour-même – sinon pour le 13 novembre, on m’a prévenu de l’étranger, sinon pareil..Mais là pour Berlin, j’étais là, scotchée devant ma télé et c’était génial 🙂
Récemment j’ai vu plusieurs billets élogieux sur ce roman et le sujet m’attire, il est noté!
Oui, je crois qu’il te plaira bien – j’ai passé un bon moment 🙂
grâce à ton billet je viens de comprendre qui est l’autrice 😀 il y a quelques mois, avec ma copine Amandine on est allé à la librairie La Suite à Versailles prendre un thé après l’enregistrement de Bibliomaniacs et il y avait une dame à côté de nous qui était interviewée et on a compris qu’elle était écrivain ou alors traductrice, mais on ne voyait pas du tout qui c’était (elle disait qu’elle était franco-allemande, et on voyait un livre Sabine Wespieser sur la table mais sans distinguer la couverture) .. en fait c’était Christine de Mazières ! c’est la femme du maire de Versailles 😀 et elle sera au salon du livre historique Histoire de Lire à Versailles ce we…
ah excellent ! le monde est vraiment petit alors ! et bien son livre est très bien, donc n’hésite pas à la lire et à lui dire is tu la vois 🙂
lu hier soir d’une traite ! (acheté et dédicacé au Salon) j’ai vraiment beaucoup aimé
ah ah excellent ! Oui, il se lit vite et j’aime bien les personnages, et on a l’impression d’être là à leur côté quand le mur tombe !
J’étais une toute jeune ado à l’époque mais je me souviens très bien de ces images à la TV, des moments tellement intenses et émouvants et de toute l’effervescence qui régnait à l’école les jours suivants. Dire que 30 ans ont passé! Non mais trente ans !!!
Oui, je sais – pareil que toi ! quelle effervescence, les gens étaient heureux ! c’est bien d’avoir vécu ce genre d’évènements 🙂
Oui, c’est un avantage de notre grand âge hahaha
🙂
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