En août 2018, j’ai lu un article passionnant sur un jeune auteur qui se trouve … derrière les barreaux d’une prison fédérale. Nico Walker allait publier son premier roman, Cherry – qui racontait la descente en enfer d’un jeune Américain.
Nico Walker raconte sa propre vie, mais de manière romancée. Une vie qui commence avec un coup de foudre pour une jeune femme. Les deux jeunes étudiants s’installent ensemble mais le jeune homme (le narrateur n’a pas de nom) se cherche. Il est à la fac, payée par ses parents mais s’ennuie. Il n’aime pas son prof de littérature, il préfère les cours de poésie, et en écrire tout en fumant du cannabis. Mais les relations avec Emily sont compliquées, il est profondément jaloux et noient ses doutes dans les cachets. Ils se disputent et se séparent. Nico va mal, il a abandonné la fac et cumule des petits emplois. Dépité, désorienté, il s’engage dans l’armée.
Il n’a pas particulièrement envie de se battre, il veut aider les autres. Du coup, il se forme pour être aide-soignant. Nous en sommes en 2004, la guerre en Irak fait rage. Il est envoyé dans une des régions où les attaques sont les plus violentes et où les sorties sont dangereuses à cause des nombreux engins explosifs disséminés partout sur les routes. Les hommes tombent comme des mouches. Le vrai Nico va vivre un enfer : seul aide-soignant pour cent hommes, il est de toutes les missions. Plus de 250 en moins d’un an – un triste record, mais surtout la naissance d’un stress post-traumatique, reconnu des années plus tard, comme l’un des plus sévères jamais rencontrés. Je vous évite les nombreux détails sanglants sur les victimes qu’il faut sauver ou le plus souvent, sortir du tank, en morceaux. La chair sent, brûle, fond. Les victimes viennent à lui par morceaux. Et c’est toujours lui qui est là. Et comme si cette mission ne suffisait pas, on finit par lui coller une arme et l’envoyer fouiller les villages en poussant des portes et en tirant parfois sur des innocents. Une guerre absurde, où il tente de tout oublier à coup d’anesthésiants et de drogues importées illégalement. Il voit ses potes tomber les uns après les autres, lui qui est là pour soigner les autres.
Je remonte Hampshire sur le tronçon à sens unique, avec les immeubles en brique de part et d’autre. Certains appartements ont des balcons. Et les arbres sont beaux. Je ne les comprends pas no plus mais je les aime bien. Je crois que je les aimerais tous. Faudrait que je tombe sur un arbre bien foireux pour qu’il ne me plaise pas.
De retour aux USA, il retrouve Emily – elle l’a finalement attendue après avoir obtenu son diplôme. Mais malheureusement, la jeune femme revient d’un séjour en Floride, dépendante aux opioïdes – qui emporte tout le Midwest avec elle. Drogués, les deux amoureux ont toujours besoin de plus et bientôt c’est l’héroïne. Et leurs doses ne cessent d’augmenter. Tout leur argent y passe : celui des bourses universitaires, de l’argent familial, de la bourse d’ancien combattant. Ils se lèvent le matin avec une seule mission : trouver de l’argent et aller s’acheter leurs doses. Ils ont basculé dans une autre dimension. Et lui ? Il a sombré dans une profonde dépression alors un jour, il se lève et braque une banque. De l’argent facile, et ça marche.
Si dans le roman, le sujet est peu développé, dans la vie, Nico avouera que la tension précédent le hold-up, les quelques minutes, où il brandit une arme, provoquent en lui de l’adrénaline – une sensation bien familière, remontant à sa vie en Irak et qu’il apprécie de retrouver. Pendant quelques heures, il n’est plus la loque qui cherche sa dose mais le combattant.
Un premier roman étrange, aux dialogues ravageurs, à l’histoire qui tourne parfois en rond, lorsqu’il décrit ces journées interminables où tout se répète (ils vont chercher leurs doses), mais qui peut aussi vous bouleverser avec toute l’histoire en Irak, et puis le premier hold-up et enfin, l’arrestation, et ce moment où il ressent … Un roman où le narrateur n’a pas de nom et où sa petite amie Emily, est érigée en déesse, où elle ne parle pas – objet du désir du narrateur, elle part étudier loin de lui à Montréal, il l’attend. Il semble entièrement dépendant mais ne lui offre que peu de voix dans ce roman même si tout semble tourner autour de leur histoire d’amour. J’ai choisi de penser que la drogue a maintenu leur couple en vie et qu’il a fantasmé cette relation.
Un personnage inoubliable, profondément humain, poète avec une histoire terrible mais malheureusement si symbolique des ravages de la guerre et de l’opiomanie (dont les premiers effets commencent à apparaître aussi en France). Il y a des passages très difficiles, en Irak et de vrais moments de désespoir et puis cette question qui m’a hantée : l’absence, dès l’adolescence, d’une passion, d’une vraie envie de vivre :
Parfois je me demande si je n’ai pas gâché ma jeunesse. Ce n’est pas que je sois insensible à la beauté des choses. Les belles choses m’émeuvent, elles me foutent le coeur en l’air jusqu’à ce que je sois sur le point d’en crever. Donc ce n’est pas ça. C’est juste que quelque chose en moi m’a toujours tiré à l’écart, et c’est un truc au fond de moi et je ne peux pas l’expliquer.
Nico Walker ne cherche jamais à enjoliver les choses : il a tué, il n’a pas sauvé, il se drogue, braque des banques, tout en écrivant des poèmes … car Nico aime les mots, aime les lire et les écrire. Il tiendra grâce à cela en prison.Nico doit sortir de prison en 2020. Il a laissé une liste livres qu’il aime, je veux tous les lire.
Et puis leurs mots, nettement meilleurs que les miens :
» Après avoir seulement lu une page, seuls les esprits pusillanimes parviendront à lâcher ce cri terrible d’une vie de guerre, de crimes et d’addiction, ce roman puissant qui annonce l’entrée en scène d’un véritable écrivain, capable d’élever l’angoisse au rang d’art. » Thomas McGuane
« Cherry de Nico Walker est une plongée douloureuse et lucide dans les abîmes de la guerre, de l’addiction et du crime, une chute sombre et vertigineuse parmi les ordures et les salauds, mais c’est aussi un roman profondément humain (…). – Dan Chaon
♥♥♥♥(♥)
Editions Les Arènes, trad. Nicolas Richard , 2019, 432 pages
8 commentaires
Dis, tu l’ajoutes dans ta valise, steuplait?! Et faudra que tu m’expliques le pourquoi du dernier coeur entre parenthèses…
hop dans la valise ! qui déborde !!! sinon, j’ai mis entre parenthèses car je pense qu’i peut encore faire de nombreux progrès !
je l’ai repéré il y a quelques jours et ton avis est vraiment alléchant, je note!
Merci ! Il y a, je le répète, des passages très difficiles, mais il remet à la une ces soldats totalement oubliés par l’armée à leur retour
waouw, un livre qui a l’air très fort !
Oui ! Le Caribou veut le lire. Du coup, je lui ai apporté 🙂
Effectivement c’est plutôt rare un livre d’un auteur incarcéré !
Oui, je crois qu’en France ce n’est pas possible ? ou alors si mais la personne ne peut pas toucher les dividendes ? bref, c’est un sujet fort même s’il ne parle pas ici de son incarcération mais de ce qui l’y a amené
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