Oui, j’étais déjà fan de HAN Kang sans avoir lu son roman le plus célèbre, publié en 2007 et traduit en 2016 par Deborah Smith, The Vegetarian (La Végétarienne). Il était donc grand temps de me plonger dans la lecture de ce roman très particulier.
Les avis divergent sur ce récit, mais pour moi, il ne s’agit clairement pas d’un roman sur le végétarisme – qui n’est que le symptôme du mal être qui dévore l’héroïne du roman, Seong-hye. Le fil conducteur de la vie de cette jeune femme coréenne est la toxicité masculine – celle de son père, un homme alcoolique et violent puis de son mari, un homme froid et calculateur. Seong-hye a été choisie par cette homme, qui ne voulait pas d’une femme trop belle, ni trop laide – une femme obéissante qui l’attendrait chaque soir, la paire de chaussons à la main et le repas prêt à être servi.
The passive personality fo this woman in whom I could detect neither freshness nor charm, or anything especially refined, suite me down to the ground.
Le début du roman, avec les réflexions sexistes de son époux m’ont tout de suite choquée – le roman date de 2007 mais pourrait se passer aujourd’hui. Lorsqu’elle annonce du jour au lendemain son choix de ne plus manger de viande (elle ne se déclare jamais végétarienne), celui-ci s’en accommode, mais pas de l’arrêt de leur vie sexuelle. Sa seule explication à ce choix drastique est un rêve qu’elle a fait. Elle ne le raconte à personne, sauf au lecteur. La viande qu’elle rejette représente pour moi la société patriarcale qui l’étouffe. Les femmes n’occupent qu’un second rôle dans la société coréenne carnivore. Pour adorer la nourriture coréenne et en manger plusieurs fois par semaine, je sais que la viande a une importance cruciale. Le boeuf coréen est un plat cher que l’on offre comme un cadeau de haute valeur à ses employés ou sa famille. En refusant de manger de la viande, la jeune femme rejette cette société sexiste.
Partant de cette décision brutale de Seong-hye, HAN Kang dresse par la suite le portrait de son beau-frère et celui de sa soeur, In-hye. Elle livre une image peu flatteuse des hommes qui peuvent se permettre d’exaucer leurs désirs inavouables et d’utiliser les femmes comme un défouloir sexuel sans avoir à travailler. Tout repose sur les épaules des épouses, toujours prêtes à tout faire. In-hye, en devant soudainement s’occuper de sa soeur cadette et s’occuper seule de son fils, va réaliser ainsi que depuis son enfance, elle ne vit jamais réellement. Elle survit. Faisant passer les désirs des autres avant les siens. Oubliant sa propre vie.
As a daughter, as an older sister, as a wife and as a mother, as the owner of a shop, even as an underground passenger on the briefest of the journeys, she had always done her best. (…) The feeling that she had never really lived in this world caught her by surprise. It was a fact. She had never lived.
HAN Kang livre ici un portrait féroce de la société coréenne, et en particulier une vision très sombre des rapports hommes-femmes. Ces dernières n’ont d’autres solutions que de cesser d’exister pour ne plus subir. Ce fut mon interprétation de ce roman parfois dérangeant, mais maîtrisé de A à Z où j’ai retrouvé la plume magnifique qui m’avait totalement emportée en lisant sa nouvelle, puis ses essais.
En lisant pas mal de commentaires de lecteurs, j’ai vu que certains étaient restés au débat sur le végétarisme (?) ou avaient trouvé le roman trop cru avec les quelques scènes de sexe. Mais l’autrice a pour moi voulu illustrer le propos sur la violence que subisse les femmes en général. La descente en enfer de l’héroïne est touchante et dérangeante, car rien ne semble pouvoir la sauver. J’avais lu qu’étudiante, HAN Kang était obsédée par un poème de Yi Sang qui disait « I believe that humans should be plants « Ici, cette phrase prend tout son sens.
Sister… all the trees of the world are like brothers and sisters.
Si vous aimez être bousculé, dérangé mais aussi emporté, alors lisez The Vegetarian. Il me reste encore deux ou trois romans à lire d’elle. J’ai hâte de la retrouver. Mais entre chaque lecture, une pause s’impose.
♥♥♥♥
Editions Granta, trad. Deborah Smith, 2018, 185 pages
Photo de Kyle Mackie sur Unsplash
30 commentaires
Etant végétarienne avec une fille vivant en Corée, je ne pouvais que lire ce roman. Ma lecture a plus tourné autour du corps féminin et de son affirmation, de la place qu’il tient dans la société coréenne. Je te rejoins donc dans bien des aspects de ta lecture. C’est pour l’instant le seul roman que j’ai lu de cette romancière mais ma belle maman a reçu son dernier à Noël et je pense le lire aussi
Oui tu n’avais pas le choix ! Merci pour ton avis et ravie de voir qu’on se rejoint sur notre lecture. Si as l’occasion de lire un autre de ses romans, ou le recueil Nocturne d’un chauffeur de taxi, je l’avais emprunté à la bibliothèque et j’ai adoré sa nouvelle Neuf épisodes, c’est ainsi que je l’ai découverte.
Je ne sais pas si j’ai envie de lire ce roman parce que la description de la société patriarcale me fatigue, mais en même temps, l’autrice fait parler d’elle… On verra !
Oui, en même temps ici, ce n’est pas un essai, on suit vraiment la vie de ces gens et surtout ce tournant pour elle lorsqu’elle prend cette décision. Mais, oui c’est fatiguant et pourtant encore terriblement d’actualité ! Mais tu peux lire autre chose d’elle.
Je retrouve régulièrement le nom de cette autrice que j’ai même entendue dans une rencontre en librairie il y a… quelques années. Et dire que je n’ai encore rien lu d’elle !
Tu me conseilles lequel pour commencer ?
oh tu l’as rencontrée ? chanceuse ! J’ai donc lu un essai, un roman et une nouvelle – si tu veux découvrir son style, la nouvelle qui est disponible dans le recueil Nocturne d’un chauffeur. L’essai White Book est en anglais – le seul non traduit à ce jour. Je veux lire son dernier roman, pas traduit en anglais (à quel jeu jouent-ils ?)
Si tu te sens d’attaque pour un roman, celui-ci car j’ai retrouvé sa force que j’ai aimé ailleurs.
J’ai découvert cette autrice en lisant Impossible adieux cet automne, j’ai vraiment beaucoup aimé. Je n’ai encore rien lu d’autre, j’essaierai peut-être la Végétarienne, mais j’avais peur que ce soit trop sombre… à suivre!
Ah je veux lire ce roman, je voulais le lire en anglais mais ça sera en français – oui, c’est sombre mais aussi très puissant.
Comme j’ai déjà commandé Impossible adieux, je vais commencer par ce dernier. Mais vu ce que tu m’avais dit, puis ce que tu écris sur La végétarienne, je pense bien qu’une lecture s’impose pour moi. Et, la bonne nouvelle (pour une fois), il est traduit!
Ah les grands esprits se rejoignent, j’ai aussi commandé Impossible Adieux (bizarrement non traduit en anglais) mais je l’ai lu en français (sa nouvelle).
Oui, ses romans sont traduits en France et deux sont déjà en Poche.
J’espère que tu auras le même coup de coeur que moi 🙂
J’hésite depuis hier sur ma prochaine lecture… quitter l’Asie ? en fait, je pense y retourner après notre lecture challenge. Ou changer de continent ?
Ce livre a en effet fait pas mal parler de lui à sa parution et par la suite, mais le thème que je pensais être le végétarisme ne m’attirait pas du tout, enfin, surtout le côté personnage torturé qui, j’imaginais, allait avec. Bref, du coup je ne l’ai pas (encore) lu, mais j’ai en projet de lire « prochainement » Impossibles adieux pour enfin découvrir cette fameuse Han Kang.
Oui, le titre a trompé les lecteurs, car le sujet n’est absolument pas le végétarisme. Nous allons beaucoup être à lire son dernier roman, j’espère que tu tomberas sous le charme comme moi
J’aime la littérature coréenne mais je dois avouer que ce roman ne m’a jamais attirée
Il a fait grand bruit à sa sortie et comme beaucoup, j’ai pensé qu’il traitait du végétarisme, et pas du tout, depuis j’ai découvert l’autrice et je l’adore et elle confirme encore son talent à mes yeux. Mais, à l’inverse, nombre de romans français ne m’attirent absolument pas ! Heureusement, chaque livre trouve son lecteur 🙂
Bon bah moi je n’en avais jamais entendu parler, ni de ce titre, ni de l’auteure, mais je suis très intéressée !
Vraiment ?? Incroyable ! Mais ravie que tu sois très intéressée 🙂
On pourrait organiser une lecture commune autour de Han Kang ! Qui serait partante, et avec quel titre ?
Oui, j’ai commandé Impossible Adieux et Le Caribou également, Fan,ja, Sandrine l’ont aussi et Kathel cherche une première lecture.
Bon, j’aimerais ne pas enchaîner immédiatement, à voir pour la date ?
Partante pour une LC Impossibles adieux. Comme vous voulez pour la date à partir d’avril, mais ça peut être bien plus tard aussi, je n’ai pas d’urgence particulière pour cette lecture.:)
Super ! Avril ou Mai me conviennent également. Sunalee, de ton côté ?
Je propose le 17 mai. Dites-moi !
Parfait ! J’ai une semaine de vacances début mai, donc le temps de le lire tranquillement 🙂
Noté aussi.:)
Super ! 17 mai donc.
Si ça vous va, j’embarque moi aussi!
Yess ! Super – j’espère qu’il plaira à vous toutes
Je retiens, je devrais pouvoir caser ça aussi…
Super ! Hâte de vous lire 🙂
Je partage ton avis et ton interprétation sur le rejet du patriarcat. J’ai beaucoup aimé La végétarienne, mais j’ai été plus touchée par Leçons de grec. La nouvelle Les chiens au soleil couchant dans le recueil Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée (8 autrices coréennes) est aussi très bien.
White book existe aussi en français : Blanc (mais je ne l’ai pas encore lu).
J’ai dans ma PAL Les Leçons Grecques (Greek Lessons) que je garde pour le mois de mars – du coup je suis ravie de lire ton engouement. Oui, un vrai rejet du patriarcat mais à quel prix ..
Je l’ai découverte avec ses nouvelles. White Book a été ma lecture préférée l’an dernier (essais) d’où mon envie de tout lire d’elle ! Tu peux lire mon billet sur ce livre.
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