A memoir of war, exile and return est le titre complet de ce récit autobiographique de Kenan Trebinćevič. Je ne pensais pas qu’un livre avait le pouvoir de vous renvoyer vingt ans en arrière et de vous faire revivre la terrible guerre en ex-Yougoslavie, et pourtant ce fut le cas avec ce livre.
Kenan a 11 ans. Ce garçon qui adore le karaté vient de remporter la ceinture marron. Il vit à Brcko en Bosnie avec son frère ainé, âgé de 17 ans et ses parents. Ces derniers ont une très bonne situation et son père est particulièrement apprécié par les habitants. Puis, soudainement, au printemps 1992, la guerre éclate et leurs amis, voisins ou partenaires deviennent du jour au lendemain leurs ennemis. Musulmans non pratiquants, ils deviennent la cible à abattre. Kenan est très marqué par son professeur de karaté, Pero, qu’il idéalise, lorsque ce dernier vient chez eux et pointe une arme sur eux en hurlant « vous avez une heure pour faire vos baggages ou vous êtes morts! ». Pendant plus de 18 mois, la famille va tenter de survivre et fuir à trois reprises sans y arriver. Un jour, le frère ainé et le père de Kenan seront arrêtés par la milice….
2011. Kenan vit à New-York, avec son frère et prend soin de son père depuis le décès de sa mère. Le jeune homme fréquente la communauté bosniaque et croate, croisant parfois des jeunes de son âge d’origine serbe, et malgré les années, les tensions persistent. Kenan et sa famille ont assisté aux accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en décembre 1995 alors que les Croates et Bosniaques musulmans reprenaient, selon eux, le dessus. Ils sont furieux contre cet accord qui a mis fin à la guerre et divisé leurs pays. Malgré tout Kenan se sent désormais Américain et n’a nullement l’intention d’aller en Bosnie, même pour voir sa famille. Mais son père, victime d’un AVC, décide d’y retourner. Ses amis le font, il veut revoir sa famille, le temps a passé. Kenan s’y oppose fermement mais son frère le persuade de l’accompagner. Tous les trois s’envolent vers la Bosnie…
Kenan a préparé une liste de choses qu’il veut faire là-bas, sa liste de vengeance personnelle : aller pisser sur la tombe de Pero, mort pendant la guerre, aller trouver sa voisine qui est venue les piller de toutes leurs affaires, voir le camp de concentration où son père et son frère furent enfermés, etc. Kenan a la rage. Et je l’ai ressentie ! Il est à fleur de peau, et le récit est tellement fort, on sent toute la tension en lui.
Mais son voyage là-bas va lui apporter beaucoup plus que la vengeance et Kenan va apprendre à faire face et à faire le deuil de son enfance. Rarement un livre ne m’aura autant troublé ! On ressent toute la rage et l’impuissance de Kenan mais aussi le chemin qu’il fait en apprenant la vérité, en réalisant la chance qu’ils ont eu et en comprenant soudainement tout le soutien et l’aide qu’ils ont reçu de la part de leurs supposés ennemis, les Serbes . Reste le récit des atrocités commises sur ses amis, voisins ou familles. Les histoires sont éprouvantes. J’ai adoré son père et son frère, des hommes très sages.
J’ai beaucoup aimé ses retrouvailles avec sa cousine même s’il m’a manqué juste une chose : Kenan et sa famille ont réussi à partir et n’ont pas vécu les 3 ans de guerre et ni les années de reconstruction derrière, où l’on croisait son ancien tortionnaire au coin de la rue et il ne mentionne jamais cette chance. Heureusement sa cousine lui fait comprendre qu’elle et sa famille, eux, sont restés. Comme lorsqu’il vante l’Amérique idéale, où chacun est selon lui respecté et peut réussir – je trouve son discours bien candide quand on connaît la réalité des choses. Mais Kenan a besoin de leur prouver quelque chose à ce moment-là.
Une lecture particulièrement touchante, qui m’a rappelée des souvenirs personnels et prouve une nouvelle fois que personne ne sort gagnant d’une guerre civile.
♥♥♥♥
Editions Penguin, 2014, 320 pages
Photo by Omer Nezih Gerek on Unsplash (photo : la ville de Mostar)
5 commentaires
Tu me donnes très envie. Je n’ai jamais lu de livre sur cette guerre et pourtant je connais beaucoup de personnes établies chez nous qui l’ont vécue. Je vais le commander.
Oui, il est très touchant – c’est un voyage difficile pour ce jeune homme mais tellement important. Cette guerre était si proche de nous.
J’aime beaucoup la non fiction et les récits autobiographiques, d’autant plus lorsqu’il y a une dimension historique. Je le garde donc à l’esprit.
Oui, ici on replonge dans un passé douloureux, peu glorieux pour l’union européenne !
Moi, je veux lire Olive!
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