La septième croix · Anna Seghers

par Electra
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Si je ne suis pas aussi fan que d’autres des rentrées littéraires, il y a des livres qui méritent néanmoins le détour. Repéré en fin d’année, j’ai eu la chance de l’avoir entre les mains et découvrir cette double histoire, l’histoire dans le livre mais aussi l’histoire de ce livre.

J’ignorais tout de l’histoire de ce livre, et de son auteure, l’Allemande Anna Seghers. Je vous en parle mais je reviens d’abord au sujet du livre : l’Allemagne des années 30, avant la guerre. L’Allemagne nazie. Finalement, on en parle assez peu, tant ce qu’ils ont fait ensuite pendant la guerre est atroce. Pourtant, la machine de guerre, de destruction a commencé bien avant, en s’attaquant à son propre sang : les opposants au régime nazi et en mettant en place un système où la délation, la suspicion, et la torture font déjà partie hélas du paysage allemand. Même dans les campagnes, où l’a érigé un premier camp de concentration où sont enfermés les opposants. Après la première guerre mondiale, l’Allemagne a souffert, le travail se faisait rare et il aura fallu attendre la construction de nouvelles usines pour relancer l’économie. Des usines qui fabriquent des machines de guerre. Mais qu’importe, les Allemands ont du travail et de la nourriture sur la table. Ils s’habituent à ce mode de vie où un seul parti domine, où les enfants intègrent les jeunesses hitlériennes, les jeunes épouses partent deux semaines en formation de future épouse d’officier nazi. Gloire au régime. Mais tout ce merveilleux système, où ceux qui veulent fermer les yeux et se contenter de travailler et rapporter à manger à la maison, vacille lorsque sept opposants au régime arrivent à s’enfuir du camp.

Quand on réussissait à mettre en défaut, même de manière dérisoire, le pouvoir absolu de l’ennemi, alors on avait réussi en tout. (..) Dès le premier mois qui suivit la prise de pouvoir d’Hitler, des centaines de nos chefs avaient été assassinés partout dans le pays, chaque mois, d’autres l’étaient.

L’un des évadés, Georg,  a grandi tout près du camp. Il a travaillé à l’usine et a forgé de solides amitiés, avec Paul lorsqu’il était enfant, et Franz avec qui il a partagé son premier appartement. A l’époque, le communisme fait une percée importante auprès de la population ouvrière et George et Franz s’enflamment pour ces idées révolutionnaires, mais le national-socialisme n’est pas loin et très vite le mouvement est étouffé. La Gestapo, l’Armée, tous ont ordre de capturer rapidement les sept évadés et comptent sur la peur de la population pour les retrouver rapidement. Le chef du camp n’a pas le droit à l’erreur. Car le Nazisme interdit tout pas de travers. Il fait ériger sept croix dans la cour.

Tous ces garçons et filles, là dehors, une fois qu’ils avaient derrière eux la Hitler Jugend, l’organisation des jeunesses hitlériennes, puis le service du travail et l’armée, ils étaient semblables aux enfants de la légende qui, élevés par des bêtes, finissent par déchirer leur propre mère.

L’évasion de Georg va soudainement pousser la population locale à s’interroger : souhaite-t-on réellement qu’il soit appréhendé ? Ses camarades d’usine savent qu’il y a une récompense. Chacun s’interroge, s’il le croise, l’aidera-t-il dans sa fuite ou ira-t-il le dénoncer ? La montée du totalitarisme avec la multiplication des arrestations a créé de la suspicion dans toute les tranches de la population. Les ouvriers refusent de parler politique entre eux. Emettre une opinion contraire au régime risque de vous coûter cher. Chacun des aspects les plus profonds est soudainement mis à jour : l’héroïsme pour certains qui vont prendre des risques énormes pour aider une vague connaissance, la lâcheté d’un autre ou seulement la peur existentielle pour beaucoup et surtout la fragilité face à ce régime qui vous arrête, vous torture, vous broie. On menace les familles des évadés, leurs anciens amis… Parler c’est prendre un risque énorme.

Wurz se ressaisit au point de débiter son petit boniment sur la paysannerie comme racine de l’unité du peuple et de l’importance de la famille dans l’Etat national-socialiste et du caractère sacré de la race.

Anna Seghers maitrise formidablement son écriture et son récit. Car il y a une tension perpétuelle dans ce roman, on suit la fuite de Georg, on craint à chaque instant son arrestation et on suit d’autres personnages, un berger, un ancien camarade d’école, un ancien ami et d’autres personnes, tous plus ou moins touché par son évasion. On craint pour leur vie. On comprend soudainement à quoi ressemblait cette Allemagne en 1933. Celle de simples ouvriers, bergers ou fermiers soudainement menacés par leur propre gouvernement.

Seghers ignorait à cette époque le dessein funeste d’Hitler. Amoureuse de sa patrie, elle avait pris très vite position, avait rejoint le parti communiste et avait du fuir en France lorsque les Nazis étaient arrivés au pouvoir. L’occupation en France la poussera à prendre de nouveau la fuite avec sa famille pour le Mexique où elle finira l’écriture de ce roman. Tous ses écrits seront interdits par le régime Nazi et tous ses livres brûlés.  Celui-ci sera publié et sera même distribué aux soldats américains partis libérer l’Europe. L’un d’eux, Allemand d’origine, la remerciera pour avoir si fidèlement recréer cette Allemagne,où soudainement la liberté a disparu. La liberté d’expression.

J’entends parfois des Français dire qu’ils ne l’ont plus, c’est faux, ils ne l’ont jamais autant eu avec l’avènement des réseaux sociaux, toutes les opinions, idées, théories peuvent s’exprimer, qu’elles soient sensées ou pas. Personne ne disparaît subitement, enfermé dans un camp de concentration, torturé et tué d’une balle dans la tête. On peut adhérer et créer n’importe quel parti politique (celui pour les animaux à la dernière élection). Je crois que 2020 sera une année allemande, je viens d’acheter un polar situé en 1947. Année où Anna Seghers est revenue dans son pays pour le reconstruire et y enseigner.  Une femme dont j’ai très envie de lire les autres livres. Je remercie Métailié d’avoir traduit fidèlement son roman (sa famille s’étant opposée à une première traduction d’après-guerre).

♥♥♥♥♥

Editions Métailié, Das siebte Kreuz. Ein roman aus Hitlerdeutschland. trad. Françoise Toraille, 2019,  448 pages

Et pourquoi pas

18 commentaires

Fabienne 23 janvier 2020 - 9 h 02 min

Je l’avais repéré aussi et ton billet me confirme que j’ai bien fait de le noter! J’essaierai de le trouver en allemand par contre.

Electra 23 janvier 2020 - 19 h 37 min

Oui, et maintenant je croise son nom partout ! Elle a été nominée au Prix Nobel en même temps que Simone de Beauvoir 🙂

mingh 23 janvier 2020 - 10 h 38 min

Je connaissais l’auteur de nom (apparemment sans lien de parenté avec le poète Pierre Seghers) sans avoir lu aucun de ses livres. Lacune à combler ! Je lis actuellement un roman allemand récent « La Fabrique des salauds » de Chris Kraus (gros travail de traduction !) qui relate cette période d’une violence et d’une cruauté inimaginable vécue entre autres par Anna Seghers et ses compagnons. Ce livre qui fait la une en Allemagne fait l’objet d’une série. Merci pour ton partage.

Electra 23 janvier 2020 - 19 h 38 min

Oui, moi je ne la connaissais pas par contre la fabrique des salauds ! On se complète 🙂 je vais me procurer le livre. Une période troublante et si parlante en ces temps difficiles ….

Eva 23 janvier 2020 - 13 h 35 min

tu te doutes que je vais lire ce livre 🙂

Electra 23 janvier 2020 - 19 h 39 min

ah bon ? je plaisante ! évidemment ! et tu as bien raison ! tu vas beaucoup aimer et Georg… bref, fonce !

Ingannmic 23 janvier 2020 - 15 h 18 min

J’ai lu Transit, de cette autrice, il y a longtemps, le récit de l’attente, à Marseille, par tous ceux que le fascisme met en danger (en 1940) d’un bateau pour l’ailleurs…
J’en garde un souvenir assez fort, et note donc cette « Septième croix ».

Electra 23 janvier 2020 - 19 h 39 min

Je veux lire Transit – sa vie est toute aussi passionnante que celle de son pays. J’aime son écriture et comment à travers une évasion, elle réveille les consciences des habitants …

Marie-Claude 23 janvier 2020 - 23 h 17 min

Ton billet reflète les mots dits l’autre jour, de vive-voix. Comme tu le disais, l’histoire en elle-même et l’histoire du livre sont aussi passionnants l’une que l’autre…

Electra 24 janvier 2020 - 7 h 20 min

Merci 😊 oui et il reste aussi l’évasion on tremble ! J’en dévore un autre que je vais finir aujourd’hui 😊

Kathel 24 janvier 2020 - 11 h 18 min

Ton billet, et un article très complet dans le Monde des livres de cette semaine, et me voilà obligée de noter ! (mais c’est une obligation bien agréable) 😉

Electra 24 janvier 2020 - 20 h 42 min

ah merci ! j’ignorais pour l’article 🙂

Mes échappées livresques 24 janvier 2020 - 15 h 07 min

Une lecture qui semble passionnante, je l’ajoute à ma liste sans plus tarder 😉

Electra 24 janvier 2020 - 20 h 43 min

merci ! et ton adjectif est jute, passionnante ! et un peu triste quand on pense à la suite (pour nous et pour eux)

krol 24 janvier 2020 - 19 h 22 min

Ca m’attire bien tout ça ! Décidément, je note en ce moment quelques livres allemands, c’est une littérature que je ne connais quasiment pas.

Electra 24 janvier 2020 - 20 h 44 min

Pareil que toi, c’est Métailié qui m’a fait découvrir les auteurs allemands, l’an dernier c’était avec cet homme qui racontait sa vie des deux côtés du mur et maintenant Seghers. Et en plus, ils sont bons !

mingh 27 janvier 2020 - 10 h 20 min

Oui, bravo Métailié qui met l’accent sur de supers bouquins !

Electra 27 janvier 2020 - 19 h 18 min

Oui 👍

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