Je suis sans doute l’une des rares à ne pas avoir lu le livre ou vu l’une des adaptations cinématographiques. Il y en a eu une diffusée récemment sur Arte mais que je me suis refusée à la regarder. C’est en écoutant une booktubeuse française (oui!) que cet auteur est entré dans ma vie. Je souhaitais lire un autre de ses romans, introuvable après avoir fait trois librairies, quand j’ai trouvé celui-ci. C’était peu de temps avant le confinement. Et alors ?
Et comme je l’espérais, la rencontre a eu lieu. Je sais que l’auteur livre ici une satire terrible de son époque, des moeurs en cette France entre deux siècles, qui se dévore de l’intérieur par son antisémitisme et qui continue de perpétuer un mode de vie obsolète. En choisissant de nous livrer le journal intime d’une femme de chambre, Célestine, il en profite pour régler ses comptes avec les classes sociales, et en particulier la bourgeoisie.
Célestine a quitté sa Bretagne natale, des parents violents, pour la capitale. Plutôt jolie, la jeune femme a enchainé les postes de femme de chambre. Mais après plusieurs déboires, elle a du se résoudre à quitter Paris et a accepté un poste en province, en Normandie. Ce retour à la campagne la dégoûte, elle a pris goût à la vie frivole et intellectuelle de Paris, elles trouvent les Normands vulgaires et sales. Elle déteste sa nouvelle maîtresse qui la soupçonne immédiatement de voler et qui la renomme immédiatement Marie, car ils aiment donner le même prénom à tous leurs domestiques (sic).
J’adore servir à table. C’est là qu’on surprend ses maîtres dans toute la saleté, dans toute la bassesse de la nature intime.
Le portrait de cette bourgeoisie qui se permet ainsi de déshumaniser ses employés, d’entretenir une forme d’esclavage moderne sous des faux-semblants de compassion est saisissant et terrible. La jeune femme raconte ses nombreuses missions et si la maîtresse n’est pas folle, le maître n’a qu’une envie : la mettre dans son lit. On est très loin du pays des Droits de l’Homme et d’ailleurs nombre de ses employeurs sont des écrivains, des hommes de lettres à la réputation impeccable. Mais ils cachent tous des secrets.
Mais Célestine n’est pas une enfant de coeur, elle a appris très vite à jouer de ses charmes, à manipuler ses employeurs et les autres employés. Elle est sournoise et avide. S’agissant ici de son journal intime, elle ne cache rien de ses sentiments. J’ai noté tant de passages. J’ai découvert avec grand plaisir la plume d’Octave Mirbeau, dont le nom m’était familier mais l’oeuvre non.
Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles, et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture.
J’ai désormais envie de lire un autre de ses romans, plus subversifs, le Jardin des supplices.
Après avoir lu Mme S., j’ai retrouvé la même France antisémite et les propos des personnages sont tout aussi outrageants. Ici, on voit que la haine n’appartient pas qu’à une seule frange d’intellectuels abjects dont les feuilles de choux sont ignobles mais aussi au petit peuple qui accuse « les sales Juifs » de leur voler leur argent. J’ignore comment les Français de l’époque, de confession juive, pouvaient survivre au milieu de tant de haine, la presse les accusant presque quotidiennement de tous les maux de la terre. Octave Mirbeau a de suite rejoint liste d’auteurs français préférés. Et ils ne sont pas nombreux !
Je suis donc heureuse d’avoir lu un de mes objectifs du challenge En lire 20 en 2020 et surtout un classique de la littérature française. J’espère que ma prochaine lecture, dans ce genre, sera tout aussi un succès (Balzac, priez pour moi).
♥♥♥♥
Editions Le livre de Poche, 2012, 502 pages
25 commentaires
Lu il y a longtemps (et aimé!!!)
Tiens j’ai lu Je m’appelle Lucy Barton, alors là il me faut Olive, again (faire liste bouquins en VO pour commande en librairie)
oui ! une très belle découverte !
Si tu « attaques » Balzac, je te conseille (mais l’oeuvre est immense !) deux de mes favoris « La Duchesse de Langeais » et « Le Colonel Chabert » qui ont eu l’avantage de 2 adaptations tv réussies. J’ai étudié Balzac en fac, en long et en travers … si on peut dire… Bonne future lecture.
Merci ! J’ai peu entendu parler de ceux-là, on m’a plus vendu La peau de chagrin et un autre dont j’ai oublié le titre (la vallée …) mais je note ! Je me laisse du temps cependant (LC en octobre)
Tu me vois ravie de ton enthousiasme, j’avais adoré moi aussi cette lecture, et le personnage de Célestine. Du coup je viens de relire mon vieux billet, moins complet que le tien, puisque je n’y évoque quasiment pas ce contexte antisémite (et bizarrement, je ne me souviens pas vraiment de cet aspect) et je recopie ici la citation que j’avais choisi de mettre en exergue car elle me paraît très représentative de ce que tu écris, et rend parfaitement compte du ton, si mordant, du roman : « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. »
J’avais lu par la suite Le jardin des supplices, qui est très différent, cynique aussi mais d’une violence par moments à peine supportable. Et aussi Les 21 jours d’un neurasthénique, que j’ai beaucoup aimé, malgré sa narration un peu décousue (c’est dû au fait qu’il s’agit en réalité d’une compilation de textes que Mirbeau avait publié dans la presse), il est aussi drôle et cruel, non seulement pour la bourgeoisie, mais aussi pour la classe politique, le clergé, l’armée, le peuple (assez désespéré, si on y pense, ce Mirbeau !!).
P.S = j’ai bien noté la date du 29/09 pour le Haruf.
Bon début de semaine,
Merci ! Je me permets de te répondre, vu que ce matin l’accès distant à mon poste de travail ne fonctionne pas (vive le télétravail) – moi le contexte antisémite m’a marqué (les propos du fiancé de Célestine) – j’aime beaucoup ta citation !
J’ai commandé Le jardin des supplices (celui que je voulais lire en premier) et ses autres oeuvres. Oui, une vision pessimiste mais avec du mordant !!
Les classiques français et moi, ça fait deux malheureusement – trop de lectures imposées pendant mes études que je n’ai pas su apprécier. Mais si Mirbeau rejoint du premier coup (!) ta liste d’auteurs préférés alors que tu es si réfractaire à la littérature française, tout espoir n’est peut-être pas encore perdu pour moi! Je le garde à l’esprit en tout cas.
Ah que de mauvais souvenirs ou aucun, comme ce fut le cas pour moi (j’ai lu des auteurs mauvais à la place), c’est bizarre comme on peut être marquée par ces échecs. Heureusement, j’ai découvert de magnifiques lectures à la fac et avec le temps, je me dis que je dois faire confiance à la personne que je suis aujourd’hui ! J’espère donc que tu pourras passer ce cap et revenir vers les classiques français !
Une de mes meilleures lectures en 2019!
Concernant Balzac, j’ai écouté hier un live IG qui en parlait et Le père Goriot est le roman à lire si on ne doit lire qu’un Balzac, d’après une lectrice qui a tout lu de lui (3 fois!).
Oui, tu parles de Cunégonde ! Oui, elle a cité trois romans préférés et le Père Goriot comme le socle – je confirme Vautrin, de Rastignac .. je ne pensais pas apprécier autant cette oeuvre. Pour revenir à Mirbeau, j’ai adoré également. Même si le sujet est grave, j’aime bien son mordant.
Oui Cunégonde de la Haute ! Elle m’a convaincue de redonner une chance à Balzac. Mon aventure avec lui se limite à la moitié de La peau de chagrin. Je ne sais plus pourquoi je l’avais abandonné (ça fait trop longtemps) car j’aime bien le fantastique et le gothique à la sauce du XIXe siècle d’habitude. Pour Mirbeau, j’ai lu Le jardin des supplices avant Le journal d’une femme de chambre. La cruauté décrite dans Le jardin est beaucoup plus graphique et le message est moins évident. Ça reste une très bonne lecture et j’ai aussi envie de lire tous ses autres livres.
Pas de fantastique ici. Donc oui il faut lire Le Père Goriot. Pour Mirabeau je note !
J’ai connu ce livre via ses adaptations cinématographiques, sans l’avoir jamais lu. Ce que tu en dis m’intéresse beaucoup, je note si j’ai envie de découvrir un classique !
alors que moi je n’ai vu aucune adaptation cinématographique, du coup laquelle me conseilles-tu ? le roman te plaira je pense.
Tu pouvais bien rire avec mon engouement pour les auteurs français contemporain! Ton affection pour les auteurs français poussiéreux me laisse pantoise! Je rigole, là. (Balzac me tente bien, et « Une vie » de Maupassant!)
Poussiéreux ? Oh non. Les contemporains sont bien pires et ce n’est pas toi qui a étudié les classiques qui pourra dire le contraire. Ce n’est pas le même niveau (un Dubois ne tient pas la route 😂). Oui les deux sont différents mais leur portrait de la société est impressionnant. On est loin des crises de la quarantaine des personnages d’aujourd’hui 😆
Tu avances bien dans ton challenge d’en lire 20 en 2020 🙂
Je n’ai jamais lu ce titre mais j’ai vu l’adaptation avec Léa Seydoux et Vincent Lindon… je ne me rappelais d’ailleurs plus trop de l’histoire et ton billet m’a remis les pendules à l’heure.
du coup, le film ne t’a pas tant marqué que ça ? car j’étais tentée de le voir. Sinon, oui mon challenge avance mais j’ai encore beaucoup à lire ! là j’hésite à nouveau pour ma nouvelle lecture, mais je crois savoir !
Pas tellement de souvenir… Oups 😁
Curieuse de savoir que tu vas penser du Balzac! Avec moi ça ne passe pas, ma seule et unique rencontre avec cet auteur (Eugénie Grandet) m’a beaucoup refroidie, je ne suis pas prête de retenter l’aventure avec lui!
oh non ! Moi, du coup, ne l’ayant JAMAIS lu (contrairement à Stendhal), je n’avais aucun a priori. Je te laisse découvrir mon billet 🙂
J’ai tout lu tous les romans de Mirbeau, c’est vraiment un auteur que j’adore, même si c’est derniers textes (Dingo par exemple) empruntent une voie nouvelle pour l’époque proche de l’autofiction qui est assez déstabilisante.
je me doutais bien que tu l’avais lu ! j’ai hâte de découvrir ses autres écrits, un écrivain très peu étudié à l’école et pourtant !
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