Heavy · Kiese Laymon

par Electra
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J’ai lu ce récit très rapidement et j’ai totalement oublié de rédiger ma chronique. Certaine de l’avoir déjà faite … Mais je vais tenter à présent de lui rendre justice.

Kiese Laymon a commencé à écrire ce récit pour parler de son problème de poids. Kiese a été toujours été grand et fort, imposant. A 11 ans, il mesurait déjà plus d’1m75 ans et à treize ans on lui en donnait une vingtaine. Mais le jeune homme souffrait aussi d’obésité et peu à peu, sa maladie l’a mené à dépasser les deux cent cinquante kilos. Une carrière universitaire réussie, il a cru pouvoir seul guérir de cette maladie et a commencé un entraînement physique exigeant et un régime militaire. Le poids a disparu, remplacé par des muscles et des abdominaux. Mais en perdant son enveloppe corporelle, le jeune universitaire s’est perdu. La rechute était prévisible. En écrivant ses mots, Kiese a réfléchi à ce problème de poids, récurrent chez beaucoup d’Américains, d’origine africaines et vivant dans le Sud.

Kiese a grandi dans le Mississippi élevé par une mère brillante mais violente, physiquement et verbalement. Sa mère est probablement l’objet central de ce récit. Kiese l’a remercie pour l’avoir toujours poussé à croire en lui, à ses capacités intellectuelles mais elle est probablement à l’origine de son mal-être et de son obésité. La violence physique était un moyen de communication pour cette femme professeure de droit à dans de grandes universités. En rage contre la terre entière, sa mère a reporté sur lui toute sa rancoeur. Et les souvenirs de Kiese sont effrayants. Fort heureusement, il y avait sa grand-mère pour le soutenir. Kiese grandit dans un environnement instable, les relations de sa mère lui amènent des beaux-pères violents. Kiese développe une santé fragile (anorexie, boulimie puis obésité), ses relations envers le sexe opposé se développent dans un climat de violence sexuelle – dans des soirées où l’on force les filles à se prostituer. Tout est faussé. Et puis sa mère, qui gagne pourtant bien sa vie, dilapide leur argent dans les jeux de casino. Un héritage familial, car Kiese finira par souffrir des mêmes maux.

America seems filled with violent people who like causing people pain but hate when those people tell them that pain hurts. (1)

Comment rompre ce cycle de violence ? Envers soi-même principalement ? C’est la question que se pose l’auteur. Et le texte est puissant, parfois provoquant mais terriblement honnête. L’auteur n’évite pas le regard dans le miroir. Et si ce mal-être familial venait d’un autre mal : le racisme. Le Mississippi a connu la ségrégation, les lynchages et aujourd’hui rien n’a vraiment changé. Les drapeaux sudistes, les statues de ceux qui ont lutté contre leur émancipation sont toujours là. Mais Kiese est surtout conscient de sa propre personne. C’est ce moment dans le livre qui m’avait donné envie de le lire : le soir, en rentrant tardivement chez lui, Kiese aperçoit une jeune femme blanche qui se gare sur le même parking. Kiese va préférer attendre qu’elle rentre chez elle pour sortir de sa voiture. Pourquoi ? Car il sait qu’un homme noir de sa carrure, la nuit, va probablement lui faire peur. Et c’est terrible de lire cela. Mais l’homme noir a toujours été vu comme menaçant. D’ailleurs, toutes les histoires d’arrestations ayant mal tourné (bavures policières) mettent en avant « un homme noir menaçant« .

It ain’t about making white folk feel what you feel,” she said. “It’s about not feeling what they want you to feel. Do you hear me? You better know from whence you came and forget about those folk. (2)

Un cri du coeur mais aussi une magnifique déclaration d’amour d’un homme envers sa famille. J’avoue que sa chute après une ascension professionnelle magnifique est difficile à lire,  lui et sa mère font énormément pitié – incapables de dire non au démon du jeu. Voir le fils suivre la même trajectoire que sa mère est troublant, à la différence qu’il l’a réalisé, j’espère à temps. Tous deux sont des battants et on ne peut que leur souhaiter de réussir. A être heureux.

Mais Kiese a réussi cela. Il voulait écrire toute autre chose, il voulait raconter sa réussite, celle d’un gamin noir du Mississippi professeur reconnu dans les plus grandes universités américaines, de son corps d’Apollon. Il a fait tout l’inverse. Ce récit a reçu énormément d’éloges, toutes bien méritées.

And don’t fight when you’re angry. Think when you’re angry. Write when you’re angry. Read when you’re angry. (3)

♥♥♥♥

Editions Scribner, 2019, 241 pages

 

(1)  L’Amérique semble être peuplée de gens qui aiment faire de la peine aux autres mais détestent lorsque ces mêmes personnes leur disent que ça fait mal. 

(2) Le but n’est pas de faire ressentir aux Blancs ce que tu ressens, lui dit-elle. Le but c’est de ne pas ressentir ce qu’Ils veulent te faire ressentir. Tu m’entends ? Fies-toi à tes racines et oublies-les. 

(3) Ne cédez pas à la violence lorsque vous êtes en colère. Réfléchissez quand vous êtes en colère. Ecrivez quand vous êtes en colère. Lisez quand vous êtes en colère. 

Photo by Giulia Pugliese on Unsplash

Et pourquoi pas

6 commentaires

keisha 26 février 2020 - 8 h 38 min

Cela a l’air dur, mais une lecture nécessaire

Electra 27 février 2020 - 19 h 35 min

Oui dur mais impressionnant car il ne cache rien !

Mes échappées livresques 27 février 2020 - 9 h 05 min

Une lecture qui m’interpelle, il est paru en France?

Electra 27 février 2020 - 19 h 35 min

Pas encore ….

Marie-Claude 28 février 2020 - 3 h 40 min

Sapristi… Une traduction de toute urgence, svp?

Electra 28 février 2020 - 18 h 09 min

Oui, SVP !!! je devrais devenir traductrice free lance avec tous les livres que je lis en ce moment !

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