Une lecture un peu à part, pour d’une part, continuer ma découverte d’auteurs de l’Europe de l’Est et en profiter pour participer au challenge Le mois de l’Europe de l’Est.
C’est par le plus pur hasard que j’ai découvert que le podcast Bibliomaniacs que j’écoute (;-) Eva) avait également mis ce livre au programme. Je venais de le lire, ayant décidé d’agrandir ma culture personnelle en lisant plus d’auteurs de l’Europe de l’Est (merci Jennifer!). J’en ai même lu un autre depuis.
Sándor Márai est un célèbre auteur hongrois, dont l’oeuvre fut interdite en Hongrie de 1948 jusqu’en 1990, un an après sa mort, avant d’être redécouvert par ses compatriotes. Les Braises, publié en 1942 avait été un succès mais la prise de pouvoir par les Soviétiques allait mettre au ban et forcer à l’exil cet auteur considéré comme bourgeois.
J’ai choisi de lire ce roman tout simplement car il est court (environ 220 pages) et le sujet m’intéressait. Nous sommes en 1942, la Hongrie n’a pas été encore envahie mais a pris parti pour le fascisme. Le Général vit seul dans son château, dans la forêt. Il n’occupe qu’une seule partie du château, depuis la mort de son épouse. Il est vieux à présent et n’attend que la mort. Lorsqu’on l’avertit de la venue de Conrad, son vieil ami. Les deux amis d’enfance ne se sont en fait pas revus depuis plus de quarante ans.
Conrad et Henri (j’espère ne pas me tromper, mais il est appelé Le Général tout du long du roman) sont devenus amis dès l’âge de douze ans et ont rejoint ensemble l’école d’officiers. D’un milieu modeste, Conrad est passionné de musique. Henri, est fils de Général, d’une grande famille riche. Sa mère française l’emmène passer ses étés en France. Les deux enfants se lient d’une amitié assez forte. Les années passent, et Henri tombe amoureux d’une amie d’enfance de Conrad qu’il épouse. Tous deux quittent Vienne pour rejoindre le château familial. Henri y invite souvent son ami pour des parties de chasse. Un soir, Conrad part et ne disparaît. Le lendemain, Henri se rend à Vienne et découvre qu’il a tout quitté pour l’étranger.
Quarante ans ont passé lorsque Conrad revient au château, Henri l’attendait. Pour se venger, dit-il. Les Braises réussit à résumer l’histoire d’un pays, qui n ‘a eu de cesse d’être envahi, découpé, décharné. Lorsque les deux jeunes hommes se rencontrent, la Hongrie fait partie de l’Empire Austro-Hongrois, ils ont prêté allégeance à l’Empereur même si les jeunes Hongrois regrettent le second rôle de leur patrie. Reste que l’Empire est grand et respecté, mais tout bascule avec l’assassinat de l’Archiduc en 1914 et la première guerre mondiale. Le pays agonisant, se voit soudainement diminué de deux-tiers par les pays vainqueurs. Conrad n’a plus de patrie, le dit-il et il finira par prendre la nationalité britannique. Henri continuera sa carrière d’officier avant de se retirer dans son château.
« Le temps est assassin » sied parfaitement à ce roman. Les deux amis, entament alors une très longue conversation au coin du feu. La nuit entière, ils remontent le temps et Henri peut enfin assouvir son désir. Au petit matin, lorsque Conrad s’en va, il ne reste plus que des braises dans l’âtre ..
Le style de l’auteur hongrois est très classique et on sent le poids du temps en lisant ce roman, mais il reste quand même passionnant. Je l’ai lu d’une traite, voulant savoir ce qui avait pu séparer ces deux amis. Lorsque le Général raconte son enfance, il raconte la rencontre des ses parents, lorsque son père avait confié à la jeune aristocrate française « Dans mon pays, les sentiments sont plus violents, plus décisifs ». Puis il s’étend sur cette enfance dans cette école où tous les enfants de l’Empire venaient étudier « enfants des palais tchèques, des garçons blonds comme des blés au petit nez retroussé, (..) venant de Moravie, des enfants des châteaux du Tyrol et de la verdoyante Styrie« .
En ces temps-là, Vienne et tout l’Empire austro-hongrois formaient comme une grande famille, dans laquelle Hongrois, Allemands, Moraves, Tchèques, Serbes, Croates et Italiens comprenaient que seul un Empereur était à même de maintenir l’ordre au milieu des désirs extravagants et des revendications passionnées de ses sujets.
Conrad, amateur de musique, était moins passionné et leur différence de classe, qui à l’époque n’avait jamais été soulevée, l’est à présent. Avec le temps, le Général a fini par comprendre que l’amitié folle qui les unissait, n’était peut-être pas aussi forte des deux côtés. Leurs échanges sont évidemment teintés d’une grande intelligence, tous deux reviennent sur l’amitié, les attentes, la trahison, mais aussi un évènement arrivé la veille lors d’une partie de chasse. La tension monte …
Bon, je note quand même deux propos très sexistes (la dignité n’appartient qu’au sexe masculin comme l’amitié d’ailleurs) qui n’ont donc pas bien vieilli mais reste une conversation magnifiquement relatée. Je ne veux pas en dire plus, mais je vous invite à découvrir cet auteur hongrois à votre tour !
♥♥♥
Editions Livre de Poche, A Gyertyák Csonkig Égnek, trad. M.et G.Régnier, 1942, 220 pages
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8 commentaires
Ah le voici, ce fameux roman hongrois ! Un huis-clos très habile en effet.. C’est avec ce titre également que j’ai découvert Marai, que j’ai depuis relu, avec toujours autant de plaisir.
oui – très bien écrit 🙂 tu as donc lu ses autres romans ? lequel est ton préféré ?
J’ai aimés tous ceux que j’ai lus, car ils sont très différents les uns des autres. L’héritage d’Esther se rapproche un peu des Braises par sa construction (quasi huis-clos et retrouvailles là aussi, entre un homme et une femme cette fois, avec jeu de séduction/manipulation), La nuit du bûcher évoque l’Inquisition et d’une manière plus générale sur le libre arbitre et la résistance aux dogmes. La conversation de Bolzano, enfin, livre une fiction qui s’inspire d’un épisode de la vie d’un Casanova vieillissant. Ils sont très bons tous les 3, à toi de voir le sujet qui t’inspire le plus. Et Marai a écrit tout un tas d’autres titres que je ne connais pas.. Eeguab est un grand lecteur de cet auteur, je te mets le lien vers l’index de son blog, tu trouveras plein de titres de Marai à la lettre M : http://eeguab.canalblog.com/archives/a_comme_auteurs_ayant_fait_l_objet_d_une_chronique/index.html
Bonne pioche !
merci ! j’ai entendu parler de l’Héritage d’Esther – je vais voir ! bon là je suis repartie chez les Cherokee 😉
Jamais lu l’auteur, mais ça pourrait être l’occasion (si c’est court) En 2022, cette année j’ai terminé le challenge!
super ! oui, court et très habilement raconté !
Il a tout pour me déplaire, ce roman! Non mais là, je ne suis aucunement tentée, pour faire changement!
oui, je ne pense pas qu’il soit pour toi, deux vieux messieurs sérieux qui discutent .. trop vieux pour toi LOL
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