Il m’arrive rarement de commencer un livre puis de le reposer et en prendre un autre, et c’est pourtant ce que j’ai fait avant de trouver mon bonheur avec celui-ci. Je m’y attendais, mais je pensais le savourer, en lisant chaque chapitre calmement, mais une fois dedans, comme un bon gueuleton, impossible de m’arrêter !
Mais bon, c’était couru d’avance – Rick Bass qui décide de partir, casseroles en main, à la rencontre de ses héros littéraires pour leur cuisiner un bon repas, tout cela ne pouvait que me plaire. Encore plus, lorsque que l’auteur est originaire du Montana (♥) et qu’il aime les auteurs que j’aime (Jim Harrison ♥, Thomas McGuane…) et qu’il projette aussi de se rendre dans le Sud, le Mississippi précisément (O’Connor, Faulkner, Larry Brown). Car l’auteur navigue entre les auteurs encore de ce monde et les fantômes et tout du long, je pense à ce cher Jim, qui mourra trois semaines après la fin du voyage de Rick. Parce qu’il est impossible de penser à un ragoût d’élan, une tarte à la rhubarbe et une bonne bouteille de vin, sans penser à ce cher Jim !
Rick Bass est un auteur que je connais mal, j’ai eu plusieurs de ses livres entre les mains, et étrangement je n’ai jamais osé les lire. Quand je sais qu’il a eu le déclic de sa vocation en lisant les premiers paragraphes de Légendes d’automne, je me demande bien ce qui pouvait me retenir ? Mais Rick est un grand timide, qui vit au fin fond du Montana, caché dans sa vallée (d’ailleurs, son voisin, Peter Matthiessen, vit de l’autre côté de cette vallée). Rick se raconte et c’est tellement bon. Comment décide-t-on de devenir écrivain ? Et pourquoi aller voir tous ces auteurs, amis ou pas, qui vous ont marqué et guidé ? Peut-être parce que le temps passe, Rick a la cinquantaine et certains sont malades, d’ailleurs trois d’entre eux décèderont peu après. Et puis Rick a déjà perdu Larry Brown ou Denis Johnson, mort prématurément de manière brutale.
Quand Rick confie sa jeunesse et sa tentative malheureuse de dénicher un job de jardinier chez Eudora Welty, l’auteure sudiste dont il vénère les nouvelles, c’est terriblement drôle et touchant. Car le jeune homme avait déjà un vrai métier, mais qu’importe la passion nous donne des ailes. L’amour et la confiance lui permettront de se lancer et d’être publié. En quittant le Sud pour le Montana, il ira à la rencontre d’autres auteurs avec qui il partagera la passion de la chasse, de la pêche et de bons gueuletons. Mais le grand timide aura une vie bien casanière, une femme et deux filles. Il regardera de la loin ses auteurs fétiches plonger dans la drogue ou l’alcool, et s’en sortir miraculeusement. Il est fan, comme nous mais plus chanceux.
Dans ses bagages, de la viande (son idée d’emporter un morceau d’élan en Angleterre est un pur bonheur !) , des sauces, des ustensiles et toujours deux ou trois écrivains en herbe qui vont rencontrer leur idole. Ils prennent la route, dorment un peu partout, parcourent des milliers de kilomètre serrés comme des sardines, cuisinent des heures, tout ça pour le plaisir de passer quelques heures en présence de grands écrivains. Et Rick a la gentillesse de nous emmener aussi. Et j’ai adoré ! Car comme il le dit, même si certains d’entre eux ont connu des années difficiles, ils sont enfin là où ils le souhaitent – souvent en plein milieu de la nature (Peter Berger dans les Alpes françaises), avec leur compagnes ou compagnons et profitent enfin. Ils se confient peu ou prou, aiment ou peu la compagnie, boivent et mangent avec plaisir. Ce sont de grands moments de partage avec parfois ces moments d’intimité qui ont une portée universelle. Lorsqu’ils montrent à Rick l’endroit où ils écrivent (et cette manie de tourner le dos au paysage sublime des Rocheuses, du Sussex ou des Alpes).
Forcément lorsque Rick parle de ses auteurs préférés, je note et lorsqu’il pose la question aux autres, je note et je note.. Ravie de voir que Larry Brown était un homme aimable et sociable, et très aimé et que sa photo est partout au Mississippi, touchée de lire les mots de Jim Harrison, et puis, plaisir personnel, de voir que Bass comme la plupart des autres auteurs adorent la nouvelle (le genre) et Raymond Carver ! Bref, si vous aimez les auteurs américains, si vous n’avez pas peur des fantômes, si entendre parler cuisine (il décrit les heures de préparation de chaque menu), alors précipitez-vous sur ce livre !
Et j’allais oublier – quelle idiote, l’amour pour Mère Nature, ce voyage sur la route transpire de beauté.
♥♥♥♥♥
Editions Bourgois, The Traveling Feast, on the road and at the table with my heroes, trad. Brice Matthieussent, 2019, 347 pages
6 commentaires
Purée, là c’est mon créneau de lecture!!!
oui ! étonnée que tu n’aies pas déjà mis la main dessus !
De cet auteur, j’ai lu Les derniers grizzlis, passionnant, et j’ai aussi Journal des cinq saisons dans ma PAL… celui-ci devra donc attendre, mais j’en prends note !
j’ai les derniers grizzlis enfin je crois, du coup je vais le garder ! J’aime beaucoup la personne en plus car ici ce n’est plus de la fiction. C’est lui le narrateur !
Ça parles-tu trop de bouffe pour moi, tu penses?
Il décrit chaque plat qu’il cuisine mais bon il parle encore plus de l’écrivain, de sa maison, de ses habitudes (où il écrit) , etc. De son amour pour la littérature, sa carrière et ses rencontres …mais pourquoi ça te gênerait ?
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