How we survived communism and even laughed · Slavenka Drakulic

par Electra
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Revenant d’un voyage en Suisse en compagnie de mon amie bosniaque, où nous avons pas mal échangé sur notre rencontre initiale (amies depuis deux décennies) et sur son histoire personnelle, la guerre en Bosnie et son attachement à la Croatie, j’ai eu envie de continuer à lire la grande Slavenka Drakulić.

Cette célèbre journaliste croate avait écrit Café Europa que j’ai dévoré il y a un an et qui évoquait déjà ce sujet : les pays de l’Est après le communisme. Ici, la journaliste revient plus sur le « pendant », cette période d’après-guerre jusqu’à la toute fin des années 80 et le début des années 90. Comment ces habitants, polonais, hongrois, bulgares, roumains ou croates ont survécu à ces années de communisme.

The same kind of logic idealizing the past : we didn’t have anything, but we were still happy. It was a lie and I was participating in it.

Et le résultat est là : dans ce recueil d’articles, aux sujets multiples, la journaliste met en avant les femmes et comment elles ont du apprendre à faire face aux continuels manque de nourriture, produits hygiéniques, détergent ou aux coupures d’électricité. A l’absence également de papier toilette .. Même le lait a disparu des étals pendant plusieurs mois en Pologne. Le marché noir avait de beaux jours devant lui. Comment faire face à cette économie incapable de planifier les besoins de la population ? Rappelez-vous leurs fameux plans quinquennaux. De l’autre côté du mur, on ne voyait rien, à part les immenses défilés militaires du 8 mai. Des appartements bourgeois transformés en 4 appartements communautaires, où une seule famille avait accès à la salle de bains .. L’autrice raconte ses souvenirs et fait témoigner des femmes de plusieurs pays.

Measurements are strange in Eastern Europe, invented for the practice of constricted living, and one has to adapt to them. (..) Jadiwiga’s ex-husband is now living in his mother’s apartment, too – except that he was lucky. She died.

Ce qui m’a impressionné dans ce recueil datant de 1992 c’est que Slavenka Drakulić aborde déjà l’écologie et le développement durable. En expliquant que les femmes étaient déjà les reines du recyclage (alors qu’à l’époque, en Occident, on achetait tout en neuf et on jetait sans compter, souvenez-vous…) que ce soit les collants, les pots en verre .. Tout était gardé, recyclé ou transformé. Il y avait toujours la peur du manque. L’article sur l’absence de papier toilette a marqué la journaliste enfant. En allant chez un camarade de classe dont la famille était riche, elle avait vu pour la première fois du papier toilette rose, doux au toucher. Il venait d’Autriche. Contrairement à leurs frères communistes, les Yougoslaves avaient le droit d’aller en vacances en Italie ou en Autriche. Elle raconte comment elle, enfant, rêvait devant nos étals pleins, devant nos jouets (l’histoire de cette poupée achetée en Italie est excellente) mais qu’à leur retour, le coffre était rempli de papiers toilette et de produits détergents…

An apartment was a metaphysical space, the only place where we felt a little bit more secure. It was a dark cave into which to withdraw from the omnipresent eyes of the state.

Elle explique ainsi ce sentiment d’infériorité face aux autres pays européens (France, Allemagne…). Loin de l’image de l’URSS forte et unie, elle explique ce sentiment perpétuel d’être écouté, surveillé. L’individualisme était l’ennemi du peuple. Tout devait être su, partagé. L’intimité oubliée. Elle se souvient des vêtements identiques, du maquillage trop fort, de cette coloration de cheveux vendue une année en Pologne qui avait tourné à l’orange et touché des milliers de femmes. Elle parle de Budapest, ville aujourd’hui magnifique et restaurée (j’y étais en mars, je confirme), mais à l’époque, les façades étaient noires, les rues sales, les monuments décrépis.. Car la population avait été totalement déresponsabilisée : l’Etat faisait tout. Plus de propriétaires, plus de sentiment de responsabilité.

« It takes thirty dumb animals to make this fur coat, and only one to wear it ». (…) « Yes, I remember but I don’t think you can apply First World ecological philosophy to Third World women ». (..) It seemed to me that asking for post-consumer ecological consciousness in a poor, pre-consumer society was nothing but an act of the totalitarian mind. We do live on the same planet, I thought, as his voice faded away, but not in the same world.

Le recueil est passionnant du début à la fin, j’ai souligné une cinquantaine de phrases. Ce recueil ouvre aussi les yeux sur l’attitude de la France et le regard des européens occidentaux après la chute du mur de Berlin. Qui sont ces personnes qui portent encore des manteaux de fourrure (l’article dédié est passionnant) et se maquille outrageusement ? D’où vient ce « mauvais goût » ? N’est-ce pas une forme d’affront au parti politique en place, qui ne veut voir qu’une masse d’ouvriers sympathisants et exècre toute forme d’individualisme ? Parce que, la journaliste le dit, ils vivaient tous à la limite du seuil de pauvreté, ils ne le savaient pas tout simplement. C’était leur mode de vie.

They are overdressed, they put too much make-up, they match colors and textures badly, revealing their provincial attempt to imitate Western fashion. But where could they learn anything about a self-image, a style ? (..) To be yourself, to cultivate individualism in a mass society is dangerous. (…) Make-up and fashion are crucial because they are political.

Près de trente ans plus tard, ce recueil n’a pas pris une ride. Il a été traduit en français sous le titre Les restes du communisme sont dans la casserole en 1992 (pas facile à trouver, plus en médiathèque).

♥♥♥♥

Editions HarperPerennial, 1992, 200 pages

Photo de Pavel Neznanov sur Unsplash

Et pourquoi pas

6 commentaires

LamartineOrzo 15 août 2023 - 9 h 10 min

Pour moi, tout ce que semble décrire cette journaliste ce ne sont pas les conséquences du communisme mais celle du stalinisme qui a écrasé toute forme de rébellion et dont la bureaucratie s’est approprié tous les biens matériels de enus inaccessibles pour le commun des mortels…

Electra 15 août 2023 - 11 h 44 min

Oui mais le Stalinisme a laissé place au communisme, et le Stalinisme a tué des millions de personnes alors que le communisme s’est installé dans les pays de l’Est après la seconde guerre mondiale et a implémenté cette politique pendant plus de cinquante ans. Staline est mort en 1953 et la journaliste raconte les années post-guerre et surtout en ex-Yougoslavie qui avait, contrairement aux autres pays, l’autorisation de voyager d’où cette dualité. Mes amis bosniaques parle toujours des communistes, jamais de Staline. Staline a laissé des millions de morts (famine et guerre), mais les communistes ont été plus malins, ils n’ont pas tué par milliers ou utilisé la terreur comme Staline, mais ont insidieusement , au fil de sans, contrôlé et ôté toute forme d’individualisme. C’est le sujet de ce livre.

Eva 15 août 2023 - 9 h 21 min

Cet ouvrage a l’air passionnant, je note!
C’est un plaisir de retrouver tes articles !!

Electra 15 août 2023 - 11 h 44 min

Merci ! Oui, je suis de retour 🙂

Sunalee 15 août 2023 - 12 h 49 min

J’ai commencé à m’intéresser récemment aux anciens pays du bloc de l’est par l’intermédiaire de l’architecture. Et puis j’ai voyagé en Géorgie et lu Nino Haratischwili, qui raconte le communisme dans se fresque familiale.
Une amie polonaise me racontait aussi comment tout manquait dans les années 1980…

Electra 15 août 2023 - 15 h 46 min

Oui, c’est passionnant. J’ai étudié toute cette histoire à la faculté, car j’étudias le russe et la civilisation russe. Du coup, je me suis toujours passionnée pour les pays de l’ancien bloc soviétique et ceux qu’ils sont devenus. J’adore ses essais (articles) car à travers des choses insignifiantes pour nous, elle réussit à décrire tout un pays, et comment ils ont été peu à peu muselés et dépossédés de leur libre arbite.

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