C’est une longue histoire, mais je suis en train de lire un roman croate primé Prix de littérature de l’Union européenne .. en anglais. Je recherche ce livre en français et je ne trouve aucune traduction, sauf en allemand, italien, anglais, espagnol.. mais que fait la France ? Me voilà prête à incendier les éditeurs français lorsque par hasard, en allant dans un centre culturel où je n’ai jamais mis les pieds, je tombe sur un roman serbe avec le bandeau « Prix de littérature de l’Union Européenne 2014″…
Et là je découvre la maison d’éditions Bleu & Jaune et leur fabuleuse envie et décision de traduire des romans européens rarement traduits en français (UE : 26 pays mais seulement 6 langues régulièrement traduites par les grands éditeurs), dont les fameux récipients du Prix de Littérature européenne. J’avais déjà vu un documentaire sur ce prix il y a deux ans sur Arte et j’avais voulu trouver les livres, et à l’époque, impossible. Heureusement, les éditions Bleu & Jaune publient 4 lauréats en 2021, dont ce roman serbe. Je me suis empressée d’acheter un autre, et les deux autres vont suivre (le quatrième sort en novembre). Je ne connaissais pas Uglješa Šajtinac, romancier serbe de la nouvelle génération.
C’est sous la forme épistolaire que nous suivons deux frères, qui communiquent par mail, le plus âgé refusant d’installer Skype. Nous sommes en 2010. Le réfractaire, c’est l’ainé, il a neuf ans de plus que son petit frère, dramaturge dont le succès vient de le mener aux Etats-Unis, loin de la Serbie minée par la crise économique. Son frère ainé est un chauffeur de camionnette et mène une vie très simple. Les deux frères n’ont jamais été très proches, et cette correspondance va leur permettre d’échanger réellement sur leurs sentiments, leurs perceptions respectives. Ainsi le plus jeune avoue être en admiration devant ce frère ainé, revenu détruit de 3 semaines de guerre (le conflit d’ex-Yougoslavie), qui a abandonné ses études et depuis enchaîne les petits boulots. Il revient rarement à la maison, où son père prof d’histoire et sa mère lui font trop sentir la réussite du plus jeune.
Simplement à vivre comme si nous étions deux oiseaux qui se seraient posés ic pour souffler et rien d’autre
Le grand frère se confie alors sur ses échecs, sur son immobilité depuis la guerre, son incapacité à oublier le passé. Mais aussi sur son enfance, contrairement aux plus jeunes, il a été confié à ses grand-parents et n’a donc jamais développé de réel attachement avec ses parents, même si aujourd’hui il s’en occupe. Aujourd’hui, son jeune frère est en Amérique où tant de Serbes sont partis après la guerre chercher une meilleure vie. Le roman aborde ainsi le contraste entre ce pays d’Europe de l’Est, condamné pour ses crimes et dont les habitants continuent de porter le fardeau vingt ans après et l’Occident, vainqueur.
J’ai vraiment aimé leurs échanges, la complicité qui se dégage peu à peu, les souvenirs familiaux et collectifs qui parcourent le récit et la tournure surprenante de la fin du roman. J’étais bien en leur compagnie. Une très jolie surprise.
C’est un cadeau que d’être modeste, un cadeau que d’être libre
Cette lecture rejoint mon challenge personnel de lire plus d’auteurs de l’ex-Yougoslavie. Evidemment, ayant des amis Bosniaques et Croates, je note dans ce récit (dont l’action se passe en 2010) le ressentiment qui perdure et surtout cet héritage culturel (transmis par le père, historien) qui semble miner la vie de l’ainé, en lui faisant croire à un paradis perdu. Je ressens aussi toute la douleur d’un peuple.
♥♥♥♥
Editions Bleu & Jaune, Sasvim skromni darovi, trad. Alain Cappon, 2021, 172 pages
12 commentaires
Il m’a l’air très intéressant ce roman. J’attends maintenant ton billet sur le croate…
Eva et Patrice organisent en mars le Mois de l’Europe de l’Est, ce rendez-vous tombe plutôt bien pour toi 🙂
Ah oui j’allais oublier du coup je vais peut-être mettre de côté certaines chroniques ? sinon, oui il est très intéressant, c’est bien d’avoir une vision du côté des perdants et puis la relation épistolaire permet à ces deux frères de se dire des choses qu’il n’aurait jamais sans doute osé dire de vive voix 🙂
Il m’a l’air très intéressant ce roman. J’attends maintenant ton billet sur le croate…
Eva et Patrice organisent en mars le Mois de l’Europe de l’Est, ce rendez-vous tombe plutôt bien pour toi 🙂
j’ai l’impression d’avoir déjà vu ce commentaire 😉
Désolée pour le doublon, ton blog tourne au ralenti aujourd’hui et met un temps fou à charger – je pensais que mon premier commentaire n’était pas passé.
oui j’ai eu des soucis avec mon blog ces jours-ci mais ça a l’air d’aller mieux 🙂
Donc, une déception et une belle découverte, ce n’est pas si mal comme résultat!
Excuse-moi pour l’auto-promotion qui va suivre, mais en 2019 j’avais fait un article récapitulant les auteurs « de l’Est » récipiendaires du Prix de littérature de l’Union Européenne et disponibles en francais. Il faudrait que je le mette à jour… celui-ci n’y est pas, par exemple.
https://passagealest.wordpress.com/2019/05/08/actualite-du-mercredi-un-coup-doeil-chez-nos-voisins/
Ca te donnera peut-être d’autres idées! Et sinon, ne désespère pas pour la version française – à mon avis, ça va finir par arriver.
merci, je note ! je peux lire en anglais du coup j’achète en anglais si je peux .. apparemment, le français n’est jamais une langue traduite immédiatement
Il m’intrigue, celui-là. Tu m’en avais si bien parlé…
Oui ! J’ignore si tu peux trouver cette maison d’édition de ton côté de l’Atlantique ? sinon, dis-le moi !
Je crois n’avoir jamais lu de roman serbe et la découverte de celui-ci est tentant. Côté croate, j’avais adoré récemment Miracle à la combe aux aspics d’Ante Tomic, une lecture décapante et bourrée d’humour.
Je le note merci ! je connais de nom Ante Tomić. Oui, peu de romanciers serbes et celui-ci est vraiment bon en plus !
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