Concerning my daughter · KIM Hye-jin

par Electra
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J’ai découvert ce roman par hasard – apparemment il a connu un beau succès Outre-Atlantique et j’ai craqué en lisant la quatrième de couverture. Lorsqu’une mère de famille accepte que sa fille, trentenaire, revienne vivre à la maison, elle sait ce qu’elle lui souhaite depuis toujours : une bonne situation, et encore mieux un bon mari avec un bon travail et des petits-enfants à venir. Mais lorsque sa fille, Green, arrive accompagnée de sa petite amie, Lana, sa mère voit tous ses rêves s’envoler. Elle ne peut accepter que sa fille entretienne une relation avec une autre femme. Les traditions passent en premier : le mariage et les enfants.

Perturbée, la mère continue parallèlement son travail d’aide-soignante dans un EHPAD. Elle prend particulièrement soin d’une femme âgée atteinte de démence. Cette dernière n’a plus de famille, a voyagé à travers le monde en tant que diplomate, et a choisi de ne pas avoir d’enfant. Lorsque son employeur lui demande de plus s’occuper autant d’elle, elle refuse cet état de fait et va mettre en péril son poste. Obnubilée par la relation homosexuelle de sa fille, elle reste totalement enfermée dans ses préjugés. Elle n’arrive pas à accepter la présence de cette autre femme, ne voyant qu’une copine et non une compagne. Les relations se tendent et finissent par exploser.

She is throwing at me this problem that other parents never, ever have to trouble themselves with for as long as they live, coercing me and bullying me to get over it.

Cette mère (sans nom) a grandi dans un pays où personne ne se faisait remarquer, que sa fille participe en plus à un mouvement de grève à l’université pour défendre des professeurs gays renvoyés, la rend folle. Pourquoi se mêle-t-elle de choses qui ne la regardent pas ? Sa mère le dit : nous étions élevés pour détourner la tête lorsque ce genre de choses arrivaient. Et on obéissait à nos parents. Qu’importe que sa fille a la trentaine, elle ne veut la voir que comme une enfant de deux ans obéissante. Impossible de voir la relation d’amour qui unit ces deux femmes depuis sept ans. Elle a beau reconnaître que Lane est celle qui fait tout, la cuisine, le ménage et supporte financièrement leur couple. Qu’importe. L’homosexualité lui est abominable. Elle ne peut prononcer ce mot. Et craint le regard de son entourage, de ses voisins.

I was born and raised in this culture where the polite thing to do is to turn a blind eye and keep your mouth shut.

J’ai eu mal pour Green et Lane tant parfois les propos de la mère de Green sont d’une violence inouïe. Elle préfèrerait presque sa fille morte et menace de la mettre à la porte si elle continue de fréquenter Lane et refuse de se marier avec un homme. Même si je sais qu’en France, certains parents continuent de rejeter leurs enfants homosexuels, j’ai quand même trouvé les propos tenus plus violents et archaïques. Mais nous sommes en Corée du Sud où le pays est très traditionaliste (comme évoqué dans Almond : a novel) et où les minorités sont très peu représentées et où l’image de la famille est sacrée et passe avant le bonheur des siens. Je savais que la pression sur les enfants de faire d’excellentes études et le harcèlement font partie de la société coréenne (le plus fort taux de suicide des jeunes au monde), mais je suis toujours étonnée par la violence des parents envers leurs enfants.

Peu à peu, alors que sa vie calme et paisible s’effondre, cette femme finit par prendre conscience qu’elle aime sa fille et que son attitude n’est peut-être pas la bonne, et même si parfois elle a envie de le dire à sa fille, elle avoue en être incapable. Incapable de mettre des mots sur ses sentiments. Enfermée dans son carcan de traditions. Un livre fort, brut et qui montre comment une société peut enfermer les gens. 

Le livre a été traduit en français aux éditions Gallimard en 2022 sous le titre A propos de ma fille.

En aparté : cette pensée a traversé mon esprit quand je rédigeais mon précédent billet et j’ai voulu en parler. En premier lieu, oui, j’ai enchaîné la lecture de 5 livres écrits par des Sud-coréens. Pourquoi ? Sans doute parce que j’apprends la langue, que je regarde beaucoup de séries coréennes et que j’ai toujours envie d’en apprendre plus à travers leurs écrits. Pourquoi les lire en anglais lorsque certains sont déjà traduits en français ? Parce que, je l’avais déjà dit pour des romans russes, je préfère souvent la version anglaise à la version française. Trop francisée. A part les éditions Babel, les autres éditeurs n’hésitent pas à franciser les noms, les inverser (en Asie le nom de famille vient toujours en premier et les prénoms sont très rarement utilisés), du coup je trouve que les éditeurs français effacent une part de la culture du pays. Et sinon, cela me permet de continuer à lire en anglais, ce que j’adore faire.

♥♥♥♥

Editions PAN MaCMILLAN,trad. Jamie CHANG, 2023, 176 pages

Photo de Airam Dato-on sur Unsplash

 

Et pourquoi pas

7 commentaires

keisha 11 août 2023 - 12 h 43 min

Merci pour ton explication sur les différentes de traduction selon la langue.

Electra 11 août 2023 - 16 h 10 min

de rien ! je sais que je peux apparaître comme « chi… » mais chez les Coréens ou les Russes, leur culture transparaît énormément avec ce genre de détails. C’est comme si nos plus fameux personnages de littérature française voyaient leurs noms entièrement changés, or ils sont conservés en version anglaise. Je comprends parfois la démarche du traducteur (par exemplaire en Corée, on s’appelle beaucoup plus par notre fonction / emploi / grade ou même relation (oncle, tante, frère) que par les prénoms. Ca peut choquer mais ça exprime aussi toute cette hiérarchie et ces formes de politesse multiples qui conditionnent les relations sociales dans ce pays.

Autist Reading 11 août 2023 - 16 h 57 min

Ce que tu dis des préjugés et de l’attitude de la mère envers la relation de sa fille me rappelle celle d’une autre mère, Japonaise celle-ci, celle du protagoniste de « Memorial », de Bryan Washington.
Je ne sais pas de quoi il retourne avec la mère de Green, mais la mère de Mike arrive à se racheter de son comportement odieux et de ses propos blessants.

Electra 11 août 2023 - 17 h 03 min

Hello ! Je n’ai pas lu Memoriam et j’avais envie de le lire. Tant mieux si elle se rachète, celle de Green bascule plus dans le silence, mais est incapable de parler à sa fille. C’est terrible. Mais au fil de ma lecture, j’ai fini par avoir un peu d’empathie pour elle, mais je trouve étrange qu’elle reste coincée dans ce carcan culturel.

Sunalee 12 août 2023 - 9 h 47 min

J’avais déjà croisé ce roman quelque part, sans le rajouter à ma PAL, maintenant, c’est chose faite. Tu me fais juste hésiter: le lire en français ou anglais.
Tes commentaires sur les traductions sont intéressants. Lassée par les traductions très froides du japonais en français, je me suis récemment tournée vers celles en anglais, et j’ai l’impression que ça passe bien mieux. Je n’avais pas encore fait attention aux choses que tu cites comme les noms. J’ai lu un article à ce sujet, si je le retrouve, je le rajouterai ci-dessous.

Electra 14 août 2023 - 10 h 43 min

Ah merci ! Oui, en voyant la version française pour The Convenient Store Woman j’ai su que je ne pouvais le lire en français, de plus le Japonais et le Coréen n’ont de grammaire genrée (masculin/féminin) et ça passe mieux en anglais qu’en français.
Mais pour avoir lu beaucoup de livres anglais dans ma jeunesse en français, il y a de très bons traducteurs – je pense parce que nos langues sont plus proches. Mais certains traducteurs et éditeurs arrivent à traduire de manière excellente, il faut être prêt à faire confiance au lecteur plutôt que vouloir s’adapter à la culture française.

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