Je peux compter sur une seule main le nombre de livres mexicains lus. J’ai croisé ce court roman en regardant à nouveau une vidéo d’un lecteur assidu américain. Je ne connaissais pas Yuri Herrera mais le sujet de l’histoire et les critiques dithyrambiques à son égard m’ont poussé à l’acheter.
Makina est une jeune femme mexicaine débrouillarde. Elle prend soin de sa famille et vit de petits trafics. Son frère ainé a réussi à passer la frontière, en promettant de revenir. Il était persuadé avoir hérité d’un bout de terre du côté des Anglo. Mais depuis, il ne donne presque plus aucun signe de vie. Makina décide de traverser la frontière à son tour. Un trafiquant local lui confie un paquet, un autre lui trouve un passeur côté mexicain et côté américain.
La jeune femme embarque donc une nuit et nous suivons sa lente et dangereux traversée. Mais pour l’auteur mexicain, cette traversée est synonyme d’une multitude d’expériences. Le monde change, la langue change, les corps changent … Comme l’écrit si bien P.T Smith, un journaliste : « c’est un roman sur la langage, destiné à être traduit car il est conscient des voyages qu’entreprend le language, d’une langue à une autre, à l’intérieur de leurs propres frontières ».
L’auteur possède une prose magnifique, presque épique dans ce voyage qu’entreprend cette jeune femme. Un voyage initiatique qui va profondément changer la jeune femme. Elle, si sûre d’elle, à son départ, va voir ses convictions être bousculées. Certains passages sont magnifiques, comme le court texte qu’elle rédige lorsqu’elle est arrêtée à la frontière. Car une fois de l’autre côté, elle a réalisé que son peuple est bien présent, mais invisible. Le hasard a fait que j’ai vu un comédien américain décrire parfaitement la situation : ces patriotes américains qui refusent qu’on parle espagnol dans cette bourgade du Texas qui s’appelle Santa Rosa de Las Cruces … Invisible à l’oeil nu, pourtant ils font le ménage chez vous, ils entretiennent vos rues, vos parcs, vos voitures, vous nourrissent dans leurs restaurants, etc.
I’m dead, Makina said to herself when everything lurched: a man with a cane was crossing the street, a dull groan suddenly surged through the asphalt, the man stood still as if waiting for someone to repeat the question and then the earth opened up beneath his feet: it swallowed the man, and with him a car and a dog, all the oxygen around and even the screams of passers-by. I’m dead, Makina said to herself, and hardly had she said it than her whole body began to contest that verdict and she flailed her feet frantically backward, each step mere inches from the sinkhole, until the precipice settled into a perfect circle and Makina was saved. Slippery bitch of a city, she said to herself. Always about to sink back into the the cellar.
Ce roman est rempli d’imageries, parfois émouvantes, parfois tragiques. Lire ce court roman est une expérience unique. Un expérience qui peut parfois vous bousculer. Ce que j’ai aimé, en plus de la prose, c’est la description de la puissance, tel un aimant, des USA sur son pays voisin. L’auteur présente ici une vision sombre et presque mythologique de l’Amérique à travers le regard d’une migrante, de celle qu’on rejette.
Je viens de lire en préparant ce billet que cette histoire reprend celle d’un mythe Aztèque.
Le roman a été publié en français chez Gallimard en 2009 sous le titre Signes qui précéderont la fin du monde (drôle de choix de conjuguer le verbe au futur, car les signes sont déjà présents…).
♥♥♥
Editions And Other Stories, 2015, trad. Lisa Dillman, 114 pages
Photo de Andrés Sanz sur Unsplash
12 commentaires
Je suis très intéressée, pour le futur mois latino de février, et parce que j’ai moi aussi peu de mexicains sur mes étagères.. mais pourquoi seulement 3 étoiles ?
Bonne question ! je pense simplement parce que je ne l’ai pas lu tranquillement, d’une traite, et je n’avais pas la tête à ça – ma faute. Car si je compte la prose, le style, je lui mets 4 étoiles !
Ce serait chouette qu’il soit traduit en français… je ne note plus de livres en VO, j’en ai déjà quelques-uns qui m’attendent depuis une éternité !
Il l’a été, je le précise à la fin (chez Gallimard, en 2009) mais ils pourraient de nouveau le traduire car aux USA, il a connu un beau parcours avec cette dernière édition !
J’ai une parution en français de 2014 aussi, toujours chez Gallimard : https://www.mollat.com/livres/200743/yuri-herrera-signes-qui-precederont-la-fin-du-monde
ah merci ! toujours le même éditeur 🙂
Oups, je n’avais pas vu ! 🙂
J’ajoute que j’aime beaucoup la photo que tu as choisie pour illustrer.
merci ! elle est très belle ! Pas grave, je lis aussi parfois un peu trop vite un article et je laisse un commentaire trop vite 🙂
Ooh je note ! J’avais fait un book trip mexicain l’année dernière, couronné par un vrai voyage au Mexique, et je continue à m’intéresser de près à la littérature mexicaine.
oh quelle chance ! Je lis aussi souvent des romans du pays que je visite, du coup celui-ci te parlera évidemment !
Je le note pour le mois latino. Par contre, je préfère quand même lire le roman en Français puisque l’auteur écrit en Espagnol,
Oui ! Je serais curieuse de voir la version originale car lorsqu’elle passe de l’autre côté, elle parle Anglo. J’espère que tu trouveras l’édition de Gallimard facilement !
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