J’ai plusieurs fois croisé l’oeuvre de l’auteure Jacqueline Woodson, lauréate du National Book Award pour un roman jeunesse. Du coup, lorsque j’ai vu son roman disponible dans les rayons de ma bibliothèque (refaite à neuf), je n’ai pas hésité longtemps.
La première fois que j’ai vu Sylvia, Angela et Gigi, ce fut au cours de cet été-là. Elles marchaient dans notre rue, en short et débardeur, bras dessus bras dessous, têtes rejetées en arrière, secouées de rire. Je les ai suivies du regard jusqu’à ce qu’elles disparaissent, me demandant qui elles étaient, comment elles s’y étaient prises pour… devenir.
August a quitté le Tennessee avec son père et son frère pour s’installer à Brooklyn dans les années 70. Son père originaire de New York a souhaité protéger ses enfants en les éloignant de leur mère. Cette dernière a des hallucinations et déclare parler à son jeune frère, décédé au Vietnam il y a plus de deux ans. Un soir elle se saisit d’un couteau et devient menaçante. Leur père leur dit que leur mère les rejoindra quand elle ira mieux. Le temps passe, les souvenirs de leur vie d’avant s’effacent et August concentre son attention sur ce groupe de filles, si sûres d’elles et élèves à la même école.
Les quatre amies deviennent inséparables. Différentes, elles partagent ensemble leurs chansons préférées, leurs rêves et leurs plus terribles secrets. Car la vie n’est pas facile pour une fille à cette époque. Brooklyn, en particulier le quartier de Bushwick est dangereux. Elles sont jeunes et ont la vie devant elles, mais cachent toutes un profond désarroi. Sylvia est origine de Martinique. Elle a les cheveux roux et les yeux clairs. Ses parents lui parlent en français et veulent le meilleur pour elle. Ils jugent sévèrement les Noirs américains. Angela est la plus discrète et disparaît lorsque sa mère est retrouvée assassinée. Elle est placée en foyer et ses amies perdent sa trace. Reste Gigi. La sublime Gigi. D’un père afro-américain et d’une mère d’origine asiatique, elle rêve d’Hollywood.
Si l’environnement est dangereux, leur amitié ressemble à toutes les amitiés que l’on peut connaître à l’adolescence. Je me suis rappelée en leur compagnie de nos sourires, de cette complicité si forte avec mes amies de l’époque. Cette impression d’être éternelle et d’avoir devant nous un chemin de réussit tout tracé. Je me souviens de nos fous rires, assises au fond du bus et de notre assurance. Jacqueline Woodson sait parfaitement transcrire ces sentiments comme la détresse d’August face à l’absence de cette mère et à l’arrivée d’une belle-mère autoritaire. Son père se convertit à l’Islam, à la demande de sa nouvelle compagne mais August refuse. Elle aime trop sa liberté. Les années passent et le temps les éloigne.
Un roman qui rend hommage à cette époque, à cette ville tout en racontant la perte de l’annonce chez ces jeunes filles. Je l’ai lu en une seule séance. J’ai vraiment aimé être en leur compagnie. Un très beau moment de lecture.
Le livre a été traduit en français sous le titre Un autre Brooklyn et publié chez Stock en 2018 puis en format Poche l’été dernier.
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Oneworld Publications, 2017, 192 pages
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